Budget 2025 : 110 milliards d’euros de déficit, une dette de plus de 3 000 milliards d’euros… les raisons d’un déficit devenu incontrôlable
Avant la présentation du projet de loi de finances (PLF) en Conseil des ministres, l’économiste Éric Heyer décrypte la situation budgétaire du pays et son déficit qui se creuse inexorablement.
C’est le premier véritable défi du gouvernement Barnier : parvenir à boucler un budget pour 2025. Alors que son examen s’ouvrira dans un contexte politique échevelé, les derniers chiffres connus révèlent une situation plus que complexe. La dette publique a dépassé les 3 000 milliards d’euros, soit 112 % du PIB, et son déficit, actuellement à 105 milliards d’euros, pourrait glisser à 5,6 % du PIB en 2024 et 6,2 % en 2025, bien loin de l’objectif de 3 % fixé par l’Union européenne. . Bruxelles a également placé la France en procédure de déficit excessif avec l’Italie, la Pologne, la Belgique, la Hongrie, la Slovaquie et Malte. « Le budget 2025 sera sans doute le plus délicat, voire l’un des plus délicats, de la Ve République »a prévenu le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. « La situation est très grave »Michel Barnier lui-même l’a reconnu. Est-ce vraiment le cas « grave » ? Éléments de réponse et d’analyse avec Éric Heyer, directeur du service d’analyse et de prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques, à la veille de la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres.
1- La situation est-elle vraiment si grave ?
« Non », » rassure Éric Heyer, en tout cas, si l’on entend derrière cet avertissement du Premier ministre un risque de faillite et de perte de confiance dans les marchés financiers. « Ce n’est pas le cas »il rassure. Il perçoit encore une autre forme de gravité. « Le problème réside plutôt dans le fait qu’on ne comprend pas pourquoi, en 2024, les déficits continuent à rester élevés alors qu’il faudrait les réduire. » L’économiste décrypte : « Avant la crise, en 2019, la France affichait un déficit de 2,3 % du PIB, certes dans la moyenne haute de l’Europe, mais cohérent. Avec le Covid, on a mis en place tout ce qu’il fallait, le déficit s’est accru, et c’était normal. De même avec les boucliers installés pour faire face à la crise des coûts énergétiques liée à la guerre en Ukraine. Mais ces mesures sont désormais terminées, l’inflation s’est arrêtée. stabilisé, le déficit devrait donc repartir à la baisse, mais ce n’est pas le cas et c’est cela qui est gênant.. Eric Heyer craint surtout, « dans ce contexte politique incertain qui pourrait empêcher de voter les mesures nécessaires« .
2- Comment en sommes-nous arrivés là ?
Selon Éric Heyer, ce ne sont pas les deux crises successives, celle du Covid puis de l’inflation des prix de l’énergie, qui sont à l’origine de cette situation budgétaire. « D’autres pays européens ont également subi la double crise, ils ont fourni plus ou moins les mêmes aides publiques, mais ne présentent pas aujourd’hui le même déficit ». Il faut donc chercher la clé ailleurs et selon l’économiste, ce serait la conséquence de l’échec de la politique de retombée du président Macron. « Depuis 2017, nous avons considérablement réduit la pression fiscale, de 63 milliards d’euros, soit 2 points de PIB, mais sans la financer par des coupes dans les dépenses publiques. Le pari, avec ce gigantesque choc d’offre, était de gagner en compétitivité, donc en croissance, et ainsi d’obtenir plus de recettes pour autofinancer cette baisse d’impôt. Nous payons la facture de réductions d’impôts non financées..
3- Est-ce la crise la plus grave de l’histoire ?
Il existe deux manières, selon Eric Heyer, de mesurer une crise financière. La première, en observant les taux d’intérêt sur la dette publique. « Nous sommes actuellement à 2,9 % à 10 ans. C’est-à-dire des taux plus bas que lors de la crise financière (à partir de 2008, NDLR) où ils avaient atteint 4,5% »il observe. Autre indicateur, le « spread » OAT-Bund, qui indique l’écart de taux entre la France et l’Allemagne. « C’était en moyenne, en 2012, de 1,5 point contre 0,8 aujourd’hui. » Pas énorme, surtout à l’époque.on ne parlait plus de faillite. Sauf que, nuance l’économiste,« il a été multiplié par un peu plus de deux depuis la crise du Covid, où il s’établissait à 0,35 point »« . Éric Heyer parle donc d’un moment de « haute tension ».
4- Les autorités locales sont-elles coupables ?
La polémique a alimenté l’actualité estivale. Bercy, par l’intermédiaire des ministres de l’époque Le Maire et Cazenave, a accusé les autorités locales d’alimenter le déficit de la France. La Cour des comptes a, dans le même temps, révélé que si la situation financière des communes et intercommunalités continuait de s’améliorer (+1,2 milliard d’euros d’épargne brute), celle des régions était en baisse (-0,4 milliard d’euros) quand celle des les départements se dégradent (- 4,7 milliards d’euros). Qu’en pense Éric Heyer ? «Ils ont effectivement une part de responsabilité» il répond en expliquant : « Nous construisons un budget sur un scénario de croissance. Partant du principe selon lequel 1% de croissance produit 1% de recettes selon le principe d’élasticité des recettes fiscales au cycle économique, l’Etat a alloué l’année dernière aux collectivités locales, un niveau de dépenses sauf que si nous avons atteint 1% de croissance, elle a été tirée par les exportations et non par la consommation comme prévu. Au cours de l’année, l’Etat leur a donc demandé de réduire leurs dépenses. Mais ceux-ci ayant déjà démarré leurs programmes au premier semestre, ils. n’ont pas pu remédier à la situation.résume l’économiste.
Cela reflète un problème : les collectivités locales ne disposent plus de véritables leviers fiscaux, la majorité de leurs recettes dépendent des subventions de l’État. « Cela a supprimé le lien direct avec le contribuable »donc une forme de responsabilité. « Il est plus facile d’être un passager clandestin. Dépenser beaucoup et dire ensuite que l’État ne donne pas assez« . Éric Heyer souligne également « un petit changement dans l’emploi » pas de corrélation avec l’augmentation de la population.
5- La France risque-t-elle un « shutdown » ?
La menace plane souvent sur les Etats-Unis, jusqu’ici jamais en France : la situation budgétaire du pays pourrait-elle le conduire à un « shutdown », c’est-à-dire un shutdown ? fermeture de l’État et des services publics, y compris le non-paiement des salaires des fonctionnaires. « Ce n’est pas une hypothèse budgétaire mais politique »se souvient Éric Heyer. Il détaille : « Un arrêt n’a lieu que si le Parlement ne vote pas le budget avant le 31 décembre, faute de majorité politique ». Toutefois, dans ce cas, l’exécutif conserve la possibilité de reconduire le budget.sur ordonnance ». Inutile donc « jouer à se faire peur ». Mais, ajoute l’économiste, on se retrouverait avec « un budget très politiquement restreint » à une époque où la situation appelle des décisions fortes.
6- Pouvons-nous atteindre l’objectif des « 3 % » ?
C’est la contrainte imposée par l’Union européenne : la France, comme tous les États membres, doit ramener son déficit en dessous de 3 % du PIB, seuil fixé par le Pacte de stabilité voté en 1997. Est-ce alors possible ? qu’on dépassera les 6% à la fin de l’année ? « Il faut espérer », répond Éric Heyer, qui prévient « mais il n’est plus raisonnable d’envisager d’y parvenir d’ici la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2027 ». Explications : « Cela nécessiterait de réduire le déficit d’un point par an. C’est possible avec une croissance à 3 %, mais on sait qu’on en est loin. L’autre hypothèse serait alors de demander aux citoyens un effort de 30 milliards d’euros par an, mais sans que cela ne diminue le pouvoir d’achat des ménages et la situation financière des entreprises. Or, il est établi que 1 € d’austérité réduit généralement l’activité de 1 €, soit 50 centimes de recettes en moins. Cela voudrait dire que pour revenir à 3 % dès 2027 sans impacter les revenus, il faudrait doubler l’effort à 2 points par an, soit 60 milliards d’euros d’économies. Oublions, c’est impossible « , claque l’économiste. Selon lui, l’objectif « raisonnable » serait donc de lisser cette réduction du déficit « plutôt sur 5 à 6 ans ». « En réduisant cela de 0,5 à 0,7 % du PIB par an, nous fixons une trajectoire et regagnons la confiance de nos partenaires. Cela représente tout de même un effort de 20 à 30 milliards d’euros par an, déjà complexe à réaliser. ».
7- Mais faut-il vraiment réduire ce déficit ?
Cependant, la question peut se poser : faut-il répondre à l’injonction de Bruxelles et réduire le déficit à 3% du PIB ? « Oui, c’est évidemment important » répond du tac au tac Éric Heyer, rappelant qu’en cas de non-respect des règles, Bruxelles peut imposer des sanctions financières à un État membre à hauteur de 0,1% du PIB, ce qui représenterait près de 2,5 milliards d’euros pour la France.
Or, précise l’économiste, il serait possible de demander à Bruxelles de rester avec un déficit de 6%, « à condition que ce choix soit justifié, par exemple par un plan d’investissement majeur dans la transition écologique »il illustre. Il ajoute : «contrairement aux idées reçues, la Commission européenne est très flexible et laisse une marge de manœuvre. ». Et Éric Heyer évoque le cas de l’Italie, dont le déficit atteint aujourd’hui 7,2% du PIB, « mais qui a mis 100 milliards d’euros sur la table pour relancer le marché de la construction et de l’immobilier », pour retrouver la croissance. Or, ce n’est pas la voie que semble emprunter la France.
8- Un problème essentiellement politique ?
Selon Éric Heyer, le problème auquel est confrontée la France est finalement plus politique que budgétaire. Même si la situation nécessite des mesures fortes, » L’instabilité à l’Assemblée nationale pousse chaque groupe à fixer des lignes rouges. Il y a ceux qui ne veulent pas toucher aux entreprises, d’autres les inactifs, d’autres encore les services publics… Les lignes rouges du Nouveau Front populaire ne sont pas celles de la Macronie. , qui sont encore différents de ceux du Rassemblement national. Le risque, pour éviter une motion de censure dans cet hémicycle sans majorité, serait donc d’éviter les actes forts. craint l’économiste.
Un autre obstacle, souligne Éric Heyer, est l’héritage des aides accordées pour surmonter la crise énergétique. «La plupart des pays européens, estimant qu’il s’agissait d’un choc extérieur, ont décidé de laisser l’inflation se déchaîner et de compenser les ménages et les entreprises dans le besoin par des subventions sous forme de chèques énergie. La méthode française, pour contrer l’inflation, consistait à mettre des boucliers sur les prix, aidant finalement tout le monde au même niveau. Cela a été efficace, certes, mais cela a coûté plus cher et surtout aux particuliers et aux entreprises. n’étaient pas conscients du niveau d’aide qu’ils recevaient de l’État. Leur demander, aujourd’hui, de faire un effort en retour par une hausse d’impôts sera peut-être plus compliqué.« . Un double écueil politique qui, dit-il, rend la situation préoccupante à l’heure du vote du budget 2025.