Un rapport d’une firme indépendante révèle les témoignages de sept femmes qui parlent de contacts ou de commentaires forcés attribués à l’abbé Pierre entre 1970 et 2005. Des faits qui pourraient être considérés comme des agressions et du harcèlement sexuels.
Choc et émotion. L’abbé Pierre est aujourd’hui la cible d’accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement. C’est ce que révèle, mercredi 17 juillet, un rapport réalisé par le cabinet indépendant Egaé, créé par la militante féministe Carole de Haas, qui lutte contre les violences sexuelles et sexistes, à qui une enquête a été confiée par Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre.
Ce cabinet a interrogé une dizaine de personnes. Au final, six femmes ont évoqué des attouchements sur la poitrine. Une septième a évoqué des propos déplacés et connotés de la part de celui qui fut longtemps la personnalité préférée des Français. Une situation, selon les conclusions du rapport, rendue publique ce mercredi, qui était connue de nombreuses personnes.
· Pourquoi une enquête sur l’abbé Pierre ?
En juin 2023, une femme contacte les responsables du réseau Emmaüs, qui lutte contre l’exclusion et le mal-logement. Elle évoque les événements qu’elle dit avoir subis, des événements que l’on pourrait qualifier d’attouchements et d’agressions sexuelles. À la fin des années 1970, la famille de cette jeune fille invite régulièrement l’abbé Pierre. Les parents sont des amis de l’homme d’Église. Elle raconte que ce dernier, de 50 ans son aîné, lui a touché les seins à plusieurs reprises. À l’époque, la jeune fille est mineure, âgée de 16 et 17 ans.
Selon le récit de cette femme, plus tard en 1982, alors qu’elle était adulte, elle fut invitée à participer avec lui à un voyage en Italie. À son retour, elle accusa l’abbé Pierre, décédé en 2007, de l’avoir forcée à l’embrasser avec « sa langue » et de manière « brutale ». Ces faits pourraient être qualifiés par la justice d’agression sexuelle.
Après avoir pris connaissance de cette histoire, le mouvement Emmaüs a sollicité en février dernier le cabinet Egaé pour l’assister dans la conduite d’une enquête sur ces potentiels événements et d’autres possibles.
· Quels autres faits ont été rapportés ?
Entre avril et juin, le groupe Egaé, qui œuvre pour l’égalité des sexes, la lutte contre les discriminations et la prévention des violences sexistes, sexuelles et morales, a interrogé 12 personnes. Sept ont déclaré, sous couvert d’anonymat, avoir été victimes de violences commises par l’abbé Pierre. Les faits les plus anciens évoqués remontent à 1970. Les plus récents datent de 2005, alors que l’homme d’Eglise avait 92 ans.
Elles décrivent toutes un modus operandi similaire, un homme qui agit de manière opportuniste lorsqu’il se retrouve en compagnie de ces femmes dans un bureau ou une chambre d’hôtel, et son obsession pour les seins. « Il m’a tripoté le sein gauche », témoigne l’une d’elles. « Alors que nous parlions de travail, il a posé ses mains sur ma poitrine, mes seins. Cela m’a surprise, en même temps, je n’ai pas osé faire de commentaire. Je ne m’attendais pas du tout à ce geste », confie une autre femme interrogée. « Une fois, en 2005, nous étions à Florence, il était alors en fauteuil roulant. Quand je suis allée le saluer, il m’a touché les deux seins », révèle encore une autre personne.
Elles sont six au total à dénoncer ces gestes voire propositions à caractère sexuel. « Il était allongé sur le lit, il m’a proposé de venir m’allonger. Je lui ai dit ‘non, non, on y va’. Il s’est levé », a témoigné la première femme à avoir porté des accusations. La septième évoque des messages sexistes. L’une de ces femmes évoque les répercussions psychologiques de ces actes sur sa vie.
· L’enquête est-elle terminée ?
L’enquête menée par le cabinet Egaé révèle également qu’au moins cinq autres personnes, potentielles victimes, ont été identifiées mais n’ont pas encore été entendues, soit parce qu’elles ne l’ont pas souhaité, soit parce qu’elles n’ont pas pu l’être. A cela s’ajoutent les témoignages de personnes qui disent avoir été témoins ou avoir été destinataires de signalements à l’époque.
Par ailleurs, il est précisé que plusieurs personnes ont été informées que l’abbé Pierre avait un comportement inapproprié envers des femmes, sans nécessairement avoir connaissance de la réalité des violences commises. « L’expertise du groupe Egaé nous amène à penser qu’il y a sans doute d’autres personnes concernées, dans des proportions difficiles à estimer », ajoute le cabinet dans son rapport.
Le cabinet reconnaît toutefois la difficulté de son travail en raison de « l’ancienneté des faits » et du « décès il y a 17 ans de la personne en question », ce qui complique « l’accès aux témoignages et empêche l’application du principe du contradictoire ».
Emmaüs a rapidement mis en place une ligne d’écoute, joignable au 01.89.96.01.53 et un mail emmaus@groupe-egae.fr pour recueillir de nouveaux témoignages.
« Si nous avons choisi de rendre ces faits publics, c’est pour deux raisons, a réagi Bruno Morel, président d’Emmaüs France dans une vidéo diffusée sur X. D’abord, par respect pour les victimes qui ont eu le courage de témoigner. Il était essentiel pour nous de les écouter, de leur dire que nous les croyons et que nous sommes de leur côté. Ensuite, par souci de transparence avec le grand public. »
Côté judiciaire, pour l’heure le parquet de Paris affirme n’avoir reçu aucun signalement ni plainte.
· Que disait l’abbé Pierre de son vivant ?
L’abbé Pierre avait reconnu avoir rompu son vœu de chasteté. « J’ai connu le désir sexuel et sa satisfaction très rare », avait-il déclaré dans un livre d’entretiens publié en 2005 par Frédéric Lenoir.
Avec Marc-Olivier Fogiel dans l’émission On ne peut pas plaire à tout le mondeEn 2005, il parlait d’une « faiblesse », d’un « incident passager ». « Certaines positions extrêmes d’engagement dans le culte de Dieu, (…), des vies comme celle que j’ai été amené à vivre ne sont pas possibles », disait-il aussi.
· Quelle est la réaction de l’Église ?
Comme pour le mouvement Emmaüs, la « position » de l’abbé Pierre, cité 16 fois comme personnalité préférée des Français, « ne saurait dispenser du nécessaire travail de vérité », écrit la Conférence des évêques de France dans un communiqué. « En attendant de prendre connaissance du rapport publié, la CEF tient à assurer les victimes de sa profonde compassion et de sa honte que de tels actes aient pu être commis par un prêtre, et réitère sa détermination à se mobiliser pour faire de l’Eglise un #refuge », est-il écrit.
Au sein du mouvement Emmaüs et de la Fondation Abbé Pierre, ces révélations créent une explosion.