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« Ce n’est pas moi, c’est mon corps, pas mon cerveau »… Les deux visages de Christian L.

Au tribunal correctionnel du Vaucluse,

Presque chaque matin, Christian L. prend place dans le box des accusés. Invariablement, il s’assoit sur la banquette du fond, près de la fenêtre. Alors que la majorité des hommes jugés pour les viols commis contre Gisèle Pelicot n’assistent qu’aux audiences les concernant, il a demandé au président du tribunal correctionnel du Vaucluse d’être sorti chaque jour de sa cellule. « Comprendre », explique cet homme au physique frêle, facilement reconnaissable à sa longue barbichette brune, qui a fêté ce jeudi ses 56 ans.

Depuis l’ouverture du procès, Christian L. – qui s’est rendu à Mazan en février 2019 – nie les faits. Et ce, alors même qu’il les avait reconnus lors de sa garde à vue. « Ce n’est pas moi dans les vidéos, c’est mon corps, mais pas mon cerveau », a-t-il déclaré mercredi après-midi alors que le tribunal tentait de comprendre sa personnalité. « C’est un viol physique mais dans mon esprit et dans mon cerveau, je n’avais pas l’intention de commettre un viol », précise ce pompier professionnel, identifié sur les images grâce au haut d’uniforme qu’il portait lors de l’acte. Assise derrière ses avocats, Gisèle Pelicot ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel, visiblement consternée.

« Ne sois pas trop dur avec lui. »

Christian L. est particulièrement éloquent lorsqu’il s’agit de parler de sa vie. Celui « d’avant ». Son « enfance idyllique » dans un village du sud de la France, entouré de parents « aimants » et « dévoués ». Des jeunes années dignes d’un « livre de Pagnol », insiste-t-il. L’école, ce n’est pas vraiment son « truc » mais à 16 ans, il a déjà une vocation : devenir pompier. Les bras croisés dans le loge, il raconte en détail sa riche carrière, les différentes missions ou opérations notables, jusqu’à l’obtention de son titre d’officier. Deux de ses anciens collègues sont venus témoigner à la barre ce jeudi : dans l’industrie, tout le monde l’estime. Ce travail, jure l’accusé, a failli provoquer sa chute, l’amenant à s’épuiser à force d’accomplir tant de missions et d’être confronté à des drames. « J’ai 4 000 morts dans ma carrière », insiste-t-il.

Son père ne voit pas non plus d’autre explication pour comprendre comment son fils – un garçon « avec le cœur sur la manche », « gentil », « serviable » – aurait pu se retrouver impliqué dans une telle affaire. « Le métier y est pour beaucoup », estime cet homme de 85 ans, aux cheveux blancs ébouriffés et à l’épaisse moustache qui se déplace avec des béquilles. « Pour moi, il s’est laissé exploiter. Par fatigue, par faiblesse… » Tout « cela, insiste-t-il, n’est pas chrétien ». Avant de repartir se rasseoir, le vieil homme interpelle le tribunal, comme un plaidoyer, avec des sanglots dans la voix : « Ne soyez pas trop dur avec lui. »

« Pays mythique »

C’est tout pour le côté queue. L’homme est beaucoup moins bavard lorsqu’il s’agit d’évoquer un côté plus sombre de sa vie. Son ex-femme, mère de ses deux filles, a évoqué devant les enquêteurs des « violences conjugales ». Il reconnaît du bout des lèvres « des chaises qui ont volé » le soir de leur séparation. « Mais pas seulement par moi », insiste-t-il. Ses infidélités ? Il les explique par l’absence de relations sexuelles après la naissance de leur deuxième enfant, en 2007. « Dans cette situation, je me suis dirigé doucement vers l’infidélité. » Au moment des faits, il était pourtant de nouveau en couple. « Une mauvaise habitude. »

Christian L. jure avoir vécu une dizaine d’expériences libertines mais détaille précisément le fonctionnement et l’évolution de Coco depuis les années 1990. « Au fil des années, le site s’est dégradé, avec tous les escrocs et prédateurs », souligne-t-il. Et il assure : « C’est devenu un pays mythique. » Alors pourquoi n’a-t-il pas été méfiant lorsque Dominique Pelicot l’a taclé ? « Y a-t-il souvent des hommes mariés qui font violer leur femme pendant dix ans ? Non, nous sommes tombés sur la mauvaise personne», s’agace-t-il.

L’accusé se réfugie derrière les codes du libertinage, expliquant que dans le « milieu », « c’est toujours l’homme qui est derrière son clavier, qui assure la sécurité de sa femme ». Pourquoi n’a-t-il pas demandé l’accord de Gisèle Pelicot lorsqu’il l’a vue profondément endormie ? Il évoque, comme beaucoup avant lui, un « scénario », précise qu’il a déjà eu des relations libertines dans lesquelles il n’échangeait pas un mot avec ses partenaires. Mais ces derniers ont donné, par leur comportement, un consentement tacite, insiste le tribunal. Ce n’est pas le cas de Gisèle Pelicot. « On arrivera à un mode compliqué si on ne fait plus confiance à personne. Allons-nous demander à quelqu’un de signer un papier ? », dit-il bouleversé.

Pédocriminalité

Plus le tribunal l’interroge sur le fond de l’affaire, plus Christian L. s’énerve. « Quand vous avez passé quarante ans de votre vie à sauver des gens… » grogne-t-il. Il donne le sentiment que sa carrière et ses faits d’armes le protègent des accusations portées contre lui. « Cela fait trois ans et dix mois que je suis en prison », déplore-t-il… sans préciser qu’il est également poursuivi pour détention d’images d’abus sur des enfants. « Il y a quatre photos qui posent problème. Quatre», se défend-il.

L’homme oublie de dire que cette partie du dossier est un peu plus épaisse qu’il ne le laisse entendre. Les enquêteurs ont retrouvé plusieurs conversations sur Skype datant de 2016 et 2017 dans lesquelles il demande à un père si sa fille de 15 ans veut « essayer 21 cm », traite de « coquine » une fille de 9 ans qui l’a fait « jouir » ou suggère à un interlocuteur de chercher des « sous-vêtements de salope » pour un rendez-vous avec sa fille. Quelle est sa taille, demande-t-il ? « 1,04 m. » Il nie avoir écrit ces messages, assurant que bien sûr, il utilisait ce pseudo sur d’autres plateformes mais pas sur Skype. Quant aux conversations qu’il a eues avec sa compagne pour qu’elle récupère en urgence cet ordinateur, il jure qu’il cherchait à obtenir des documents administratifs. Il sera de nouveau entendu ce vendredi sur le fond de l’affaire.

Cammile Bussière

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