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« Caprice de riche », collaboration commerciale, coût écologique… Pourquoi « Kaizen », le documentaire d’Inoxtag sur son ascension de l’Everest, est controversé (mais un succès)

La vidéo qui suit l’ascension de l’Everest par le YouTubeur de 22 ans a fait sensation auprès de ses fans. Mais les critiques dénoncent l’impact écologique d’une telle aventure, et les contradictions dans le message véhiculé par le vidéaste.

C’est l’un des succès les plus impressionnants de l’histoire de YouTube. Inoxtag, vidéaste français aux plus de 8 millions d’abonnés, a fait exploser les compteurs de la plateforme avec sa dernière vidéo Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest ! Un long métrage de près de 2h30 qui suit l’entraînement et l’ascension du plus haut sommet du monde par le créateur de contenu de 22 ans, annoncé en février 2023 et dont la conclusion était restée secrète jusqu’alors.

Avec plus de 18 millions de vues sur YouTube en deux jours et plus de 300 000 entrées lors de son avant-première au cinéma, le « documentaire » bientôt diffusée sur TF1 a reçu un accueil élogieux de la part de sa communauté. Les commentaires des fans d’Inoxtag, de son vrai nom Inès Benazzouz, saluent le flux constant d’images impressionnantes et de musiques épiques, l’exploit physique, la promotion de l’alpinisme, ainsi que le message fort qui incite au dépassement de soi et à la recherche de nouvelles expériences. Mais chez les professionnels et sur les réseaux sociaux, les retours ne sont pas aussi élogieux. Franceinfo revient sur les principales critiques.

Parce que l’ascension n’est « pas si difficile » et qu’un grand-père et quelques adolescents l’ont déjà réussi.

L’ascension de l’Everest est-elle un « exploit » physique, comme le pensent de nombreux fans d’Inoxtag ? « Il faut rappeler qu’un garçon et une fille de 14 ans, ainsi qu’un grand-père japonais de 83 ans, ont également réussi à grimper là-haut. »a insisté pour L’équipe l’alpiniste et photographe Pascal Tournaire. Si on s’en donne les moyens, c’est accessible à toute personne en bonne santé qui se donne un peu de mal. Là, je ne vois pas où est l’exploit. »

Pour lui, le véritable exploit aurait été de réussir l’ascension sans l’aide d’oxygène. « Lors de mon ascension, j’ai passé cinq nuits à 8 000 m sans oxygène, j’ai trouvé ça extraordinaire. Avec de l’oxygène, au débit maximum, au sommet de l’Everest, c’est comme si on était seulement à 6 000 m… (L’alpiniste français) Benjamin Védrines déclare : « Aujourd’hui, gravir l’Everest avec de l’oxygène, c’est comme faire le Tour de France avec un vélo électrique. »

Inoxtag lui-même valide cette idée à la fin de son ascension, en estimant que « Ce sont eux qu’il faut féliciter ». Mais comme il nous le rappelle, ce qui compte pour lui, c’est d’être « mieux qu’hier » – et vu le rythme de vie décrit au début du long métrage, l’objectif est atteint, exploit ou non.

Parce qu’il risque d’accroître la surpopulation de l’Everest, « le Mont Saint-Michel à 8 800 m »

Les amoureux de la montagne craignent qu’un nouveau long métrage glorifiant l’ascension de l’Everest ne contribue à sa surpopulation déjà problématique. « L’Everest, c’est le Mont Saint-Michel à 8 800 m »juge Pascal Tournaire. « Inoxtag dénonce cette surpopulation, mais il y participe aussi, c’est schizophrène. Son film ne fera que développer cet engouement stupide. »

Interrogé sur franceinfo, l’alpiniste et guide de haute montagne François Damilano voit certaines critiques comme une forme de « snobisme »ou même « sectarisme »de la part « d’une partie du milieu, dont je fais partie, (…) d’avoir un regard extrêmement condescendant envers les gens qui rêvent d’atteindre ces grands sommets et qui s’y lancent à corps perdu ». « Dès le début, cela a divisé la communauté, comme s’il y avait de bons et de mauvais grimpeurs.« 

« Pourquoi serais-je, en tant que guide de haute montagne ou alpiniste, plus légitime qu’Inoxtag pour aller sur l’Everest ? »

François Damilano, alpiniste et guide de haute montagne

à franceinfo

Les scènes dans lesquelles le YouTubeur pointe du doigt la surpopulation de la montagne pourraient également sensibiliser son public, plutôt jeune et donc généralement loin du niveau de ressources nécessaires pour tenter l’ascension, à ce problème.

Parce que voyager a un coût écologique énorme

Voyages en avion ou en hélicoptère, emballages et déchets jetés dans des décharges sauvages… Les ascensions de l’Everest se font de plus en plus fréquentes, et avec elles, les conséquences écologiques de plus en plus lourdes. Mais en 2h30, Inoxtag n’évoque pas une seule fois les émissions de gaz à effet de serre que son projet entraîne, que ce soit pour atteindre l’Everest ou tout au long de son année d’entraînement.

Le vidéaste évoque brièvement les critiques sur les déchets générés par les alpinistes, au début du film, avec des extraits vidéo de ses détracteurs comme Pascal Tournaire ou le guide de haute montagne Marc Batard lors d’interventions sur les plateaux de télévision, ou lors d’une courte séquence sur la pollution générée par les occupants des camps sur le chemin de l’Everest. Sans vraiment y répondre.

Mais le peut-il vraiment ? Le problème dépasse le simple cadre de Kaizen. « Il faut interdire le sommet de l’Everest à toute tentative, comme le fait le Bhoutan pour les plus de 6 000 m de son territoire, et rendre à ce sommet sa solitude et son caractère sacré.affirme l’alpiniste Jean-Marc Rochette sur Instagram après la publication de Kaizen. Aucun exploit, avec (oxygène) ou sans (oxygène) Cela reste un viol ontologique, cette montagne n’est pas un stade, c’est une prière au ciel. »

Comme pour la surpopulation, il n’est pas certain que la vidéo d’Inoxtag pousse ses fans à prendre l’avion en masse pour le Népal pour tenter l’aventure, mais les conséquences de son ascension demeurent. « En attendant cette interdiction (de l’ascension) J’aimerais que ce que ce gamin a fait et ses larmes ne me dérangent pas, du moins pas plus que quiconque. (alpinistes)« résume Jean-Marc Rochette.

Parce qu’il s’agit d’une collaboration commerciale qui n’a pas été mentionnée dans la publication

Certains critiques, moins nombreux, soulignent également que le documentaire Inoxtag contient des publicités pour des produits et des marques qui ont participé au financement du projet. Une pratique qui appartient davantage au monde de YouTube qu’au documentaire, mais qui n’est pas exceptionnelle au cinéma.

Les marques sont créditées au générique, présentes dans le logo sans être explicitement mentionnées, mais clairement mises en avant à l’image dans quelques courtes séquences, durant lesquelles l’aspect commercial n’est pas précisé. La description initiale sur YouTube ne mentionnait pas non plus ces placements de produits, au mépris de la réglementation, avant d’être ajoutée plusieurs heures après la publication.

Parce qu’il utilise l’aide des Sherpas, payés plusieurs milliers d’euros « pour pouvoir vivre »

Inoxtag nous rappelle régulièrement que l’ascension de l’Everest ne peut se faire qu’avec l’aide des Sherpas, une ethnie originaire du Tibet dont sont issus de nombreux guides qui précèdent les alpinistes pour apporter tout le matériel nécessaire aux camps. Ils transportent également une grande partie de leurs affaires lors de l’ascension, au péril de leur santé et de leur vie.

De nombreux internautes soulignent le danger que représente Inoxtag pour ces guides et estiment que personnifier à ce point son ascension revient à exagérer son mérite, tandis que d’autres soulignent que les grimpeurs sont payés plusieurs milliers d’euros pour une ascension. Ce à quoi certains répondent que tout dans leur environnement et le faible niveau de vie du pays les pousse à cette activité lucrative au mépris de leur vie, et y voient une forme de néocolonialisme.

Inoxtag met en scène à plusieurs reprises les Sherpas dans sa vidéo, les présentant et discutant des poids qu’ils portent ou des risques qu’ils courent en montrant leurs blessures. « Nous, les Occidentaux, nous y allons pour le frisson. Nous y allons pour vivre. »dit le vidéaste. Après la sortie du documentaire, il a également fait un post sur X pour souligner que « Les plus grandes aventures se vivent toujours à plusieurs, rien ne se fait seul. On est toujours accompagné, de près ou de loin, par quelqu’un. »

Mais les internautes critiquent le fait qu’Inoxtag ne semble pas prendre de mesures concrètes pour remédier aux problèmes qu’elle met en évidence. Là encore, les critiques vont au-delà d’Inoxtag et peuvent s’appliquer à l’industrie touristique de l’Everest en général.

Parce que certains voient cela comme un « caprice d’homme riche »

De nombreux spectateurs apprécient le message véhiculé ouvertement par le vidéaste. Celui du dépassement de soi, pour lequel on peut réaliser ses rêves à force de volonté, « petit pas à petit pas ».

« On peut être maladroit dans la manière de faire. (Mais) si j’ai pu aider une centaine de jeunes, une centaine de personnes de 50 ans à se remettre sur pied, à avancer, c’est déjà une belle réussite. »

D’autres soulignent cependant que l’ascension de l’Everest n’est pas accessible à tous. Il faut compter des dizaines de milliers d’euros pour payer le voyage, l’équipement et les sherpas. « loisirs ultra-riches » ce qui, pour beaucoup, fait perdre au message initial une partie de sa portée. Le vidéaste le reconnaît sur France Inter : « Ce n’est pas facile pour beaucoup de jeunes (ou) de personnes plus âgées, nous n’avons pas tous eu la même chance (…) mais je veux quand même donner cette lueur d’espoir. »

Parce que certains le voient comme un vlog « égocentrique », en contradiction avec son message de déconnexion.

La vidéo est également très centrée autour d’Inoxtag : ses efforts, ses émotions, ses succès et ses échecs, dans la lignée des vlogs et des codes des stars de YouTube. De là à y voir une manière pour le vidéaste de mettre en avant sa personne plus que son aventure, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. « C’est très égocentriquePascal Tournaire râle. Les trois quarts du film c’est : ‘Regarde mon nombril’, ça ne va pas plus loin..

Inoxtag conclut par un discours de déconnexion, et appelle à « Démarrez des projets, arrêtez d’être derrière les écrans, faites défiler et vivez les autres »Un discours que les internautes jugent contradictoire pour un homme qui a bâti sa popularité sur YouTube – mais dont il semble impossible de se débarrasser tant qu’il utilise la chaîne qui l’a rendu célèbre, aussi important soit le message qu’il souhaite y diffuser. Lui-même reconnaît l’apparent paradoxe : « On peut continuer à passer du temps sur les écrans. C’est un outil incroyable (…), mais il faut mesurer les choses à leur juste valeur. »

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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