En déplacement à Marseille, les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont manifesté leur volonté de renforcer les moyens policiers et judiciaires contre le trafic de drogue.
« Lutte nationale, cause nationale, unité nationale. » Bruno Retailleau et Didier Migaud ont dévoilé une série de mesures pour lutter contre « menace (…) multiforme, croissante, tentaculaire » trafic de drogue. Statut repenti, moyens supplémentaires… Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont profité d’un déplacement à Marseille, vendredi 8 novembre, pour faire leurs annonces, après plusieurs fusillades meurtrières en France.
Après une rencontre avec Benoît Payan, le maire socialiste de la ville de Marseille, et des associations de victimes d’assassinats liés au trafic de drogue, Bruno Retailleau et Didier Migaud ont dévoilé leurs mesures, déjà discutées en privé avec le Premier ministre Michel Barnier la veille. Plusieurs d’entre eux seront intégrés dans un texte proposé par le Sénat et qui sera étudié le 27 janvier. Franceinfo vous résume ce qu’il faut retenir.
Ressources supplémentaires pour la police et la justice
Plusieurs structures existantes seront renforcées. « Les équipes du parquet de Paris travaillant à la lutte contre la criminalité organisée au niveau national seront ainsi renforcées de 40 % »a annoncé le ministre de la Justice. « Les effectifs seront protégés sur tout le territoire et particulièrement à Marseille, et nous renforcerons également les procureurs qui en ont besoin. » Cinq postes de juges seront créés à Paris, » l’équipe autour des magistrats sera consolidée, et nous renforcerons aussi ce qui doit l’être dans la JIRS (juridictions interrégionales spécialisées)« .
Didier Migaud a également dit « favorable à un management fort bâti autour d’un véritable parquet national ». Une allusion directe au projet de « parquet national anti-stupéfiants » (Pnast) que la commission d’enquête sénatoriale avait réclamé dans son rapport. « Pour mettre en place cette nouvelle structure, le Parlement devra légiférer »a rappelé le ministre de la Justice.
Le ministre de la Justice a également annoncé la création « dans les semaines à venir » d’un « unité nationale de coordination chargée d’évaluer la menace, de définir une stratégie opérationnelle et de la mettre en œuvre ». « Elle sera composée de magistrats mais aussi, je l’espère, de représentants des autres ministères concernés – de l’Intérieur et des Finances notamment – et d’analystes criminels »a ajouté Didier Migaud. Le ministre de la Justice souhaite également une meilleure transmission de l’information, ce qui « sera désormais pleinement obligatoire (…) de la base au sommet, des procureurs locaux jusqu’à la JIRS ».
Du côté de la police, Bruno Retailleau a appelé à mettre en place « nouvelles techniques de renseignement » et a repris certaines propositions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale, notamment l’idée d’un « coffre-fort » dont le contenu ne serait pas inclus dans l’enquête et qui permettrait aux enquêteurs de ne pas divulguer leurs techniques à la défense. Il appelle également à « créer un cadre juridique qui protège (…) les enquêteurs qui sont en contact avec des informateurs » afin de limiter les risques juridiques pour les agents.
Plus de coopération internationale
« Malheureusement, le crime organisé ne s’arrête pas à nos frontières »a rappelé Didier Migaud. C’est pourquoi le ministère de la Justice a annoncé l’installation prochaine d’un magistrat de liaison à Bogota, capitale de la Colombie, État central de la production de drogue.
La représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne sera également renforcée, grâce à l’envoi d’un quatrième magistrat dédié au crime organisé. Et « chaque fois que cela sera nécessaire, des assistants dédiés à la saisie des avoirs criminels viendront prêter main forte aux magistrats déployés à l’étranger »a promis Didier Migaud.
Enfin, en termes d’objectifs, le ministre de la Justice défendra « la création d’un bouclier judiciaire européen (…) en mobilisant les procureurs européens dans les zones portuaires, en facilitant l’accès des enquêteurs aux données numériques des réseaux criminels, et en imposant le relèvement des normes judiciaires dans la lutte contre la criminalité organisée ».
Mesures spécifiques pour les mineurs
Pour Didier Migaud, « il est essentiel de diversifier les réponses en fonction du degré d’implication » dans le trafic de drogue, notamment auprès des mineurs. Le ministre a donc appelé à mettre en place à leur intention « un accueil de jour dédié » et à « multiplier les capacités d’accueil dans les centres éducatifs fermés pour les mineurs les plus enracinés dans la délinquance ». Il souhaite également que les forces de sécurité intérieure puissent « intervenir dans la prise en charge des jeunes délinquants, aux côtés de la protection judiciaire de la jeunesse ».
Sur le plan judiciaire, comme l’a évoqué le Premier ministre Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale, Didier Migaud souhaite que le projet de loi qui sera bientôt discuté au Sénat s’assouplisse. « les conditions permettant d’exclure l’excuse de minorité » pour les plus de 16 ans et pour « les infractions les plus graves commises dans des situations de récidive légale ». Il espère également que ces affaires pourront être jugées en comparution immédiate.
Un statut plus favorable pour les trafiquants « repentis »
Didir Migaud a appelé à une amélioration du régime des « repentis », qui permet aux trafiquants qui collaborent avec la justice d’obtenir des réductions de peine. « Ce régime doit en effet être repensé en créant un statut de collaborateur de justice, en (o) intégrant de nouvelles infractions et des niveaux de sanctions plus incitatifs »a expliqué le ministre de la Justice.
L’idée avait déjà été évoquée par son prédécesseur, Eric Dupont-Moretti. Le statut de repenti a été créé en 2004 en France, mais il est encore peu utilisé, en partie parce que les conditions d’éligibilité sont strictes : « L’infraction ne doit pas avoir été commise, cette non-exécution doit résulter du signalement à la justice, et ce constat doit permettre d’identifier les auteurs ou complices »a-t-il résumé sur BFMTV.
Une volonté de « frapper les criminels au portefeuille »
Le ministre de l’Intérieur a demandé de nombreux moyens d’enquête complémentaires. Il souhaite ainsi « rendre obligatoire l’ouverture d’une enquête patrimoniale dans les affaires de drogue »mais aussi « renverser la charge de la preuve » en créant « une injonction pour justifier des ressources inexpliquées ». « Conduisez-vous un gros moteur ? Très bien, (…) donnez-nous la preuve du financement de cette acquisition”illustré Bruno Retailleau.
Côté sanctions, le ministre de la Justice veut « frapper les criminels au portefeuille en renforçant les possibilités de saisies et de confiscations judiciaires pour que la criminalité, et particulièrement la criminalité organisée, ne paie pas ». Son homologue de l’Intérieur est d’accord : « Il faut donner aux préfets le pouvoir de fermer les entreprises de blanchiment » Et « le délinquant trafiquant doit pouvoir être expulsé de son logement » (sans préciser s’il pense uniquement au logement social ou s’il inclut la location privée).
Mesures de sensibilisation des consommateurs
Les mesures évoquées par les deux ministres ciblent également les usagers de drogues, « sans qui il n’y a pas de trafic de drogue et donc pas de réseau et donc pas de criminalité organisée »a souligné Didier Migaud. Le ministre de la Justice a donc annoncé un « campagne de communication (…) pour révéler les liens entre l’usage de stupéfiants, la violence des trafiquants et les délits qui en découlent ». Il demande également que les amendes encourues par les consommateurs soient «être plus prononcé et systématiquement récupéré».
Entreprises et administrations, sur lesquelles le trafic peut « prendre du soutien » grâce à la corruption, ne sont pas en reste. Un plan anti-corruption élaboré par l’Agence française de lutte contre la corruption sera présenté « dans quelques semaines »a annoncé le ministre de la Justice. De son côté, Bruno Retailleau voulait « dès le début de l’enquête, nous (pouvoir) expulser les agents publics du lieu où ils travaillent lorsqu’ils sont soupçonnés de corruption ».