Un magistrat a été présenté vendredi à un juge d’instruction pour être mis en examen, notamment pour trafic d’influence et détournement de fonds publics, à la demande du procureur de Nice.
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Un sujet particulièrement sensible. Hélène Gerhards, magistrate à la cour d’appel d’Agen (Lot-et-Garonne), a été déférée devant un juge d’instruction pour mise en examen, vendredi 5 avril.
L’enquête, ouverte en janvier 2021, a abouti à l’arrestation d’Hélène Gerhards mercredi. Elle est poursuivie pour vingt chefs d’accusation, allant du trafic d’influence au détournement de fonds publics, en passant par le blanchiment de délits. Franceinfo résume ce que l’on sait de cette vaste affaire de corruption.
Une enquête qui prend racine dans une affaire de banditisme corse
Avant de travailler à la Cour d’appel d’Agen, Hélène Gerhards a exercé plusieurs fonctions. Parmi eux, celui d’une juge d’instruction à Ajaccio (Corse du Sud), entre 2011 et 2016, période durant laquelle elle a pu tisser « une relation étroite avec un individu très défavorablement connu des forces de l’ordre », selon un communiqué du parquet de Nice. Il s’agit de Johann Carta, proche du groupe criminel corse dit « Petit Bar », selon les informations de France 3 Corse.
Johann Carta a été mis sur écoute en août 2020, dans le cadre d’une enquête menée à Marseille par la juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée. Selon les informations de Mondele nom de la magistrate revient au fil de plusieurs échanges téléphoniques, au point que les soupçons commencent à peser sur elle.
En particulier, l’implication de Johann Carta dans « travailler dans une villa dont elle était l’occupante située sur la rive sud d’Ajaccio », explique le communiqué du parquet de Nice. Les conversations téléphoniques permettent également « s’interroger sur les éventuelles contraintes susceptibles de peser sur certains prestataires concernés » sur le chantier, continue le parquet.
Outre les pressions prétendument subies par les ouvriers lors des travaux effectués dans la résidence secondaire d’Hélène Gerhards, les contacts du juge avec d’autres « personnes connues de la police » semblent inquiétants. Le magistrat « aurait pu, outre des conseils juridiques, rechercher et communiquer des informations concernant des procédures en cours ou des données de dossiers »poursuit les poursuites.
Ces découvertes conduisent à l’ouverture d’une enquête, diligentée par le parquet de Nice, début 2021, pour « usage en bande organisée des services de personnes effectuant un travail dissimulé », « blanchiment de fraude fiscale », « activité et trafic d’influence passif des autorités judiciaires » et « association de malfaiteurs en vue de préparer ces délits »… Ce n’est que le début d’une liste qui ne cessera de s’allonger au fur et à mesure des enquêtes.
Le magistrat soupçonné d’avoir détourné plus de 100 000 euros
Grâce aux analyses de documents bancaires, à l’exploitation des supports numériques et aux perquisitions effectuées fin 2022, les enquêteurs comprennent que des sommes importantes pourraient également avoir été détournées. Le montant total des arnaques « pourrait être valorisé à plus de 120 000 euros »chiffre le parquet de Nice.
Pour arriver à une telle somme, Hélène Gerhards aurait combiné les stratagèmes. Il lui est notamment reproché d’avoir usé de son statut de juge d’instruction « d’établir de fausses commissions d’expertise et de fausses ordonnances fiscales en désignant fictivement des proches en vue d’obtenir indirectement et indûment le paiement de sommes au titre des frais de justice liés à la réalisation d’expertises fictives ».
Autre technique qu’elle est soupçonnée d’avoir utilisée : « L’identité et les comptes bancaires des au pairs présents (à son) « La maison aurait pu être utilisée dans le cadre de détournements de fonds publics basés sur ces faux ». Enfin, le communiqué de presse affirme que « les fonds détournés auraient pu être utilisés pour réaliser diverses opérations de recouvrement » de la villa d’Ajaccio.
Le juge nie presque tous les faits allégués
Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales vont ensuite interpeller Hélène Gerhards à l’un de ses domiciles, le 3 avril 2024. « Placée en garde à vue, elle a accepté de faire des déclarations et répondu à quelques questions en contestant au préalable toute infraction et tout manquement à ses obligations professionnelles », a précisé le parquet de Nice. Elle a fini par reconnaître « uniquement consultation illégale de données à des fins lucratives » de Johann Carta.
Dans un article de Mediapart publié le jour de son interpellation, l’ancienne juge d’instruction affirmait n’avoir vu que « cinq ou six fois » cet homme, et ne l’avoir jamais rencontré lorsqu’elle vivait en Corse. Elle a également déclaré que l’individu, « charmant avec les enfants », lui avait été présenté sous le nom «Johanne» par un artisan mobilisé sur son chantier. Elle prétendait avoir « panique » ayant compris de qui il s’agissait « en 2022 ».
Le 4 avril, ses avocats Caty Richard et Yann Le Bras ont interrogé, dans un communiqué transmis à l’AFP, «sur un éventuel règlement de compte au sein de la justice»suggérant que leur client pourrait être « victime d’une opération destructrice dans laquelle l’autorité judiciaire s’en sort à tout prix ». Cette enquête semble avoir été initiée par « un ancien supérieur » du magistrat, ont-ils dénoncé, évoquant un possible « conflit d’intérêt ».
Ils ont également fustigé les méthodes « aussi injustifiées sur le plan juridique qu’inutilement violentes »avant de déplorer « fuites » informations dans les médias, qui mettent en évidence « souligne étrangement son lien avec l’actuel garde des Sceaux », Éric Dupond-Moretti. Ils font ici référence à l’enquête Mediapart, qui avait notamment mis en lumière le réflexe d’Hélène Gerhards lors de la saisie de son ordinateur : téléphoner au garde des Sceaux. Interrogé par les médias d’investigation, le magistrat « refusé » a passé cet appel.
Le parquet a requis sa mise en examen et son placement en détention provisoire
Pas moins d’une vingtaine de chefs d’accusation accusent Hélène Gerhards, soupçonnée d’avoir commis ces délits et crimes entre 2008 et 2022. Le procureur de Nice, Damien Martinelli, a requis sa mise en examen pour les onze premiers délits de la liste. Parmi eux, l’usage de faux en écriture publique ou authentique, le recours aux services d’une personne effectuant un travail dissimulé en bande organisée, le trafic d’influence, le détournement de la finalité de fichiers de données personnelles, l’association de malfaiteurs en vue à la préparation et à la commission de délits, voire à la complicité de violation du secret professionnel.
Le magistrat a été présenté devant un juge d’instruction, qui se prononcera sur la demande du parquet. Ces derniers avaient également demandé le placement d’Hélène Gerhards en détention provisoire, notamment pour « éviter les pressions sur les témoins ou les victimes », « une consultation frauduleuse entre les personnes concernées » aussi pour « mettre fin à l’infraction et empêcher sa reconduction ».
Le juge d’instruction n’étant pas compétent pour se saisir de la question, c’est le juge des libertés et de la détention qui sera saisi, dans le cas où Hélène Gerhards serait mise en examen.