« Ce sont justement les politiques managériales qui les rendent malades »
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« Ce sont justement les politiques managériales qui les rendent malades »

« Ce sont justement les politiques managériales qui les rendent malades »
Natalia Gdovskaia/Getty Images Dans le secteur public, les arrêts maladie ont augmenté de 80 % au cours des dix dernières années.

Natalia Gdovskaia/Getty Images

Dans le secteur public, les arrêts maladie ont augmenté de 80 % au cours des dix dernières années.

TRAVAIL – Des milliards d’économies à tout prix. Alors que le projet de loi de finances 2025 est examiné à l’Assemblée nationale et que le gouvernement est à l’affût des coupes budgétaires, c’est l’arrêt maladie des agents publics qui se retrouve dans le viseur de l’exécutif.

Dans une interview avec Figareo Publié dimanche 27 octobre, Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, estime qu’il est urgent la lutte contre « absentéisme » parmi les fonctionnaires, réclamant une réduction de 100% à 90% de leur indemnité de congé de maladie et une augmentation de leur nombre de jours d’attente à trois. Car dans le secteur public, les arrêts maladie pour raisons de santé ont augmenté de 80 % ces dix dernières années, et le nombre moyen de jours d’arrêt maladie par an et par agent est de 2,8 jours supérieur à celui du secteur privé. Comment expliquer une telle évolution ? Pourquoi l’exécutif accorde-t-il une telle place à cet « absentéisme » dans le débat budgétaire ? Et la pénalisation financière est-elle la solution ? HuffPost s’interroge Danièle Linhart, sociologue du travail et professeur émérite au CNRS.

HuffPost. La baisse de rémunération et l’augmentation du nombre de jours de carence en cas d’arrêt maladie vous semblent pertinentes ?

Danièle Linhart. Je trouve cette mesure à la fois tragique et hypocrite. Tragique, car tout le monde n’est pas bien payé dans la fonction publique. Les gens essaieront de ne pas prendre de repos, continueront à venir travailler et risqueront de tomber encore plus malades ou d’être encore moins capables de faire du bon travail. C’est aussi hypocrite, ou cruel, car ce sont précisément les politiques managériales de la fonction publique qui les rendent malades. Non seulement les agents y sont soumis, mais on leur dit également « tu vas le payer ».

C’est dans le secteur hospitalier public que les agents prennent le plus de jours d’arrêt maladie (18 jours par an et par agent contre 11,7 dans le privé). Comment expliquer cela ?

Dans la fonction hospitalière, comme dans d’autres domaines de la fonction publique, nous avons une administration (ici par exemple les agences régionales de santé) qui impose aux professionnels des logiques de travail qui ne correspondent pas à leurs métiers. Dans les hôpitaux, de nombreux médecins soulignent qu’on leur demande de respecter des normes (durée normale d’une consultation, de visite chez un patient) qui ne tiennent pas compte de la réalité des métiers de santé. Même chose pour les infirmières.

Cela met les soignants en contradiction avec les exigences de leur travail et crée de l’anxiété, de l’impuissance et la peur de commettre des erreurs. La politique de « gestion allégée », qui vise à faire plus avec moins de budget, moins de personnel, moins de temps, a eu un impact particulier sur le service public hospitalier. Bien sûr, cela crée de l’absentéisme : au bout d’un moment, les agents tombent en panne.

Voyez-vous ces mécanismes dans d’autres secteurs de la fonction publique ?

Oui, notamment au sein des collectivités locales (Les agents de la fonction publique territoriale sont les deuxièmes plus touchés par les arrêts maladie, avec 17 jours par an par agent, ndlr.) En travaillant dans ce domaine, nous constatons que les professionnels ont toujours le sentiment d’être en lutte contre l’administration qui les dirige pour pouvoir faire correctement leur travail, ce qui peut être pénible et fatiguant. J’appelle cela « la précarité subjective » : des personnes qui ont un emploi stable et qui pourtant n’ont aucun sentiment de sérénité dans leur travail et qui sont sur le fil du rasoir, avec parfois un grand sentiment d’anxiété et de malheur.

Par ailleurs, de nombreux emplois dans la fonction publique impliquent des contacts avec les patients, les parents et les usagers. Cependant, le mécontentement de la population dans la fonction publique est tel qu’il touche également ceux qui sont en première ligne, qui subissent de plus en plus de violences. Sans oublier que le contact avec les utilisateurs présente également des risques de contamination par des virus.

La question de l’absentéisme et des arrêts maladie a-t-elle une connotation particulière dans le discours politique sur le travail ?

La question des absences, pour autant qu’elles ne soient pas pénalisées financièrement, s’accompagne toujours de suspicion. Depuis des décennies, on souhaite contrôler et surveiller les pratiques des absents pour dénoncer ceux qui ne sont pas « véritablement » malades.

Symboliquement, associer l’absentéisme au service public crée une étiquette très humiliante pour les fonctionnaires, qui seraient ceux qui « profitent » de la sécurité sociale alors qu’ils sont déjà privilégiés et n’en ont pas besoin.

Justement, en France, la perception des fonctionnaires est-elle négative ?

Depuis les lois de modernisation de la fonction publique, notamment la LOLF de 2001, la fonction publique retient l’attention. Dans le discours politique et médiatique, on a beaucoup parlé de l’argent des contribuables qui « se serrent la ceinture » et veillent à ce qu’il ne soit pas gaspillé par des fonctionnaires hautement stigmatisés. L’opinion publique considère qu’ils coûtent trop cher, sont trop nombreux et ne fonctionnent pas.

En tant que sociologue, j’ai souvent entendu s’exprimer ce mépris à l’égard des fonctionnaires. Mais c’est une image complètement contraire à tout ce que j’ai observé dans mes enquêtes auprès de différents publics. On voit un réel investissement dans le travail des fonctionnaires, obsédés par la nécessité de servir les usagers, de transmettre les valeurs de la République, d’assurer l’égalité. Un engagement que l’on a tous pu constater à l’hôpital lors de la crise du Covid par exemple.

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