« Ce que j’ai vu à Gaza dépasse l’entendement » : Aurélie Godard, médecin dans l’enfer de Gaza
« Enfer. » En douze ans et plusieurs missions humanitaires en Irak et au Yémen, Aurélie Godard n’a jamais été confrontée à une telle situation. « Malheureusement, ce n’est pas mon premier pays en guerre. En revanche, ce que j’ai vu à Gaza va au-delà de l’entendement, va au-delà de ce à quoi j’étais préparé, de ce qu’on nous en raconte, de ce qu’on voit parfois fugacement dans les médias en France. explique l’anesthésiste-réanimateur de l’hôpital d’Annecy (Haute-Savoie). L’engagement de ce médecin de 42 ans, originaire du Finistère, auprès de Médecins sans frontières remonte à 2012.
Depuis le 7 octobre 2023, Aurélie Godard s’est rendue à deux reprises dans l’enclave palestinienne. Elle a dispensé des soins dans les centres de santé de Rafah et Khan Younes. « Je ne suis ni historien, ni journaliste, ni avocat. La seule légitimité de mon témoignage réside dans ce que j’ai vu sur place : un paysage apocalyptique avec des bâtiments éventrés, en ruine, des villes sans rues, sans eau, sans électricité. »
Des problèmes de santé colossaux
Dès le 9 octobre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, déclarait : « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence. » Cette déclaration était accompagnée du premier ordre israélien d’évacuer le nord de Gaza, obligeant plus d’un million de civils à fuir vers le sud.
Human Rights Watch dénoncé à l’époque « une invitation à commettre des crimes de guerre ». Pour Aurélie Godard, la stratégie israélienne est claire : « L’avenir des Gazaouis est soigneusement anéanti. Des hôpitaux, des écoles et des structures publiques ont été détruits. L’objectif est de rendre la bande de Gaza inhabitable. »
Elle s’arrête un instant puis continue. « Les problèmes de santé sont colossaux. À cela s’ajoute un système de santé qui est méthodiquement démantelé. En conséquence, nous essayons de boucher tous les trous d’un bateau en perdition au fur et à mesure qu’ils apparaissent. Mais le bateau continue de couler. »note-t-elle.
En janvier 2024, quand Aurélie Godard part pour la bande de Gaza, tout manque : l’eau manque, la nourriture manque, tout comme les médicaments, les équipements et les produits de santé. Après trois mois de bombardements, d’opérations militaires et de déplacements forcés de population, la crise humanitaire est déjà flagrante.
Dès son arrivée, elle a d’abord soigné des patients à Rafah, au sud de l’enclave, avant de gagner le nord du territoire, une région dévastée et quasiment impossible d’accès. Chaque jour, le ministère de la Santé compte le nombre de décès. Une litanie de chiffres qui « entasser »dénonce Aurélie Godard, mais restent abstraites.
Son travail sur place ? « Soigner les blessures, brûler les patients, réaliser des interventions chirurgicales. Il est également nécessaire de prodiguer des soins orthopédiques approfondis et de traiter de multiples blessures dans tout le corps. »
Khan Younes, une ville fantôme
Malgré l’horreur de cette première mission, elle décide de retourner à Gaza du 7 avril au 23 mai. Presque aucune hésitation, « en solidarité avec les équipes palestiniennes, médecins, infirmières, sages-femmes avec lesquelles nous travaillons et qui font preuve d’une résilience et d’un dévouement admirables ». Elle dit que parfois ses collègues palestiniens ont des moments d’absence et s’en excusent. Comme ce jour où l’un d’eux lui dit : « Désolé, mais aujourd’hui, je ne suis pas à mon meilleur. Au cours des quarante derniers jours, j’ai perdu quatre de mes frères. » Avant de partir soigner un autre patient. « Ces gens font l’histoire »chuchote-t-elle.
Lors de leur deuxième mission, les services d’urgence de Gaza ont découvert un charnier dans le complexe médical Nasser à Khan Younes : 180 cadavres ont été déterrés. La ville « était devenue une ville fantôme » à l’exception du « plusieurs tentes où les familles tentent de survivre, dans des conditions désastreuses » qui ont conduit à la réapparition d’épidémies disparues comme la polio, faute de gestion des eaux usées et des déchets.
« Heureusement, nous étions entourés de 200 médecins, infirmiers, pharmaciens. » Depuis ces missions, elle affirme sans sourciller « que le nombre de décès ne soit pas surestimé. C’est même quatre à dix fois plus important, elle croit. Les personnes qui ont besoin d’une césarienne ou d’une chimiothérapie n’y ont plus accès. Cela s’ajoute aux milliers et milliers de blessés coupés en morceaux par les bombes. ». Aurélie Godard a repris son travail à l’hôpital d’Annecy en Haute-Savoie, mais assure que si l’occasion se présente elle retournera à Gaza sans l’ombre d’une hésitation.
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