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«Ça avance bien» : comment la gauche se prépare à Front contre Front

«Ça avance bien» : comment la gauche se prépare à Front contre Front

Dans le vocabulaire sportif, on appelle cela gagner de la vitesse. Emmanuel Macron espérait retrouver la santé en s’appuyant sur la division de la gauche, après des mois d’une âpre campagne européenne qui a souvent tourné aux échanges de petits surnoms.

Mais les progressistes ont évité le piège grossièrement tendu en scellant, lundi 10 juin au soir, à la tombée de la nuit, la naissance d’une union inédite suite à la dissolution de l’Assemblée nationale : le nouveau Front populaire. Une réponse rapide aux revendications du peuple de gauche et de la société civile organisée en vue de ces élections législatives anticipées. Un Front populaire pour barrer la route au RN, héritier du Front national de Jean-Marie Le Pen.

« Nous voulons mener un programme de ruptures sociales et écologiques pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l’extrême droite », écrire aux parties signataires, qui édictent le principe de « candidatures uniques dès le premier tour ». Ici, le Parti socialiste (PS), la France Insoumise (FI), les Écologistes, le Parti communiste français (PCF) et Génération.s reprennent ensemble la campagne électorale, comme en 2022 avec Nupes.

Mais, dans un autre rapport de force et un format de coalition élargi à plusieurs groupes : Place publique – qui n’a pas quitté la table des négociations contrairement à ce qu’affirme le quotidien Avis –, la Gauche républicaine et socialiste (GRS), le Mouvement républicain et citoyen (MRC), les Radicaux de gauche ou encore l’Engagement. Le NPA – l’anticapitaliste de Philippe Poutou et Olivier Besancenot – s’est dit prêt à rejoindre la coalition.

« Ne nous trahissez pas »

Devant le siège des Écologistes, au centre de Paris, où le pacte a été annoncé, des centaines de jeunes ont accueilli avec soulagement cette nouvelle coalition. « Ne nous trahissez pas » » ont-ils scandé devant les principaux dirigeants du parti et un essaim de caméras. « Il était de notre devoir d’y répondre pour montrer que nous pouvions construire ensemble et ne pas laisser le désespoir s’installer. Mener ce type d’action politique engage, estime Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée jusqu’à la dissolution.

« Les gens de gauche ne nous pardonneraient pas de ne pas tout tenter pour battre l’extrême droite. » ajoute Christian Picquet, membre national du comité exécutif du PCF et négociateur sur l’aspect programmatique. « Certaines forces se rendent compte de la catastrophe à laquelle la division nous a conduits, dit Aurélie Trouvé, députée insoumise. Nous sommes désormais au pied du mur mais nous ne sommes pas tombés dans le piège tendu par Emmanuel Macron. »

La gauche veut donc faire les choses ensemble. Et ce, malgré les désaccords et les accrochages observés lors de la campagne européenne. En un peu plus de vingt-quatre heures, la nouvelle donne politique a balayé les ressentiments avec un objectif clair : faire barrage au RN, qui menace d’accéder au pouvoir au soir du 7 juillet. « L’unité signifie travailler sur soi, surtout dans un moment aussi historique, concède Corinne Narassiguin, sénatrice et membre de la direction PS. Il faut dépasser les violences subies lors des élections européennes car on ne peut pas tergiverser face à l’extrême droite. »

Le rassemblement est donc constitué, mais reste désormais aux forces politiques à le construire en un temps record. La date limite de dépôt des candidatures est le dimanche 16 juin, à 18 heures, et certains imprimeurs exigent que le matériel de campagne soit envoyé avant le jeudi 13 juin. Il faut donc faire vite. C’est pourquoi les négociations ont repris mardi matin, toujours au siège des Verts où deux groupes de travail, l’un sur le programme et l’autre sur le partage des circonscriptions, ont travaillé toute la journée.

Des désaccords à régler sur la répartition des circonscriptions

Dans une salle des locaux austères et verdoyants, une quinzaine d’émissaires sont réunis autour de la table. Ils doivent se mettre d’accord, d’ici jeudi matin, sur un « contrat législatif » détaillant « les mesures à prendre dans les 100 premiers jours du gouvernement du nouveau Front populaire ». Il s’appuierait sur le programme Nupes 2022, qui serait enrichi et ajusté en fonction du nouveau rapport de force issu du dernier scrutin où les socialistes sont arrivés en tête.  » Ça va bien « , souffler différents négociateurs Humanité.

Les discussions ont commencé sur des sujets qui fâchent, notamment des sujets internationaux comme l’Ukraine. « Tout le monde doit faire des compromis, glisse Christian Picquet. Nous travaillons sur des formulations qui permettent à chacun de s’y retrouver. » En fin d’après-midi, ils n’avaient pas encore abordé les autres sujets, certains plus difficiles (nucléaire) que d’autres (retraite à 60 ans).

Ailleurs, l’ambiance est un peu plus tendue. C’est ici que se négocie la répartition des circonscriptions. Le sort des 150 députés sortants semble assuré, même si quelques cas (Adrien Quatennens, Julien Bayou…) peuvent donner lieu à débat. Fort de son score aux élections européennes (13,8%), le Parti socialiste souhaite obtenir plus que les 70 circonscriptions où il avait présenté des candidats. Notamment en Occitanie où la présidente régionale, Carole Delga, hostile aux Nupes, a rejoint le nouveau Front populaire.

Mais la France insoumise a eu du mal à lâcher prise, même si Aurélie Trouvé affirme espérer que « tout le monde fait des concessions ». De toute évidence, le parti de Jean-Luc Mélenchon ne peut espérer renouveler ses candidats dans 326 territoires.

Les Écologistes, dont le poids a baissé avec un score de 5,5%, risquent de servir de variable d’ajustement et de perdre une partie de leurs nominations. Quant au PCF, il devrait pouvoir présenter au moins 50 candidats, comme en 2022, tout en exigeant des circonscriptions où des conquêtes sont possibles. « Nous faisons de la politique, pas des mathématiques, lance Pierre Lacaze, responsable des élections au PCF. Nous voulons un accord qui respecte chacun et qui s’appuie sur les réalités locales pour battre les députés RN. En 2022, un seul député avait repris une circonscription d’extrême droite. C’était un communiste. »

La question du Premier ministre sera inévitable

Une fois ces deux sujets décidés pour permettre aux futurs candidats de partir rapidement en campagne, un troisième groupe de travail sera réuni entre les états-majors pour définir une stratégie. Se posera alors la question de l’incarnation de cette coalition : faut-il désigner un candidat au poste de premier ministre pour s’opposer à Jordan Bardella (RN) et Gabriel Attal (Renaissance) ou présenter un collectif aux Français ? « C’est le collectif qui va initier la dynamique mais la question du Premier ministre sera inévitable », affirme la socialiste Corinne Narassiguin. Une chose est partagée entre les différentes formations, sauf qu’à la FI, cette campagne ne peut pas se faire sur la musique de « Jean-Luc Mélenchon premier ministre »comme en 2022, même si ces derniers ont salué l’accord en assurant « jetez la rancune dans la rivière » sur son blog.

L’initiative personnelle de Raphaël Glucksmann (Place publique), qui a proposé sur France 2 l’ancien numéro 1 de la CFDT Laurent Berger pour le poste, a également renversé la situation dans les discussions. « Sa fuite était irresponsable et met en danger le collectif, à l’heure où on fait de la dentelle »juge un négociateur.

Le nom de François Ruffin commence à rassembler des partisans. Elle apparaît aujourd’hui comme la plus avancée et la plus consensuelle. Mais faire ce choix semble aujourd’hui prématuré pour de nombreux acteurs du nouveau Front populaire. « Nous avons plusieurs profils pour incarner le syndicat, mais si on saute les étapes, on se tire une balle dans le pied » prévient un socialiste.

Comme une partie des Verts, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, est sur la même ligne : « Nous voulons mettre en valeur une équipe plutôt qu’un individu. Le Premier ministre est choisi à la majorité à l’Assemblée nationale. Il faudra donc attendre le résultat des sondages. D’ici là, nous incarnerons le Front populaire avec différentes personnalités qui assisteront aux débats. »

D’autant que le rassemblement de 2024 se veut plus large que celui de 2022, allant de Jean-Luc Mélenchon à Carole Delga en passant par Arnaud Montebourg, Sandrine Rousseau ou encore Léon Deffontaines. C’est ce que nous appelons l’esprit de responsabilité.

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