« Ça résonne auprès des jeunes, ça leur donne de l’ambition », confie Delphine Chaigneau, qui a gravi l’Everest en mai.
Le YouTubeur Inoxtag n’est pas le seul Français à avoir découvert le sommet de l’Everest le 21 mai dernier. Il y a rencontré Delphine Chaigneau, professeur d’éducation physique devenue la 15e Française à l’atteindre. A 50 ans, cette alpiniste amateur, qui voit dans le sport « comme une drogue » avait relevé le même défi. Difficulté, tourisme, pollution et impact du documentaire : elle partage sa vision de l’ascension d’un sommet sacré qui divise le monde de l’alpinisme.
Franceinfo : Pouvez-vous nous parler de votre projet d’ascension de l’Everest ?
Delphine Chaigneau : Il y a vingt ans, l’Everest était pour moi le Saint Graal. Puis le rêve est devenu un objectif. Il m’a fallu deux ans pour construire le projet. Au niveau de la préparation du matériel, physique et mentale, et surtout financière, car je n’avais pas le même budget qu’Inoxtag.
Nous avons cherché des sponsors et des partenaires et avons créé une association appelée Chacun(e) son toit du monde avec trois objectifs : sociétal, et notamment la place des femmes dans l’alpinisme, car moins de 10% d’entre nous ont été au sommet par rapport aux hommes. Nous avions également un engagement écologique et une engagement humanitaire dans la vallée de l’Everest.
Avez-vous ressenti du surtourisme ?
Il y avait 250 personnes au sommet, réparties sur trois ou quatre jours. Au début de la dernière montée, il y a du monde. Et puis modérément à mesure qu’on se rapproche du sommet, mMais vous savez, il y a trop de monde. Et l’Everest, c’est ça aussi. Après, ce n’est pas tout le temps, il ne faut pas faire d’amalgame.
« Le Mont Blanc, il y a entre 15 000 et 20 000 personnes qui le gravissent chaque année. Ici, nous sommes 250, chacun avec son guide. Ce n’est rien comparé à ça. Sauf que la fenêtre météo est de plus en plus petite, donc tout le monde grimpe à ce moment-là. »
Delphine Chaigneau, alpiniste amateur qui a gravi l’Everest en mai 2024à franceinfo : sport
Après 419 permis délivrés en 2024, la Cour suprême népalaise veut introduire des quotas, est-ce une bonne idée ?
Ce serait bien, mais je ne suis pas sûr que ça va bouger tout de suite. Car ça représente 30% du PIB et les Népalais en ont besoin pour simplement vivre. Par contre, l’augmentation du permis d’escalade qui va passer à 13 500 dollars (contre 10 000 actuellement)c’est pour 2025.
Au cours de votre montée, avez-vous remarqué une route polluée ?
J’ai trouvé le camp de base assez propre. Au deuxième camp, on commence à voir des déchets, et le pire, c’est le quatrième. Le problème c’est que ce sont de vieilles tentes qu’on démonte parce qu’il y en a qui ne les démontent pas, ils préfèrent les laisser. Et puis, avec le vent, la tempête, il est gelé au sol. On a voulu le ramasser, mais il est coincé dans la glace.
L’environnement est tellement difficile à 8 800 m. Les gens sont fatigués. Et quand il faut redescendre, ils en sont incapables. Il y en a une petite poignée qui diront : « Je me fiche des déchets, ce n’est pas mon problème.« Et puis il y a ceux qui sont vraiment en fin de vie et qui n’y pensent même pas. D’un autre côté, maintenant, on responsabilise un peu plus les grimpeurs, on ramène nos propres excréments au camp de base. Donc on ramène beaucoup de choses. Mais pas tout.
Qu’avez-vous pensé du documentaire Inoxtag ?
C’est assez centré sur lui. En même temps, c’est son expédition. Ça aurait été bien qu’il mette un peu plus l’accent sur l’aspect écologique. Par contre, j’ai trouvé ses vidéos de drone magnifiques. Ça a permis aux gens de se rendre compte à quel point c’est difficile. On ne parle pas beaucoup de haute montagne. Mais cela remet les pendules à l’heure, cela montre que l’Everest n’est pas une ascension facile.
Comprenez-vous les critiques sur son projet ?
Est-ce que les gens qui critiquent l’ont déjà fait ? Ce n’est pas parce qu’il a de l’argent qu’il est un peu un enfant gâté. Je ne pense pas qu’il le mérite, il s’est donné les moyens. Il a l’argent, c’est super pour lui, il n’a pas eu besoin de sortir de sa zone de confort pour l’obtenir, comme moi. Il s’est entraîné dur pendant un an. Il voulait y aller et il a réussi. En tout cas, il est allé sur le toit du monde. Il dit lui-même qu’il a évolué, qu’il n’est plus le même. Franchement, c’est bien.
Cela ne risque-t-il pas de générer encore plus de tourisme sur l’Everest ?
Oui, je l’entends. Mais je pense qu’il avait sa place. Il ne ralentissait pas les gens. Il y a des gens qui y vont, qui n’ont fait qu’un seul sommet avant et qui sont aussi pleins d’argent. Il s’est entouré de bonnes personnes. Il a écouté.
En tant que professeur de collège, que pensez-vous du message transmis aux jeunes ?
Quand il dit : « Débarrassez-vous du téléphone portable. Soyez toujours en mouvement, pas devant la télévision », dit-il. Cela résonne auprès des jeunes, cela leur donne de l’ambition. Comme moi, je donne l’exemple, surtout aux filles à l’université. Elles me disent : « Je n’escaladerai peut-être pas l’Everest, mais peut-être que mon toit du monde sera d’avoir mon certificat à la fin de l’année. » Nous avons besoin de gens comme lui qui font rêver et bouger les jeunes.
Cela peut-il amener les jeunes vers l’alpinisme ?
Oui. Après, s’ils veulent vraiment aller à l’Everest, ils n’ont pas tous le même budget qu’Inoxtag. Ils feront comme moi, c’est faisable. Mais il ne faut pas y aller sans être entraîné, sans avoir fait le sommet avant. C’est un milieu dangereux : il fait froid, il y a des crevasses, on peut heurter un sérac (bloc de glace)Ce n’est pas un environnement facile, mais c’est un environnement magnifique.