Cauchemar des pompiers, les incendies de batteries lithium-ion se multiplient
Avez-vous un smartphone, un ordinateur portable, cosses d’air ou une cigarette électronique ? Peut-être avez-vous un scooter, un vélo ou une voiture électrique ? Il y a fort à parier que tous ces articles contiennent des batteries lithium-ion. Une source d’énergie devenue incontournable, qui s’est installée en quelques années dans notre quotidien.
« Elles ont une densité énergétique remarquable : à poids équivalent, aucune autre technologie de batterie ne parvient à emprisonner autant d’énergie. »explique Damien Roubineau, expert en énergies nouvelles du Centre national de prévention et de protection (CNPP). À tel point que leurs inventeurs ont remporté le prix Nobel de chimie en 2019.
Une technologie qui promet également de révolutionner notre mobilité. Résultat : les industries s’en emparent et « gigafactories » les batteries au lithium poussent comme des champignons à travers l’Europe. Le problème est qu’avec l’essor de cette technologie autour de nous, le nombre d’incendies devrait augmenter.
Un incendie quasiment inextinguible
Scientifiquement, « la notion de risque est définie par la combinaison de la probabilité qu’un événement dangereux se produise et de la gravité de ses conséquences »explique Damien Roubineau. Heureusement, la probabilité qu’un emballement thermique provoque un incendie des batteries reste très faible, précise-t-il d’emblée.
« Ce phénomène est essentiellement déclenché par un chocexplique le lieutenant-colonel des pompiers professionnels Alain Laratta. Mais cela peut aussi être lié à une surcharge, à un défaut de fabrication ou à une agression thermique externe. » Une fois le processus lancé, il ne peut plus être arrêté. La chaleur produite va alors brûler la batterie elle-même, mais aussi son environnement : la poubelle, la table de chevet, le garage, etc.
Le savoir-faire des pompiers sera alors requis pour limiter la propagation des flammes, faute de quoi la source ne pourra être éteinte. Ainsi, le risque d’incendie d’une voiture électrique sur une route isolée sera très différent de celui d’une voiture garée dans un parking souterrain, dont l’incendie pourrait menacer de se propager à d’autres véhicules, fragiliser le bâtiment et enterrer les équipes de secours.
« En 10 ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont bondi de 150 % »
La fin de vie des batteries au lithium reste la plus problématique. Très dégradés et mal triés, ils sont responsables d’une augmentation spectaculaire du nombre d’incidents dans les déchetteries et les déchetteries. Selon les données du Bureau d’analyse des risques industriels et des pollutions, entre 2010 et 2019, les accidents dans les déchetteries sont passés de 14 à 24. % de déclarations.
« En 10 ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont bondi de 150 %, et dans 60 % des cas, ils surviennent dans les centres de tri »déplore la secrétaire générale de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), Géraldine Bulot.
« Les batteries en fin de vie sont équipées de systèmes de sécurité souvent moins efficaces que les batteries récentes, elles ont été déchargées et rechargées de nombreuses fois, ce qui a pu affecter leur stabilité, et elles ont probablement subi de nombreux chocs au cours de leur vie. . Tous ces paramètres augmentent le risque d’emballement thermique »explique le spécialiste en CNPP. « Souvent, c’est un mauvais geste de tri »dit encore Géraldine Bulot. Une simple carte d’anniversaire musicale alimentée par une petite pile au lithium et saisie par les pinces de la machine industrielle peut enflammer tout le centre.
Les accidents domestiques inquiètent également. A New York, les pompiers s’alarment d’un phénomène croissant. Entre 2020 et 2022, les incendies liés aux batteries Li-ion ont été multipliés par quatre (de 44 à 220), rapporte Libérer suite à un incendie dramatique. En 2023, 268 incendies de ce type ont tué 18 New-Yorkais et blessé 150 autres.
Pour lutter contre ce fléau, le service des transports de la ville a choisi d’éduquer et de sensibiliser la population aux risques d’incendies liés aux batteries lithium-ion et de faciliter l’installation de bornes de recharge pour vélos et trottinettes électriques. dehors. La France n’échappe pas au phénomène, l’Association nationale des usagers de la micromobilité a déjà recensé au moins 49 incendies déclenchés par des batteries de scooters depuis le début de cette année.
Le risque d’incendie des parkings couverts inquiète également les autorités françaises. Car si l’incendie d’une voiture électrique reste bien moins fréquent que celui d’une voiture thermique, son extinction sera plus longue (2 heures 30 minutes en moyenne, au lieu de 28 minutes) et plus difficile, le feu pouvant redémarrer pendant plusieurs heures. après une première extinction.
Selon un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), les incendies survenus au cours des dix dernières années (comme celui de Liverpool, où quelque 1.400 voitures ont été carbonisées) montrent que la conception des parkings souterrains a été devenir obsolète. Les auteurs recommandent à la fois de renforcer les normes de sécurité incendie de ces parkings mais aussi de revoir les scénarios de lutte contre les incendies.
Un million de voitures électriques françaises par an
Rares, les accidents en début de chaîne restent aussi les plus impressionnants. En juin dernier, une explosion dans une usine de fabrication de batteries au lithium en Corée du Sud avait tué 22 personnes. Le bâtiment abritait quelque 35 000 batteries.
Un an plus tôt, en juillet 2023, le cargo Autoroute Freemantle avait pris feu au large des Pays-Bas alors qu’il transportait un demi-millier de voitures électriques alimentées par des batteries au lithium, tuant un marin et menaçant plus de 10 000 espèces terrestres et aquatiques dans la mer de Walden. En France, plusieurs entrepôts sont également partis en fumée dans un immense panache noir, à Grand-Couronne (Seine-Maritime), à Viviez (Aveyron) et à Saint-Consorce (Rhône), suite à l’incendie de batteries.
D’ici 2027, la France produira un million de voitures électriques par an, a promis Emmanuel Macron, en 2022. Grâce à une activité qui s’annonce florissante, plusieurs dizaines de projets de gigafactories de batteries au lithium ont été lancés. éclos partout en Europe : en Allemagne, en Norvège, en Suède, en Autriche… Et au moins quatre en France, à Douvrin, Dunkerque, Douai (Nord) et Mulhouse (Haut-Rhin). Trois des quatre projets français seront consacrés à la technologie Li-ion, qui équipe la majorité de nos véhicules et objets électroniques.
« Le cauchemar des pompiers »
Dans la banlieue de Mulhouse, la gigafactory du groupe Bolloré sera dédiée à la fabrication de batteries solides lithium-métal brevetées par le groupe. Cette technologie est destinée à la flotte de véhicules en libre-service ou de bus produits par le groupe. « Le cauchemar des pompiers »prévient le lieutenant-colonel Laratta. Car, bien que plus autonomes, ces batteries contiennent également plus de lithium, très réactif.
Pour lutter contre les incendies dans ces sites délicats, les pompiers rencontrent les plus grandes difficultés. En Australie, en 2021, il a fallu quatre jours aux pompiers pour éteindre l’incendie déclenché par une batterie Tesla de 13 tonnes. En 2020, à Perle-et-Castelet (Ariège), les pompiers se sont battus pendant 24 heures avant d’éteindre l’incendie.
A l’époque, le bureau d’enquête avait examiné RTE pour le manque de préparation. Le problème est que« il est impossible d’arrêter l’emballement thermique une fois démarrédit Alain Laratta. Attends juste que la batterie soit épuisée ». Sur un incendie de véhicule, « nous agirons pour protéger les cibles : les occupants, les secours, et les cibles environnantes, comme le garage »ajoute-t-il.
Dans le cas d’un entrepôt, il faudra également déployer des quantités d’eau astronomiques pour protéger la structure alors que les systèmes de sécurité ne sont pas encore suffisants. Cependant, pour le moment, « il existe encore beaucoup d’incertitudes quant à l’efficacité des systèmes d’atténuation (1) concernant les incendies de batteries lithium-ion. Et nous ne sommes actuellement pas en mesure de garantir qu’un système d’extinction sera capable de contenir de tels incendies en toutes circonstances. »prévient Damien Roubineau.
Des conséquences environnementales peu connues
Face à des incendies de cette ampleur et qui tardent à s’éteindre, les conséquences environnementales sont malheureusement mal connues, explique Paul Poulain. « D’une part, l’intoxication par les fumées émises lors de la combustion des batteries reste très mal évaluée. Mais aussi la pollution des sols, liée notamment à la grande quantité d’eau utilisée pour laver l’incendie et limiter la propagation du feu. »
L’Anses vient également de lancer une consultation afin de proposer une réglementation sur le lithium et les sels de lithium, notamment parce qu’ils présentent des risques avérés sur la reproduction, des propriétés de perturbateur endocrinien et des risques de toxicité pour l’environnement. aquatique.
En 2023, l’incendie de 12 000 batteries au lithium à Grand-Couronne a nécessité pour son extinction des centaines, voire des milliers de mètres cubes d’eau pompés dans la Seine à 500 mètres de là. Début 2024, le site était encore rempli d’eau polluée. Ce site n’a toujours pas été entièrement nettoyé et menace toujours de polluer les eaux souterraines. Le 9 octobre, la justice a ordonné à Bolloré Logistics de procéder au nettoyage d’ici la fin de l’année.
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