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À mesure que nos émissions de gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère et entraînent une augmentation des températures moyennes de notre planète, la glace polaire fond et se déverse rapidement dans les océans. Cela a pour effet d’accélérer la montée des eaux : alors qu’elle était de 1,3 millimètres par an entre 1901 et 1971, elle a été mesurée à 3,7 millimètres par an entre 2006 et 2018. Cependant, les projections du niveau d’eau pourraient être sous-estimées en raison de phénomènes physiques. amplifiant la fonte des glaces.
L’Antarctique est un continent couvert d’immenses glaciers qui glissent vers la mer sous l’influence de leur propre poids. Lorsqu’ils atteignent la mer, ils continuent leur écoulement puis flottent à la surface de l’eau : c’est ce qu’on appelle les plates-formes de glace. De vastes étendues d’eau (jusqu’à la taille de la France) sont recouvertes par ces épaisses couches de glace, formant des mers sous-glaciaires. Or, ces derniers sont suspectés de pouvoir s’échauffer brutalement, fragilisant les plateformes qui limitent l’écoulement des glaciers.
L’impact de la fonte de ces plateformes sur la montée des eaux serait bien sûr important, car il déstabiliserait le glacier en amont sur la roche, mais il faut aussi souligner que le rejet massif des eaux de fonte dans l’océan Austral pourrait perturber la circulation mondiale de l’océan, et ont des effets qui se répercutent jusqu’au nord de l’océan Atlantique.
En effet, de par sa position centrale, l’océan Austral constitue un élément clé du système climatique. Il est constitué d’un ensemble de mers continentales jouxtant les côtes de l’Antarctique, ainsi que du courant circumpolaire antarctique, forcé par de puissants vents d’ouest entre le 60e et 80e parallèles de l’hémisphère sud. Ce courant contrôle la montée des eaux profondes et chaudes des océans tropicaux Atlantique, Pacifique et Indien vers l’Antarctique, les amenant jusqu’aux mers continentales où les glaces fondent.
La sensibilité de la fonte des glaces à la température des mers sous-glaciaires
En Antarctique, la fonte des banquises est principalement due à la chaleur transmise par les mers sous-glaciaires. Aussi, la température de l’eau sous la glace est déterminante pour estimer la vitesse de fusion. Plus précisément, c’est la différence entre la température de solidification de l’eau de mer (environ -2°C car salée) et la température de la mer sous-glaciaire qui compte.
Ainsi, l’eau de mer qui se réchauffe de -1°C à 0°C double la différence au point de solidification, ce qui a des conséquences considérables sur la fonte.
Deux types de masses d’eau peuvent pénétrer dans les cavités sous-glaciaires. Tout d’abord, les eaux profondes et chaudes d’origine tropicale, dont les températures sont généralement comprises entre -1°C et 2°C. Deuxièmement, les eaux froides de surface, en contact avec l’atmosphère polaire glaciale, dont les températures varient de -2°C à -1°C. L’infiltration d’eau chaude dans les cavités sous-glaciaires entraînerait un amincissement puis une disparition des plates-formes de glace. Les glaciers continentaux qu’ils retiennent, comme le bouchon d’une bouteille couchée retient le vin, seraient alors libres de s’écouler rapidement dans les eaux polaires.
Cependant, l’intrusion d’eau chaude dans les mers sous-glaciaires n’est pas nécessairement fatale. Dans l’Antarctique occidental, ces eaux denses parviennent à atteindre et à faire fondre la partie profonde des plates-formes de glace, obligeant les glaciers à reculer. Mais dans l’Est de l’Antarctique, cette même tentative est souvent contrecarrée par la formation de banquises dues à la présence de vents froids en surface. En effet, lorsque l’eau de mer gèle, seule l’eau se transforme en glace, laissant de grandes quantités de sel en surface. Ainsi, ces eaux froides de surface deviennent de plus en plus denses et coulent jusqu’au fond des océans, remplaçant les masses d’eau chaude et réduisant considérablement la fonte sous les plates-formes de glace.
Le réchauffement climatique pourrait provoquer un changement irréversible en empêchant les eaux froides de surface de s’écouler
Récemment, des études scientifiques ont suggéré que le changement climatique pourrait favoriser le passage des cavités froides aux conditions chaudes. En effet, un changement de vent ou une augmentation de la température atmosphérique pourrait réduire la formation de banquise et donc d’eau dense susceptible de couler.
Une telle transition serait déjà potentiellement à l’œuvre sur la plateforme Dotson, où l’observation des variations de température et de salinité des océans pourrait être la signature d’un changement de régime. Dans l’Est de l’Antarctique, des simulations numériques montrent que la cavité Filchner-Ronne pourrait se remplir d’eau à -1°C plutôt qu’à -2°C comme c’est le cas actuellement. Une transition vers des conditions chaudes accélérerait la disparition de cette plateforme qui retient 10 % du volume de glace de l’Antarctique, susceptible de faire monter le niveau de la mer de plus de 5 mètres.
L’une des craintes liées à ce type de transition est la non-réversibilité du processus. En effet, lorsque des flux d’eau chaude pénètrent dans la cavité, la fonte accrue de la plateforme provoque la formation d’eau douce moins dense qui se retrouvera en surface, qui ne coulera pas pour remplacer l’eau chaude en profondeur. . Nous nous trouvons face à ce que nous appelons un point de bascule climatique : à partir d’un certain seuil de modification climatique, ces cavités glaciaires peuvent soudainement se remplir d’eau chaude, de manière irréversible.
La turbulence impose le mélange des eaux chaudes et froides mais reste mal comprise
Pour l’heure, ces changements de régime restent incertains. En effet, les modèles climatiques globaux décrivent mal la physique du mélange de l’eau de fonte avec l’eau de mer. Ce mélange se produit par le mouvement désordonné et chaotique de l’eau à petite échelle, appelé turbulence. Pourtant, c’est ce mélange qui est à l’origine de cette valse entre eaux de surface et eaux profondes. En particulier, ce sont les turbulences qui dictent la fonte basale de la plateforme, qui alimente les eaux de surface en eau peu salée et froide, puis l’intensité de la plongée de ces eaux de surface, chargées en sel, par gravité.
Prédire la vitesse de fonte basale des plates-formes de glace nécessite de savoir si l’eau de fonte froide reste en contact avec la glace pour former une couche isolante ou si au contraire elle est évacuée au fur et à mesure de sa fonte. fond et cède la place à l’eau océanique plus chaude. Et cela dépend de nombreux paramètres : la salinité, la température, les turbulences océaniques et la géométrie de la plateforme.
Prenons l’exemple d’une plate-forme de glace plate, flottant sur une masse d’eau chaude salée au repos. L’eau chaude transfère sa chaleur à la glace par diffusion qui commence à fondre. L’eau de fonte étant plus douce, elle est moins dense et reste prise en sandwich entre le toit formé par la plateforme et l’océan salé. Il remplit ici efficacement son rôle d’inhibiteur de fonte. Mais si on y ajoute un courant marin suffisamment puissant, alors le mélange des deux masses d’eau est activé par les turbulences et cette couche protectrice disparaît. De même, si la banquise n’est plus plate mais inclinée, alors l’eau de fonte commencera à monter le long de la pente en raison de sa légèreté et exposera à nouveau directement la glace à la chaleur de la glace. ‘océan.
La plongée en eau dense (salée) est également difficile à prévoir car les turbulences peuvent fonctionner dans les deux sens. D’une part, le mélange vertical peut entraîner la couche superficielle d’eau froide vers le bas. En revanche, le mélange latéral – toujours par turbulence – des eaux de surface avec les eaux moins denses du large pourrait les alléger et empêcher leur plongée profonde.
Trois approches pour comprendre la fonte sous les plates-formes de glace
Certaines études portent sur la collecte de données de terrain, la réalisation de bilans de masse à l’aide d’observations satellitaires ou encore les déplacements sur place pour sonder la salinité, la température et la vitesse des courants sous les banquises. Ces expéditions sont coûteuses et donnent accès à des informations éparses mais sont essentielles pour comprendre la réalité du terrain en Antarctique.
Au Laboratoire de Physique de l’ENS Lyon, nous tentons de reproduire et de compléter ces observations en réalisant des simulations numériques à haute résolution, puis en fournissant une prédiction du comportement des plateformes et des écoulements associés. Cependant, certains phénomènes restent numériquement trop coûteux à résoudre. C’est pourquoi nous développons également des expériences physiques, dans l’environnement contrôlé du laboratoire pour isoler et étudier ces phénomènes.
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