« Ce ne sont plus les électeurs RN qui se taisent, ce sont ceux de gauche »
Dissolution. Dissolution. Julien (il n’a pas voulu donner son nom) répète encore une fois le mot. Il ne peut pas y croire. « La dissolution m’a réveillé. Je me suis dit : ça y est, c’est ma chance. » Julien est un grand garçon timide à la barbe brune d’une trentaine d’années, qui pétrit une liasse de tracts du Nouveau Front Populaire (NFP) avec l’air de ne pas savoir quoi en faire. « Allez, donne-m’en un, tu me fais regretter. » plaisante une femme sous un parapluie rose. Julien est tellement ému qu’il n’entend pas, elle doit lui prendre le papier des mains. Elle travaille dans un collège, ici à Bourges, dans le Cher. Électeur de gauche. Très impatiente d’exprimer son vote, mais pour qui ? Déterminé à éviter une catastrophe nationale, mais laquelle ?
Elle évoque ce sentiment à la fois de flou et de gravité, du silence pesant dès qu’il est question de politique à la cantine, alors qu’une excitation irrépressible monte à l’approche du vote. A deux jours du premier tour des législatives, les 30 juin et 7 juillet, les procurations sont près de 3 000 à Bourges, contre 600 pour les élections européennes. Elle veut aussi y participer, mais c’est tellement douloureux. Accepterait-elle de témoigner en sa faveur ? « On n’y pense pas, avec la situation ! Nous vivons dans des petites villes et à la campagne, pas à Paris. »
Pour Julien, c’est le premier jour de sa première campagne, remorquage et porte-à-porte. « Tous ces gens qui viennent vers moi, je ne sais pas comment me comporter, je ne me sens pas à l’aise »il a dit. Depuis cinq ans, il travaillait à domicile pour une société informatique, une vie recluse, des amis qui s’éloignaient un à un, le téléphone silencieux. Pour côtoyer le monde, peut-être, il s’était risqué à assister à une manifestation sur les retraites un après-midi d’hiver 2023. Sa mère lui avait dit : « Êtes-vous syndiqué ? » Elle le transperça de son regard. « Je pense qu’elle aurait préféré savoir que j’étais gay. Je viens d’une famille de droite, qui défend la valeur du travail. » Lorsqu’une candidate de La France insoumise (LFI) du Nouveau Front populaire a lancé un appel sur les réseaux sociaux pour sa campagne dans le 3e Circonscription du Cher, Julien venait d’être fraîchement licencié. Une pensée lui traversa l’esprit : « Je vais rencontrer des gens. »
Ce jour de juin, une dizaine de bénévoles se sont retrouvés au Val-d’Auron, un quartier au sud de Bourges, au bord d’un grand lac. Autrefois quartier résidentiel chic, il est progressivement devenu une zone prioritaire. Des jeunes et fougueux militants LFI constituent le gros de l’équipe, ambiance conviviale. « Quand on est jeune, on est LFI », s’enthousiasme Nicolas Malin, en congé sans solde dans l’informatique. Il revient d’une campagne de distribution de tracts. Dégoûté. « Ils m’ont craché dessus, même si je viens du coin. » Emma Moreira est la plus jeune du groupe : 21 ans, veste en jean taillée en bustier, piercing, étudiante aux Beaux-Arts de Bourges. La candidate du Nouveau Front populaire, c’est elle, les galons gagnés à la tête des mobilisations contre Parcoursup ou la réforme des retraites.
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