Ce magasin visé par une enquête à Rennes : « Un terrible engrenage »
« C’était une spirale terrible. » Plusieurs mois après les événements, Adélaïde ne s’emporte pas. Après avoir acheté un smartphone reconditionné dans le magasin spécialisé Hubside Store, au centre commercial Colombia, la Rennaise estime avoir été victime d’une « arnaque pure et dure ».
« Au moment de mon achat, le vendeur a insisté extrêmement pour que je prenne une carte de fidélité payante », se souvient la jeune fille. « Sur le papier, c’était vraiment intéressant car je ne me suis inscrit que pour six mois et j’ai immédiatement bénéficié de nombreuses réductions et avantages cadeaux. Je pensais que je gagnais sur l’achat du téléphone.
Plusieurs échantillons
Mais rien ne se passera comme prévu. « Au bout de quelques semaines, les choses ont mal tourné. Alors que l’abonnement était censé me coûter 100 € par mensualité, j’ai dû payer 200 € le 2ème mois, puis 450 € le mois suivant, et encore environ 250 € par la suite. Ces opérations bancaires apparaissent même parfois sous le nom d’une autre société. « J’ai été scandalisé et j’ai fini par réussir à tout bloquer auprès de ma banque. Quand je suis allé au magasin pour expliquer, on m’a dit que c’était un problème informatique qui venait du siège.
Cela n’a rien changé
Depuis, malgré ses multiples relances, Adélaïde attend toujours le remboursement de la somme de 859 € par l’entreprise. « J’ai aussi envoyé une lettre de mise en demeure mais cela n’a rien changé. Depuis que cela m’est arrivé, je regarde mes comptes bancaires tous les jours. Je suis extrêmement vigilant.
Packs de fidélité
Comme Adélaïde, d’autres Rennais ont témoigné des pratiques menées dans les magasins du réseau Hubside. Il s’avère que la méthode est presque toujours identique. Des vendeurs extrêmement insistants tentent de faire signer aux clients des contrats d’assurance contenant des informations incomplètes ou des packs de fidélité payants. « On m’a remis un flyer m’informant que je recevrais une batterie externe gratuite lors de mon passage en magasin », raconte un autre Rennais qui se déclare victime. « Au final, je me suis retrouvé à quitter mon RIB après avoir souscrit un abonnement quelques minutes plus tard et je l’ai amèrement regretté. »
Parmi les témoignages que nous avons recueillis, la majorité font état de débits bancaires qui ne correspondent pas à ce qui a été signé. « Une fois qu’on leur donne nos coordonnées bancaires et qu’on signe quelque chose, c’est fini », raconte Fabrice*. Pendant plusieurs mois, il s’est vu facturer près de 1 000 € de plus que prévu avant de parvenir à annuler.
Argumentation imparable
Pour amener les clients à signer ces contrats, les vendeurs disposent d’un argumentaire très bien construit. « Ils répétaient que c’était sans engagement et qu’on pouvait annuler tout de suite », confie Adélaïde. Sauf qu’une fois passé la vitesse, il s’avère très difficile d’en sortir. « On a appelé des dizaines de fois, on nous a dit que le licenciement avait été pris en compte mais c’était faux, il fallait toujours rappeler et envoyer des courriers. »
Ancien employé de la boutique Hubside à Rennes, Antoine* raconte les coulisses. «Tous les vendeurs savent très bien ce qu’ils font. Ils reçoivent des primes en fonction du nombre de contrats qu’ils signent chaque mois. Les techniques de vente sont très efficaces, j’ai vu pas mal de personnes entrer dans le magasin pour une raison précise et repartir après avoir signé un contrat dont elles n’avaient pas besoin au départ.
Des clients ravis
Durant ses quelques mois passés dans le magasin, Antoine affirme avoir été témoin de scènes surprenantes. « Chaque jour, des clients venaient se plaindre. Notre mission était de les rassurer en leur disant que nous allions arranger ça. Certains étaient parfois très en colère et je voyais déjà le gérant du magasin se cacher dans le débarras pour éviter la confrontation. Dégoûté par les pratiques du magasin, Antoine quitte définitivement l’entreprise fin 2023.
Derrière le réseau Hubside, qui compte plusieurs dizaines de points de vente en France, on retrouve le groupe Indexia, une société spécialisée dans le courtage d’assurances basée à Romans-sur-Isère, dans la Drôme. Anciennement appelée SFAM, l’entreprise a déjà eu des démêlés avec la justice. En juin 2019, elle a été condamnée à une amende record de 10 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses.
Un grand procès à Paris
A la tête de ce groupe tant décrié : l’homme d’affaires Sadri Fegaier, dont la fortune professionnelle est estimée à deux milliards d’euros, selon le magazine Challenges. A la suite d’une vaste enquête par prévention des fraudes, un nouveau procès pour pratiques commerciales trompeuses attend son entreprise et ses nombreuses filiales (Hubside, Foriou, Celside, Cyrana et Serena) devant le tribunal correctionnel de Paris du 23 septembre au 2 octobre 2024. Dans un document de la cour d’appel de Paris de septembre 2021, on apprend que la DGCCRF a reçu plus de 700 plaintes concernant le groupe et ses filiales, rien qu’entre septembre 2019 et mai 2020. Pour la première fois, le groupe risque une condamnation pénale.
A Rennes, les critiques se multiplient contre le magasin ouvert il y a trois ans dans le centre Colombie. Il faut dire que la réputation de la marque la précède. « Dans la galerie, tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne fait rien », murmure un commerçant. « Quand je vois que certaines victimes ont perdu plusieurs milliers d’euros, ça me met tellement en colère », confie Simon, un ancien client. « C’est choquant que ce magasin soit toujours ouvert. »
Enquête ouverte
La justice est pourtant sur place. Contacté par Le Télégramme, le parquet de Rennes indique qu’une enquête, menée par répression des fraudes, est en cours après le dépôt de quatre plaintes. « Une précédente plainte impliquant ce même magasin de Rennes avait déjà été traitée en 2023 par les services de la DDPP 35, avant d’être transmise au parquet de Paris », précise Philippe Astruc, procureur de la République de Rennes.
Comment les implanter dans la rue ?
Contactée par mail, la direction du groupe se défend en rappelant que « le nombre de réclamations représente moins de 1% de près de deux millions de contrats signés en 2023 ». « La politique qualité a toujours été de fournir un service en adéquation avec les attentes des clients. Nous travaillons au quotidien pour limiter le nombre de réclamations en améliorant les processus de vente et en renforçant les contrôles. Nous effectuons environ 1 500 contrôles par mois (enquêtes de satisfaction, visites mystères en magasins…). Si des anomalies surviennent, ce que nous regrettons, nous les identifions et appliquons les mesures correctives appropriées.
Quant à l’antenne locale de l’UFC Que Choisir, on déplore le faible nombre de plaintes contre le magasin. « Or, nous voyons des dizaines et des dizaines de personnes venir nous demander de l’aide après avoir été escroquées sur des contrats d’assurance ou des abonnements. Le problème est que de nombreuses victimes hésitent à engager une action en justice lorsque le litige ne dépasse pas 1 000 €. C’est vraiment triste. On ne comprend pas comment un magasin avec de telles pratiques peut avoir pignon sur rue en plein centre-ville de Rennes.»
Un avenir en pointillés
Interrogée sur le sujet, la direction du centre colombien enfonce le clou. « Le centre commercial ne souhaite pas commenter la situation de cette enseigne, car les facteurs ne sont pas liés au centre lui-même. Nous nous efforçons d’offrir la meilleure expérience d’achat possible à nos visiteurs et veillons à proposer des marques de qualité attendues par les visiteurs. Leur satisfaction est notre priorité.
Selon nos informations, l’avenir du magasin est toutefois incertain. Une fermeture dans les semaines à venir est prévue. Ces derniers mois, plusieurs magasins du réseau ont été contraints de fermer leurs portes dans toute la France en raison de loyers impayés. Et pendant ce temps-là, les créanciers s’accumulent. Mi-mars, le groupe Indexia a été cédé par l’URSAFF pour une dette de près de 12 millions d’euros. L’affaire a été renvoyée au 24 avril devant la chambre du tribunal de commerce de Paris.