Ce projet d’usine de batteries « XXL » électrise les débats
Elle a été créée il y a une dizaine d’années pour la manutention d’éléments pour les éoliennes terrestres, un projet qui n’a finalement jamais vu le jour. Le port fluvial de Grattequina, sur les rives de la Garonne au nord de Bordeaux, pourrait être relancé avec un projet d’usine de raffinage de matériaux pour batteries de véhicules électriques.
Une première phase de consultation publique est en cours, jusqu’au 20 mai, pour la modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU). Il s’agit essentiellement de permettre à ces terrains, situés sur les communes de Blanquefort et Parempuyre mais appartenant au Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB), de passer d’urbanisables « à long terme » à urbanisables immédiatement.
Une modification du PLU à laquelle s’oppose un collectif d’habitants, arguant que ces terrains sont en partie situés en zone inondable. En fin de semaine dernière, ils ont lancé une pétition en ligne, « Non à l’implantation au cœur de Bordeaux Métropole d’une raffinerie Seveso à haut risque. »
Près de 500 millions d’euros d’investissement
Dévoilé il y a environ un mois, le projet EMME, pour « Electro Mobility Materials Europe », consisterait à implanter sur ce site d’une trentaine d’hectares, une usine de raffinage de nickel et de cobalt « XXL », en vue de fabriquer des sulfates de nickel et de cobalt, nécessaire au fonctionnement des cathodes de batteries pour véhicules électriques. Des chiffres d’environ 480 millions d’euros d’investissements, pour 200 à 300 emplois créés, circulent ces derniers jours.
La mise en service est prévue pour 2028. L’usine pourrait alors convertir 20 000 tonnes de nickel et 1 500 tonnes de cobalt par an, ce qui en ferait « l’un des premiers sites spécialisés dans les applications batteries en Europe et en France ». peut-on lire dans la déclaration d’intention du projet.
Un coup de pouce pour le port de Bordeaux
Une source proche du dossier explique à 20 minutes que « le site et laboratoire EMME en Gironde, grâce à la délocalisation de cette étape de production appelée raffinage, contribuerait à réduire le déficit industriel de la France et de l’Europe, en rendant les batteries de nos véhicules électriques plus vertueuses ». Ce « segment de raffinage du nickel et du cobalt » est en effet « souvent réalisé en Chine », ce qui a « un impact environnemental trois fois supérieur au raffinage réalisé en Europe ». L’ambition d’EMME n’est pas seulement de délocaliser, mais « d’aller encore plus loin en utilisant les meilleures technologies disponibles et de réduire au maximum cet impact ».
Pour le port de Bordeaux, « ce projet correspond à notre stratégie de transformation industrielle, puisqu’il s’inscrit dans notre démarche d’accueil des industries de demain, et dans le cadre de la démarche de la région Nouvelle-Aquitaine qui cherche à structurer une filière batteries, » explique à 20 minutes Jean-Frédéric Laurent, directeur du port. « Par ailleurs, il y a une volonté du porteur du projet de maximiser l’utilisation de la voie fluviale et maritime pour le transport des matériaux, que ce soit pour l’approvisionnement ou la redistribution des produits transformés (via l’océan puis l’estuaire de la Gironde). Cela devrait correspondre à 5 000 conteneurs par an, ce qui est relativement important pour le port de Bordeaux qui traite 25 000 conteneurs par an. »
Et les boues ?
Pourtant, localement, une partie de la population est fortement opposée à ce projet. « Pour l’instant le dossier ne nous renseigne pas sur le fonctionnement de cette usine : des études des impacts sur l’eau, le sol, l’air et le bruit seront réalisées ultérieurement, tandis que l’installation sera classée Seveso, c’est-à-dire extrêmement dangereuse avec risques d’incendie, d’explosion, de pollution… », peut-on lire sur la pétition.
Contacté par 20 minutes, membre du collectif, Jean-Marc Farthouat, souligne « qu’il s’agira en réalité d’une raffinerie, qui utilisera un procédé de montée en température pour traiter le produit, avec des rebuts ». Par ailleurs, « nous sommes dans une zone marécageuse », rappelle cet habitant de Parempuyre. « Pour réaliser ce projet industriel dans cette bande de terrain entre route et Garonne, il faudra remblayer sur une vingtaine d’hectares pour atteindre une hauteur de plus de deux mètres, pour que le plancher de l’usine soit au-dessus de la cote maximale. . C’est comme si nous installions une grande digue à cet endroit, ce qui nous amène à nous demander comment seront traitées les deux jalles qui servent à drainer les eaux excédentaires de la ville… »
Jean-Marc Farthouat demande enfin comment « seront traitées les boues (résidus de matériaux non valorisés) ? » La déclaration d’intention du projet indique que, « à terme », le site « pourrait faire l’objet d’agrandissements futurs, proposant de convertir des matériaux recyclés issus de batteries ou de pertes de production ».
Compensation agricole et naturelle
Jean-Frédéric Laurent assure que « de nombreux travaux sont actuellement menés pour limiter l’imperméabilisation des sols, qui seront de 12 hectares sur un projet de 30 hectares. » Par ailleurs, « les études réalisées à ce stade montrent que les effets probables en cas de submersion ne génèrent que des surcotes de quelques millimètres, dans des zones limitées autour du site industriel ». Enfin, il rappelle que « toutes les zones agricoles (détruites) ont déjà été entièrement compensées » lors de la création du terminal, « et qu’il reste les zones naturelles, qui seront également compensées. »
Si le directeur du port juge « normal » que les riverains « se posent toutes ces questions », il suggère que « toutes les études environnementales seront réalisées avant l’étape du permis de construire et celle de l’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). » Pas sûr que cela suffise pour le moment à calmer le jeu.