« Ce qui me rend heureux, c’est de ne plus être passif »

Comment vas-tu ?

En ce moment, c’est difficile d’être optimiste. Mais je me bats pour ça ! Quand par exemple j’allume la radio et que je n’entends que la guerre, j’ai l’impression de faire un saut dans le passé et je me dis que l’humanité n’avance pas. Même quand on en est loin et qu’on se sent privilégié, on est pris dans cette ambiance… alors on essaie de garder notre petit jardin. Mon refuge, c’est la montagne : je peux y faire de la randonnée, du parapente, de l’escalade et oublier que le monde va mal. Je pourrais m’y enfermer pour vivre tranquillement et égoïstement, mais ce qui me rend heureuse, c’est de ne plus être passive !

Chaque matin, j’ai envie de me lever pour transmettre quelque chose de bien. J’ai toujours essayé de le faire avec les deux enfants de mon ex-compagnon, qui sont comme les miens : Hugo, 27 ans, que j’aide à rénover une maison, comme je l’ai fait moi-même, et Eva, 24 ans, passionnée par le monde de la culture, que j’accompagne dans son projet de devenir musicienne. Mettre mes compétences au service de l’intégration de jeunes réfugiés est venu dans le prolongement de tout cela. Aujourd’hui, c’est mon moteur.

Comment se passe la rentrée à 3aMIE ?

Je veux parler d’une scène qui me trotte dans la tête depuis longtemps. Avant que nos élèves rejoignent notre atelier d’électricité et de carrelage, nous les interviewons pour savoir s’ils maîtrisent suffisamment le français et s’ils sont suffisamment motivés. La dernière fois, nous avons vu arriver un groupe de personnes qui dormaient dans la rue : elles étaient complètement perdues, déphasées et déstructurées. L’une d’elles n’osait pas me regarder dans les yeux et cachait son visage quand elle me parlait, l’autre ne pouvait se résoudre à parler d’autre chose que de la mort de son père. Je me suis sentie tellement bête de leur parler de formation pour l’année prochaine alors qu’elles ne savaient même plus qui elles étaient !

Cela m’a d’abord rappelé que je n’étais qu’une goutte d’eau dans l’océan de leur parcours et puis cela a fini par me booster pour être la goutte qui compte ! C’est important car depuis un an, le nombre de jeunes dans cette situation augmente à Grenoble. Cette année, le défi est d’autant plus grand qu’il faut revoir notre programme : les exigences du CAP ont été revues à la hausse et cela nous a valu quelques échecs.

À qui fais-tu confiance ?

D’un point de vue personnel, j’ai une chance incroyable : j’ai une famille adorable et des amis de longue date, sur lesquels je peux toujours compter. Quand il s’agit de résoudre nos problèmes, les politiques ont perdu ma confiance. L’exemple vient d’en bas : en mettant un pied dans le monde associatif, j’ai découvert un réseau de petites structures qui font un travail extraordinaire pour combler les manques de notre société. Elles sont le socle du pays ! Ici, par exemple, nous sommes en train de changer de locaux et ma collègue Stéphanie a passé toute une partie de l’été à bricoler pour offrir les meilleures conditions d’accueil à des jeunes qui n’ont plus rien. Cette énergie me donne confiance.

Avec qui aimeriez-vous prendre l’apéro ?

Avec le cinéaste Raoul Peck. Après une vie de travail manuel, prendre du temps pour une activité intellectuelle était essentiel. Depuis que je suis à la retraite, je commence ma journée par la lecture, j’apprends l’italien pour renouer avec mes origines familiales, je prends des photos dès que je peux. J’aime aussi beaucoup le cinéma et celui de Raoul Peck me touche. Je ne suis pas ton nègrebasé sur les écrits de James Baldwin, c’est un peu un film de chevet pour moi. (rires). Il est filmé et monté de façon remarquable et analyse avec beaucoup de finesse et de sensibilité la manière dont certains exercent leur pouvoir sur les minorités. Je me verrais bien boire un verre et discuter avec lui le temps d’une soirée !

Quel est le dernier événement qui vous a marqué dans l’actualité ?

Des images et des récits de bombardements sur des civils. Que ce soit au Moyen-Orient, en Ukraine ou au Soudan. Quand on s’intéresse un peu à l’histoire et qu’on regarde les chiffres, on se rend compte que la guerre tue de plus en plus d’innocents. C’est un massacre qui ne dit pas vraiment son nom et qui me touche profondément ! Je n’ai pas vraiment de moyen d’agir, mais j’en parle autour de moi et je vais dans les manifestations. Cela renforce chaque jour mon envie de m’engager auprès des populations qui fuient leur pays.