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« Cela restera dans l’histoire »… La sensation Joan-Benjamin Gaba nous ramène à son épique final

À l’Aréna Champ-de-Mars,

« J’ai une playlist de morceaux de rap instrumental que j’écoute tous les jours de compétition depuis que je suis junior et elle s’appelle ‘Invincible’ », expliquait lundi soir Joan-Benjamin Gaba. On pensait à juste titre que le judoka de 23 ans, l’un des membres les moins connus d’une impressionnante équipe de France (cinq médailles sur six possibles lors de ces Jeux olympiques de Paris 2024), serait « Invincible » jusqu’au bout de ce tournoi des -73 kg. Bien qu’il ait remporté une médaille de bronze aux Championnats d’Europe en avril, les doutes continuaient d’entourer sa sélection pour les Jeux. Et pour cause, il n’est que 35e au classement mondial dans sa catégorie. « À part mes entraîneurs et ma famille, personne ne croyait en moi, je le sais », confie-t-il en souriant.

C’est l’un des moteurs de sa fantastique journée, ponctuée par sa première médaille olympique, l’argent, devancé seulement par le numéro un mondial et champion du monde, l’Azerbaïdjanais Hidayet Heydarov. « En mission », Joan-Benjamin Gaba s’est montré à la hauteur dans une bataille ahurissante de 9’24 » en finale. « C’était une vraie finale olympique pour les bons hommes », a résumé son entraîneur chez les Bleus, Guillaume Fort. « Ce truc restera dans l’histoire ». A tel point que 20 minutes décrypte les nombreux rebondissements de ce choc des titans, le premier combat jamais entre eux, ce que personne n’avait imaginé.

11e seconde : Gaba réalise une superbe attaque

Surprenant et hyper offensif toute la journée, Joan-Benjamin Gaba l’est toujours autant d’entrée dans le combat de sa vie. Il balaie littéralement son adversaire au bout de onze secondes, mais il parvient à ne pas retomber sur le dos. On est passé tout près d’un ippon supersonique couvert d’or ! « Joan aurait pu ne pas oser par peur de l’événement, note Guillaume Fort. Mais non, le bonhomme a lancé sa finale comme s’il était dans son propre jardin.

L’intéressé nous révèle comment il a pensé cette attaque incroyablement audacieuse. « Je vois que sa jambe gauche est en avant, et ce n’est pas sa jambe forte. Alors j’attaque cette jambe gauche directement et ça marche. Mais il est malin : il ne l’a plus jamais avancée après ça. » Et si c’était déjà le tournant principal de cette finale ?

La cloche des quatre minutes sonne

D’apparence calme, le Français reste fougueux dans son judo, y compris au sol. Mais il n’aura plus la moindre occasion de déborder Hidayet Heydarov dans les quatre minutes de combat. Avec un shido (une pénalité) chacun, les deux finalistes se dirigent vers le « golden score », où la moindre attaque comptabilisée est synonyme de victoire. Une « extension » de tous les dangers, avec déjà quatre combats dans les jambes de 10 à 17 heures (contre trois pour le numéro un mondial), non ?

« C’est un peu ma marque de fabrique de faire des combats longs, assure Joan-Benjamin Gaba. Au Grand Chelem de Paris 2023 contre une tête de série, Yuldoshev, j’ai eu peut-être huit minutes de « golden » (victoire en « seulement » 5’42 » au total en fait). Physiquement et mentalement, j’étais là. »

N'essayez pas de reproduire ce coup dans votre salon avec vos amis.
N’essayez pas de reproduire ce coup dans votre salon avec vos amis.– Y. Taguchi/Réseau USA TODAY/SIPA

6e minute : Gaba se lève toujours en premier

La guerre des tranchées devient épique dans cette « prolongation » sur tatami. Mais à chaque arrêt de près de deux minutes supplémentaires, le premier judoka à se relever s’appelle Joan-Benjamin Gaba. « Le public était vraiment incroyable, raconte-t-il. Et quand on te pousse comme ça, on ne se sent presque plus fatigué. On se dit qu’on n’a pas le droit de craquer. Ça te donne beaucoup de force et ça t’aide à te relever vite. Pendant ce temps-là, j’ai pu voir qu’Heydarov était fatigué. Ce type a beaucoup de cardio, mais j’avais l’impression d’être en meilleure forme que lui. »

Y a-t-il une réelle symbolique à se relever le plus vite possible lors d’un combat ? « Oui, pendant les deux tiers du combat, Joan montre à l’arbitre qu’il est prêt, puisqu’il est le premier à se lever, explique Guillaume Fort. Et puis le langage corporel est super important. » Son protégé poursuit l’idée.

 » C’est important de prendre le dessus psychologiquement sur son adversaire. Quand il est fatigué, les mains sur les genoux, et qu’il me voit me relever rapidement, il se dit : « Comment je vais faire ça ? » Je l’ai vu douter, franchement. En plus, j’avais moins de pression que lui, qui est champion du monde. »

7e minute : Alerte genou pour Gaba

Problème numéro un : le judoka français subit un deuxième shido après 1’39 » de « golden score », preuve qu’il devient un peu moins actif. Et surtout, il montre des signes de pépin physique après 2’45 ». Des crampes ? « Non, ça a craqué au niveau du genou. J’ai dû arrêter ma technique parce que ça coinçait. » Pourtant, son entraîneur reste confiant. « Je suis mort, plaisante-t-il. Mais pour lui, c’est super dur mais il n’a pas peur de se lancer dans des combats extrêmes comme ça. Après, c’est vrai que Joan met de plus en plus de temps à se relever. »

9’15 » : Gaba « met le paquet »

Très marqué lui aussi, Heydarov vient d’obtenir une deuxième pénalité (à 3’14 » au « golden score »). Le suspense est insoutenable et les deux judokas puisent dans leurs ressources, comme des footballeurs à la 120e minute d’un match (disputé à La Paz, d’ailleurs). A 5’15 », les deux finalistes choisissent de s’accrocher pour tenter d’en découdre. « Là, le défi est d’accélérer encore plus, explique Guillaume Fort. Quand il y a deux mecs en phase de corps à corps, avec une telle fatigue, tu sais que ça va s’arrêter d’un côté ou de l’autre. »

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Instigateur de cette configuration, Joan-Benjamin Gaba tente de résister à l’impact. Mais après quelques secondes d’une séquence mémorable, celle-ci se termine par un terrible ippon. Le Français revient sereinement sur l’épilogue de cette drame : « C’est un petit manque de lucidité de ma part mais il faut voir que j’étais à deux shidos derrière. Lui aussi, mais il a réussi à attaquer avant moi à chaque fois. J’ai préféré m’engager, tout donner, alors j’ai opté pour une phase de combat rapproché. Plutôt que de perdre sur trois shidos, j’ai tenté le tout pour le tout. Je me suis dit : « Soit c’est lui, soit c’est moi ». Et ça a tourné en sa faveur. »

Guillaume Fort ne lui en veut pas : « C’est bien, il s’est engagé, il a pris un risque et il n’a absolument rien à se reprocher ». Son entraîneur personnel Stéphane Frémont est un peu plus mitigé sur ce choix : « Joan en avait encore du potentiel, alors s’il avait été un peu plus patient… »

9’24 » : Heydarov fait un joli câlin à Gaba

Après ses titres de champion d’Europe et du monde, l’Azerbaïdjanais touche au Graal olympique. Il va aussitôt saluer Gaba, avec un baiser sur le front. « C’était un signe de respect, raconte le nouveau médaillé d’argent olympique. Il m’a dit que j’étais incroyable, que je m’étais battu comme un lion. Mes résultats n’étaient pas à la hauteur de mon niveau ces derniers mois, mais Heydarov me connaît car nous avons fait des stages ensemble. Il ne pensait pas engager un peintre. »

Hidayet Heydarov et Joan-Benjamin Gaba dans un remake poignant d'une séquence de Laurent Blanc-Fabien Barthez.
Hidayet Heydarov et Joan-Benjamin Gaba dans un remake poignant d’une séquence de Laurent Blanc-Fabien Barthez.– Eugène Hoshiko/AP/SIPA

Plus personne dans le monde du judo n’osera parler de M. Joan-Benjamin Gaba en ces termes. « On était sur un événement fou avec une pression médiatique, et Joan a été incroyable, conclut Guillaume Fort. C’est une machine de guerre, et on avait affaire à un tourbillon aujourd’hui. » Le jeune athlète n’est pas un « tourbillon » uniquement sur les tatamis. Moins d’une heure après sa « défaite », il glissait, médaille d’argent autour du cou : « C’est dommage, j’espère décrocher l’or à Los Angeles ». Mettez de côté votre meilleur pop-corn pour une revanche olympique en 2028, dans une finale des -73 kg de douze minutes.

Jeoffro René

I photograph general events and conferences and publish and report on these events at the European level.
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