Ils sont issus de la gauche ou du camp présidentiel et, à l’origine de leur engagement politique, est notamment la lutte contre le fondateur du Front national et ses idées.
« Ma mère pleure, crie. Mon frère et moi pensons que quelqu’un est mort. Dans l’appartement familial d’Amiens (Somme), Benjamin Lucas, 11 ans, a les yeux rivés sur l’écran de télévision. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002 viennent d’être publiés. A la surprise générale, Jean-Marie Le Pen, leader du Front national (FN), est arrivé deuxième et a éliminé le Premier ministre et candidat de gauche, Lionel Jospin, en recueillant 16,86% des voix. Pour la première fois sous la Ve République, l’extrême droite s’est qualifiée pour le second tour d’une élection présidentielle. « Je vois qu’un résultat peut avoir un impact émotionnel sur les gens, je me souviens encore du cri de ma mère »» affirme aujourd’hui le député écologiste, porte-parole de son groupe.
Partout dans le pays, une jeune génération d’élus, souvent engagée à gauche, est marquée par « le traumatisme » à partir du 21 avril. A Caen, Arthur Delaporte, aujourd’hui député PS dans le Calvados, se souvient du coup de fil « décontenancé » de son grand-père, de ses proches « choqué, en colère ». Il avait également 11 ans à l’époque. « Jean-Marie Le Pen était la figure du méchant de la politique, du racisme et de la démesure ».
Le fondateur du FN, décédé le 7 janvier à l’âge de 96 ans, était le « déclenchement » nombre de vocations des dirigeants politiques actuels. « Je me suis engagé en politique en 2002, avec le séisme de Jean-Marie Le Pen au second tour »confie le député LFI Thomas Portes, qui a grandi dans le milieu syndical ferroviaire. Agé de 17 ans en 2002, il participe à des manifestations contre l’extrême droite dans sa ville d’Agen (Lot-et-Garonne). « Ça a été un déclencheur pour se dire qu’il faut devenir acteur et pas seulement spectateur. »
N’étant pas en âge de voter, beaucoup participent aux grandes manifestations de l’entre-deux tours. Le 22 avril, Benjamin Lucas improvisait son premier tract politique avec son cousin. Le slogan a été soigneusement pensé : «Le Pen Danger de Mort». L’imprimeur de la maison familiale se lance et crache péniblement une cinquantaine d’exemplaires qui seront distribués lors de la manifestation du 1er mai à Amiens.
En chemin, les deux amis croisent le député PCF local, Maxime Gremetz, à qui ils tendent fièrement leur tract. « Il m’a offert en échange un stylo de l’Assemblée nationale » dit Benjamin Lucas. Prémonitoire. Ce choc du 21 avril sème chez ces jeunes la première graine de leur engagement futur, alors que d’autres, plus âgés, ont entamé le combat contre le FN bien avant.
François Cormier-Bouligeon, député Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance), 52 ans, a rendu « une partie de la génération qui s’est réveillée en politique alors que le FN faisait des scores au début des années 1980 ». Le parti d’extrême droite réalise sa première percée politique lors des élections locales de 1983, notamment lors des élections municipales partielles à Dreux (Eure-et-Loire).
Trois ans plus tard, 35 députés FN, dont Jean-Marie Le Pen, entrent à l’Assemblée nationale, profitant de l’instauration de la représentation proportionnelle au niveau départemental. Ces années sont également marquées par la naissance de SOS Racisme en 1984, après la « Marche des Arabes » de l’année précédente.
« Je suis entré en politique pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme. Et donc contre le FN de Jean-Marie Le Pen.»
François Cormier-Bouligeon, député EPRsur franceinfo
Sympathisant de l’association, le jeune homme s’est engagé contre les idées véhiculées par le FN depuis le collège et le lycée. « J’ai été révolté par la résurgence des idées racistes, antisémites et réactionnaires promues par Jean-Marie Le Penraconte celui qui connaît par cœur l’histoire du parti d’extrême droite. Par sa personnalité, le leader du FN a encore une fois mis du poison dans les veines de Marianne. » Il s’agira d’abord d’un engagement avec le Parti socialiste, avant de rejoindre Emmanuel Macron bien plus tard dès le début d’En Marche.
Thomas Portes a d’abord fait campagne auprès des jeunes du PCF et a rejoint quelques années plus tard La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. « Il y avait une volonté de s’impliquer et de participer activement pour contrer les idées de Jean-Marie Le Pen ». L’élection présidentielle de 2007 sera l’occasion pour ces jeunes, alors en âge de voter, de s’engager dans leurs partis respectifs. « J’adhère au mouvement des Jeunes Socialistes. Je n’étais pas particulièrement fan de Ségolène Royal, mais j’avais en moi le souvenir de 2002 », assure Benjamin Lucas. Si la gauche se disperse, on risque de se retrouver avec le vieux borgne au second tour. »
Cette fois, Jean-Marie Le Pen termine quatrième. Mais, pour ces militants de gauche, les idées lépénistes sont déjà à l’œuvre. « Nicolas Sarkozy a repris les propos de Jean-Marie Le Penaccuse Thomas Portes. J’étais très inquiet pour la droite du débat. »
Arthur Delaporte, quant à lui, a rejoint le PS en 2013, au moment des débats sur le mariage pour tous. « J’en ai eu marre des fascistes dans la rue contre l’égalité des droits, et mon premier engagement a été l’organisation de la marche républicaine en octobre 2013. La Manif pour tous, c’est l’alliance de la droite et de l’extrême droite.
A l’époque, Jean-Marie Le Pen n’était plus aux commandes. C’est sa fille, Marine, qui a repris les rênes du parti deux ans plus tôt, mais il reste président d’honneur du mouvement. En 2014, Arthur Delaporte participe à l’écriture de l’ouvrage collectif Le guide anti-FN, « déconstruire tous les arguments et le programme du FN et dire que le combat moral ne suffit pas ». Le professeur d’histoire s’immerge dans les différentes étapes de la construction du parti et de ses idées.
« La lutte contre l’extrême droite est le moteur. C’est ce qui me fait passer de la situation de citoyen conscient à celle de militant.»
Arthur Delaporte, député PSsur franceinfo
Rétrospectivement, la bataille des idées « n’est pas aussi efficace » qu’il le pensait. La montée en puissance du FN, devenu RN en juin 2018 sous la houlette de Marine Le Pen, est alors fulgurante. La députée du Pas-de-Calais a rompu avec son propre père en l’excluant en 2015 et poursuit la stratégie de diabolisation qu’elle a entamée et qui porte ses fruits auprès de l’électorat.
La fille de « Menhir », le surnom de Jean-Marie Le Pen, s’est qualifiée à deux reprises pour le second tour lors des élections présidentielles de 2017 et 2022 et mène aujourd’hui le premier groupe de l’Assemblée nationale, avec 122 députés. « Je continue de les combattre et Madame Le Pen ne vaut pas mieux que son pèreassure François Cormier-Bouligeon. Le RN est encore plus dangereux que le FN car il se donne les moyens d’accéder au pouvoir. » Tout le monde en est convaincu, « le combat contre Jean-Marie Le Pen et ses idées arrive »glisse Arthur Delaporte.