Cannes 2023. Wim Wenders, à l’aise dans les lieux d’aisance

Correspondant.
Au départ, il y a une proposition singulière, celle de réaliser quatre courts métrages autour des toilettes publiques d’un quartier de Tokyo. Les toilettes de la capitale japonaise comme matrice d’un film ? Un projet apparemment peu attrayant pour ceux qui ignorent leur importance culturelle au Pays du Soleil Levant. Mais, au Japon, ce sont de véritables lieux de bien-être, sans que le terme ne soit galvaudé. Wim Wenders connaît déjà la ville pour y avoir réalisé, en 1985, Tokyo Ga (1983), un documentaire dans lequel il part à la recherche d’images de Yasujiro Ozu, l’une de ses influences revendiquées.
Fasciné par le fond, peu convaincu par la forme, Wenders transforme le plan initial et s’attèle à l’écriture d’un long métrage avec le scénariste japonais Takuma Takasaki. Le temps réduit accordé au tournage, dix-sept jours, les a obligés à centrer l’histoire autour d’un personnage principal, Hirayama. Une obligation transformée en bénédiction. Des jours parfaits, c’est un peu « dis-moi comment tu t’occupes de nos toilettes, je te dirai qui tu es ». Et quand on voit le soin apporté par le protagoniste à leur entretien, on peut tout de suite admettre que cet Hirayama est un homme bon. Ici, les toilettes publiques sont élevées au rang d’œuvres d’art.
De plus, cet aménagement urbain élégant, fonctionnel et inventif a été conçu par des architectes de talent. Mais il y a d’abord cet homme méticuleux et presque muet, superbement incarné par Koji Yakusho. Wenders peut dédier son film au maître Ozu, Des jours parfaits évoque un voyage dans l’univers de Ryusuke Hamaguchi.
Chaque matin au réveil, toujours le même rituel
Hirayama se contente de peu. Chaque matin à son réveil, il accomplit le même rituel dans son modeste appartement. Il plie et range sa natte, se brosse les dents, se taille la moustache aux ciseaux et se débarrasse des poils au rasoir électrique. Il enfile son uniforme avec le logo « Tokyo Public Toilets » avant de prendre ses différents articles, toujours placés dans le même ordre.
Une fois dehors, il prend une canette de café au distributeur automatique et se dirige vers son minivan pour aller travailler. Un remake de Journée sans fin ? Certainement pas ! Wenders traque plutôt la beauté d’une vie quotidienne simple dans la nature, les rues labyrinthiques, les carrefours autoroutiers ou les komorebis (mot japonais pour la lumière du soleil qui filtre à travers les arbres) que Hirayama photographie avec son vieil appareil photo argentique.
Au fil des jours, sa personnalité prend forme. Il est consciencieux mais aussi d’une générosité sans faille, y compris avec Takashi, son jeune collègue immature et paresseux, toujours à la recherche de privilèges et d’argent pour séduire sa petite amie. Il a aussi ses habitudes. Il fréquente un boui-boui sympathique où il mange sur le pouce et regarde les matchs de baseball d’un œil distrait, et un bar en forme de QG où il sirote quelques verres et se fait chouchouter par la logeuse.
Il ne sort presque jamais de son silence même lorsque Takashi le couvre de mots. De même lorsqu’il l’emmène en road trip à la recherche d’un magasin pour acheter et vendre des disques. Car Hirayama est un passionné de musique, principalement américaine des années 1960 et 1970, qu’il écoute sur cassettes. Il court sur Patty Smith, Les Animaux, Otis Redding et, bien sûr, Lou Reed, à qui le film emprunte son titre.
Découvrez la culture japonaise par petites touches
L’histoire prend un nouveau tournant avec l’arrivée inattendue de Niko, sa nièce. Hirayama, qui avait jusqu’alors l’air impassible d’un clown triste, se réinvente. Et le film, dans une mise en scène qui joue encore plus sur les contrastes entre ombre et lumière, comporte quelques séquences et photos en noir et blanc. C’est une véritable leçon de cinéma de la part d’un réalisateur ouvert à d’autres champs artistiques comme la littérature, la musique, l’architecture.
Ce qui séduit dans ce film, c’est la capacité de Wenders à découvrir la culture japonaise par petites touches, sans jamais sombrer dans un regard exotique. Ce qui porte en Des jours parfaitsc’est la maîtrise du tempo du cinéaste dans un film composé comme une balade onirique dans les toilettes de Tokyo.
Serait-ce l’année de Wim Wenders ? Le cinéaste allemand, doublement présent à Cannes (Anselme, un documentaire 3D sur l’artiste Anselm Kiefer, est en séance spéciale), a en tout cas réveillé une concurrence ronronnante. Près de quarante ans après sa Palme d’or pour ParisTexas (1984), Wenders s’impose une nouvelle fois comme un candidat crédible au palmarès avec en vue un potentiel prix d’interprétation masculine, un prix de mise en scène, voire une nouvelle Palme.
Grb2