Chronique au pays de l’élection présidentielle permanente. « Aux élections européennes, une réponse européenne », a répété le Président avant les résultats de dimanche. Nous sommes donc surpris. On est surpris de voir ce changement de direction, on est surpris par cette dissolution, on est surpris par tout ce bruit. Mais de quoi sommes-nous surpris, exactement ?
Depuis 2022 (au moins !), il ne se passe pas un jour sans que tout le monde, journalistes, associations, politiques, évoque 2027 comme la seule perspective enviable du débat public. Rien n’est jamais décidé, et les élections ne changent plus grand chose : tout n’est que tumulte permanent, remaniements électoraux, équations en tous genres.
Alors, on sort les tableurs, et on se lance : qui, Tartempion ou autre, est capable de gagner à la prochaine présidentielle ? Alliance des droits ? Front populaire ? Rassemblement du « raisonnable » ? Dès lors, comment reprocher à Jordan Bardella qui, fort de son succès, réclame la dissolution de l’Assemblée nationale, une sorte de « 3e tour de 2022 ou des primaires pour 2017 » (Christophe Seltzer) ?
La maladie du présidentialisme
Cette immaturité, non, cette maladie qu’est le présidentialisme, la grossièreté infantile qui veut réduire la vie politique au plébiscite d’un seul homme, tue à petit feu notre pays. Cette dissolution en est déjà le symptôme. L’échec personnel devient un échec national. » Dimanche je l’ai pris pour moi », ont rapporté les propos du Président. » J’ai lancé ma grenade non épinglée sur leurs jambes », ajoute-t-il selon Le Monde, et il ne l’a pas lancé dans une direction hasardeuse : vers le Parlement. Une énième manifestation du mépris historique de Jupiter pour la représentation nationale, un énième rejet de sa propre responsabilité sur des députés déjà fragilisés, comme le souligne une prochaine note du think tank GénérationLibre.
Cette centralité de la figure présidentielle ne va pas sans sa toute-puissance. Utilisant le « Off » pour exprimer sa lassitude auprès de ses lieutenants, se plaignant sans cesse, en mauvais manager incapable de déléguer, de devoir toujours tout faire tout seul, lui proposant de faire trois interventions par semaine jusqu’aux élections, le Président perpétue la pratique. d’omniprésence. « Syndrome du patronage », m’a dit un ami. Le syndrome de Daronage également. On voit ainsi le Président dire à une foule d’écoliers : « c’est un peu mon petit frère », en parlant de Gabriel Attal…
Le bonapartisme a gagné
Une pratique personnelle pourrait-on dire, qui pourrait donc être modifiée. Au contraire, le macronisme n’est-il pas l’aboutissement d’institutions vouées depuis le début à cette dérive présidentialiste ? Cette pratique, agitatrice des passions, carburant de la frustration démocratique, est là, depuis l’origine, dans nos institutions. Réputé à la fois chef du gouvernement, leader de la majorité parlementaire, faiseur de prix et de salaires, chevalier de la lutte contre le chômage, maître de la politique industrielle, au fond réceptacle de toutes les questions, espoirs, colères, le chef de l’Etat, bienheureux avec l’onction populaire, se voit consacrée comme le pivot exclusif de nos institutions.
La multitude d’intérêts et d’idées divergents, ainsi que son réseau complexe d’interactions au sein d’une séparation claire des pouvoirs, ont été remplacés par la solitude d’un seul homme. Il ne reste, pour la société civile, que la haine personnelle et, pour la classe politique, le seul horizon pour être calife à la place du calife. Voilà pour l’immaturité.
Cette conception plébiscitaire du pouvoir imprègne toute la classe politique : elle expliquait déjà l’incapacité à construire des majorités de compromis, sur fond de partis obsédés par la stratégie à adopter dès 2022 pour 2027, dans le futur plutôt que maintenant ; elle explique aujourd’hui le geste d’Éric Ciotti qui a lancé seul contre tous dans une alliance avec le Rassemblement national, la dissolution comme enjeu électoral centré sur la personne présidentielle, la purge des députés inféodés à Jean-Luc Mélenchon, et un Jordan Bardella en appelant pour une majorité absolue. C’est le bonapartisme qui a vaincu le libéralisme de Constant.
Double assassinat
Par essence, nos institutions sont populistes. Il y a une élection présidentielle permanente en raison du face-à-face perpétuel entre un homme et la foule. Raymond Aron pour le rappeler : « Lorsqu’un homme semble absorber en lui le sort de l’État, sinon celui de la patrie, il faut toujours craindre une explosion soudaine. « .
Et c’était sans compter le caractère tripartite de la vie politique. Le pari du « en même temps », sorte de prétention à rassembler toutes les personnes acceptables au sein de la classe politique, s’est fait au prix d’un double assassinat. Ce n’est pas seulement la substitution du Parti Socialiste et des Républicains comme structures de formation du personnel politique par des sectes personnelles qui est à déplorer, mais la disparition d’un espace politique fondé sur l’alternance entre la gauche et la DROITE. Au lieu de cela, nous avons un centre vortex, asphyxiant toutes les nuances intermédiaires, non réformateur, s’accordant la rationalité par défaut et distribuant des brevets de républicanisme.
Le système démocratique reste cependant fondé sur la dynamique de l’alternance. Soit par lassitude, soit par avantage comparatif grâce aux oppositions, dont la posture minoritaire facilite la critique. Et si la gauche et la droite meurent, les extrêmes demeurent des alternatives. La boucle est bouclée.
Un État en crise
« L’État nous doit-il quelque chose ? « . Drôle de nouvelle sur la matière de philosophie du Baccalauréat cette année. Il nous doit son existence. Mais dans la Cinquième telle qu’elle est devenue, la formule s’inverse, et il semble qu’on doive tout aux présidents successifs, comme si de Gaulle, Mitterrand ou Chirac avait fait la France.
De ce renversement du rapport qui lie l’État à la société civile on assiste au déploiement progressif de la domination de l’État, s’étendant peu à peu à tous les secteurs de la société selon un principe d’inertie ; où les droits devraient être restreints à volonté, en raison du terrorisme, de l’urgence climatique, des Jeux Olympiques ; où l’on peut sans sourciller envoyer le BRAV-M matraquer les gauchistes quand il manifeste pour l’écologie tout en laissant les agriculteurs libres dans leurs excès ; où la garantie des bons droits cède devant des institutions où la volonté d’un seul homme prime sur tout le reste ; où tout s’effondre, du maintien des principes du droit pénal aux libertés publiques, de la garantie de la dignité dans un pays où la pauvreté explose en même temps que le salaire minimum, où les services publics les plus élémentaires semblent parfois ne plus fonctionner tenir bon; où une séparation compromise des pouvoirs va de pair avec une confusion des fonctions. Ce n’est donc pas l’Assemblée nationale qu’il faut dissoudre, mais la Ve République.