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Caméras intelligentes, drones, criblage… Pourquoi l’arsenal déployé pour surveiller les Jeux de Paris 2024 inquiète certains observateurs

Les associations de défense des libertés critiquent particulièrement l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique, dont elles craignent qu’elle perdure après les Jeux.

Faut-il choisir entre libertés et sécurité ? Le débat refait surface alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, détaille le dispositif de sécurité déployé pour les Jeux Olympiques et Paralympiquesà l’image de ses annonces, lundi 8 avril, sur l’encadrement de la cérémonie d’ouverture. Après la réévaluation du plan Vigipirate à son plus haut niveau, la priorité est claire : tout mettre en œuvre pour contrer la menace terroriste. Pour ce faire, les forces de l’ordre pourront s’appuyer sur une série de nouveaux outils technologiques, dont certains ont été autorisés par une loi adoptée spécifiquement en vue des Jeux, en avril 2023.

Caméras intelligentes, drones, QR Codes, dépistage… L’arsenal qui sera mobilisé suscite la polémique. Les associations de défense des libertés individuelles sont particulièrement préoccupées par l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA). La loi adoptée pour les Jeux autorise l’utilisation de cette technologie pour « toute manifestation récréative, sportive et culturelle« jusqu’en mars 2025, une décision vivement critiquée. « Les gens veulent la sécurité, mais ils ne réalisent pas le prix qu’ils paient »s’alarme Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes

C’est la première fois qu’un pays de l’Union européenne adopte un cadre juridique pour ce type de caméras augmentées. Equipés d’un logiciel d’analyse d’images, ils doivent permettre de détecter en temps réel des événements prédéterminés. Dans le cadre des Jeux, il s’agira d’identifier les comportements jugés suspects ou anormaux, comme les mouvements de foule ou les bagages abandonnés, et d’ajuster les protocoles de sécurité en conséquence.

« Lorsqu’il s’agit de renforcer la surveillance au sein de la police, il n’y a jamais de retour possible : le coût est trop élevé pour la politique. »

Serge Slama, professeur de droit public

sur franceinfo

Un comité directeur sera chargé, selon un décret, de transmettre au Parlement, « au plus tard le 31 décembre 2024 »un rapport d’évaluation qui servira à décider de l’avenir du VSA au-delà de 2025. Mais Serge Slama se dit préoccupé par la pérennité de cet outil, qu’il estime « inévitable » car il est difficile pour la classe politique de démêler les mesures de sécurité : il anticipe que le bilan qui en est tiré ne peut être « positif »et le VSA « généralisé dans les grandes villes et pour les grands événements« .

« A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels »

Un discours qui est aussi celui de la Quadrature du net, une association de défense des droits et libertés sur internet. L’une de ses membres, Noémie Levain, voit dans les changements législatifs et réglementaires adoptés pour les Jeux « l’intensification des contrôles souhaitée par la police », « les motivations économiques des entreprises du marché de la sécurité », Et « l’outil électoral que cela représente pour les communautés, qui se réjouissent de montrer qu’elles rétablissent ainsi l’ordre ».

Co-auteur d’une chronique publiée par le Examen politique et parlementairedans lequel il décrit les Jeux comme « le bac à sable de surveillance du futur », Alexandre Minot-Chartier voit dans la loi votée en 2023 « une volonté politique de participer à la surveillance numérique ». Pour cet avocat spécialisé en droit du numérique, s’être appuyé sur une société parisienne comme principal fournisseur de VSA pendant les Jeux vise à « combler le manque d’entreprises étrangères qui ont pris les devants dans ce secteur ».

« Les pays sont engagés dans une course à la sécurité numérique et la France souhaite y participer. »

Alexandre Minot-Chartier, avocat en droit du numérique

sur franceinfo

Face à ces détracteurs, Gérald Darmanin brandit la carte de la protection citoyenne. « A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels »a-t-il dit aux députés en mars 2023 de défendre le texte, défendant le VSA comme « un outil d’aide à la décision pour les forces de l’ordre ». Se voulant rassurant, il a rappelé que« il ne s’agit pas de reconnaître des personnes qui ont tel ou tel profil, (…) mais des situations prédéterminées ». Robin Médard Inghilterra, maître de conférences en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, se veut également rassurant. « On ne se rappelle presque jamais que le VSA est déjà abondamment mis en œuvre, et ce, sans cadre législatif dédié », souligne le chercheur spécialisé dans les questions de discrimination. Il considère toujours que l’attention médiatique sur cette pratique peut aider à sortir de cette situation. « logique du Far West » pour fixer des limites.

La CNIL, un garde-fou à l’efficacité contestée

Il faut dire que les caméras intelligentes, qui analysent en temps réel ce qu’elles filment dans l’espace public, ont déjà été largement scrutées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Elle a fait des recommandations dans un avis de décembre 2022 sur le projet de loi. Selon son secrétaire général, Louis Dutheillet de Lamothe, l’autorité indépendante a été largement entendue : « Une fois la loi votée, une deuxième phase s’est déclenchée pour accompagner le ministère de l’Intérieur puis les entreprises. Une dizaine de personnes sont venues nous voir« . Depuis, un premier test a eu lieu, lors d’un concert du groupe Depeche Mode début mars à Paris, et cette phase d’échanges a donné lieu à une « contrôle du monde réel ».

« Il n’y a pas eu de tensions, il y a eu un dialogue : la CNIL a été impliquée à toutes les étapes de la mise en œuvre. »

Louis Dutheillet de Lamothe, secrétaire général de la CNIL

sur franceinfo

Ces propos ont du mal à convaincre Félix Treguer, chercheur au CNRS. La Cnil « manque de moyens » Et « ses prérogatives sont dévorées depuis 20 ans », déplore le sociologue, également membre de la Quadrature du net. Il ne parvient pas à le considérer comme un allié puissant contre la surveillance numérique : «Comme il ne dispose que d’un avis consultatif, il se considère de plus en plus comme un agenda de soutien aux innovations.»

Un décret d’août 2023, rappelé par Robin Medard Inghilterra, instaure néanmoins plusieurs garde-fous largement inspirés « lignes rouges tracé par la CNIL dans ses positions sur la vidéosurveillance algorithmique. Il limite notamment les événements que le VSA peut détecter à une liste précise de huit scénarios, y compris une chute, un incendie ou même le « non-respect, par une personne ou un véhicule, du sens commun de circulation ».

Malgré cette délimitation de l’usage des caméras augmentées, Pierre-Xavier Chomiac de Sas, avocat spécialisé en droit du numérique, se dit préoccupé par son potentiel biais discriminatoire : « Le problème de l’intelligence artificielle, c’est qu’elle est très artificielle et peu intelligente. » Elle craint la stigmatisation de certains individus, selon la base de données fournie à l’algorithme pour l’entraîner à distinguer certaines situations : « Si l’on met dans le logiciel 100 000 images de personnes immobiles assises dans un coin, les sans-abri qui mendient risquent d’être assimilés à un comportement anormal. »

Une avalanche d’enquêtes administratives

D’autres dispositifs inquiètent les opposants à la surveillance, comme l’utilisation annoncée de drones pour filmer les foules en direct. Mais aussi le dépistage de « près d’un million de personnes » en amont des Jeux, promis par Gérald Darmanin. Parmi les cibles de ces enquêtes administratives figurent Lles sportifs, leur staff, les journalistes, les agents de sécurité privés, les bénévoles…

Mené par le service national d’enquêtes administratives de sécurité (Sneas), créé en 2017 après la vague d’attentats jihadistes, cet examen consistera en un examen d’un certain nombre de dossiers déjà existants, recensés par la CNIL, pour vérifier notamment laLes casiers judiciaires de toutes les personnes concernées. Cela peut donner lieu à un avis d’incompatibilité les privant d’accréditation.

« Cette projection est l’achèvement d’un édifice construit depuis vingt ans, celui du classement. »

Noémie Levain, avocate et membre de la Quadrature du net

sur franceinfo

Le dossier « traitement du casier judiciaire », placé sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur, est le plus controversé. « Il rassemble plus de vingt millions de dossiers, avec non seulement des personnes condamnées, mais parfois mises en examen ou même simplement interrogées », dénonce le chercheur Félix Tréguer, particulièrement préoccupé par le sort de « militants » ou « des personnes étrangères ». « Le fait qu’il n’y ait pas de critère fixe pour déterminer ce qui constitue une dangerosité laisse une grande place à l’arbitraire »estime la juriste Noémie Levain.

« Nous sommes à l’opposé de l’arbitraire », répond le patron du Sneas, Julien Dufour, dans un entretien à l’AFP en mars. Apparaître sur un tel fichier « ce n’est pas une question de croyances de chacun, c’est une question d’éléments matériels concrets »insiste le coordinateur du service d’enquête, qui assure ne pas faire « enquête environnementale, de quartier ». Sneas précise qu’avant d’exclure une personne présente sur un dossier, un eL’enquêteur-analyste évalue si les faits ayant conduit à cette inscription sont susceptibles de représenter une menace dans le cadre de sa mission lors des Jeux. À ce stade, « 715 personnes ont ainsi été exclues pour risques potentiels, dont 10 individus classés S »a annoncé Gérald Darmanin le 21 mars sur. Une grande partie des refus concerne des personnes « en situation irrégulière »a-t-il expliqué lors d’une audition au Sénat début mars.

Un symbole des confinements qui refait surface

Les Jeux marqueront également le retour du QR Code, associé dans les mémoires aux restrictions parfois contestées instaurées lors de la pandémie de Covid-19. Il servira cette fois à contrôler l’accès aux périmètres mis en place autour des sites olympiques, et à la gigantesque zone sécurisée créée autour de la Seine pour la cérémonie d’ouverture. Dans ce dernier cas, même les résidents locaux devront se munir de ce passeport numérique, soit plusieurs centaines de milliers de personnes. « Il n’y a pas une délégation étrangère qui comprendrait qu’on laisse les gens marcher ce jour-là sans qu’il y ait aucun contrôle »a justifié le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, devant le Sénat en novembre.

L’avocat Pierre-Xavier Chomiac de Sas ne cache pas son embarras de voir refaire surface ce code-barres amélioré : « Est-ce que demain, pour un concert de Rihanna, on empêchera les Français qui vivent autour de l’événement de sortir de chez eux sans QR Code ? » Serge Slama partage ce scepticisme en invoquant des fondements juridiques « trop ​​léger »avec une restriction d’aller et venir « sur la base d’un simple décret. » « Je défends que les Jeux Olympiques sont un état d’urgence tacite, non proclamé, et que cela laissera des traces », insiste le professeur de droit public. Reste à savoir lesquels.

Cammile Bussière

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