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Bruno Le Maire, sept ans dans le chaudron de Bercy

«Je resterai ministre jusqu’à la dernière minute.» Après sept années de bouleversements à la tête de l’économie française, Bruno Le Maire s’apprête à plier bagage. Dans son bureau surplombant l’hôtel des ministres, l’heure est au déménagement. Les fonctionnaires s’apprêtent à tourner une page importante. En effet, Bruno Le Maire est le seul ministre sous la Ve République à avoir passé autant d’années consécutives à la tête du « paquebot » Bercy.

Affichant une volonté de briguer un poste à l’international, le ministre des Finances s’est finalement réengagé à tous les remaniements ministériels et lors de la réélection d’Emmanuel Macron en 2022. Mais une fois qu’il aura quitté l’exécutif, l’ancien ministre de l’Agriculture sous Nicolas Sarkozy pourrait à nouveau postuler à une place dans une instance internationale. A 55 ans, il entend toujours compter sur la scène extérieure dans un monde plus fragmenté que jamais.

Budget : la France dans le viseur de la Commission européenne et du FMI

Quelques jours avant son départ, Bruno Le Maire a adressé une lettre de notifications de 5 milliards d’euros à tous les ministères. Ces nouvelles coupes s’ajoutent aux 20 milliards d’euros déjà annoncés au printemps pour 2024 et aux 20 milliards pour 2025. Contestant le programme économique du Nouveau Front populaire, le ministre de l’Economie a tiré la sonnette d’alarme. Mais la situation jugée préoccupante des finances publiques risque de laisser des traces sur le bilan de Bruno Le Maire.

Initialement prévue le 16 juillet, l’officialisation de la procédure pour déficit excessif devrait intervenir dans une dizaine de jours. Ce sursis de la Commission européenne n’exempte pas la France de critiques. Lors de la présentation de la mise à jour de ses perspectives économiques, mardi 16 juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a mis en garde la France sur l’incertitude politique actuelle et sa trajectoire budgétaire. Un nouveau coup dur pour Bruno Le Maire après l’avertissement de la Cour des comptes la veille.

Attaché au totem de la baisse de la fiscalité, le ministre a défendu une politique de l’offre à tout prix durant ses années à Bercy. Mais cette baisse ininterrompue de la fiscalité a provoqué une lourde chute des recettes fiscales de l’État, lourdement taxé durant toutes ces années. En effet, les administrations centrales et celles de la sécurité sociale ont absorbé une grande partie des immenses chocs qui ont frappé l’économie française.

Bercy en première ligne dans la crise des « gilets jaunes »

La colère des « gilets jaunes » a plongé Bercy dans une crise particulièrement délicate à gérer. En novembre 2018, des milliers de Français s’étaient retrouvés au milieu de ronds-points dans tout le pays pour protester contre la politique fiscale de l’exécutif. En cause : l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants. Le ministre du Budget de l’époque et proche de Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin, avait été contraint de mettre en pause la trajectoire d’augmentation de la taxe sur les carburants. L’application de cette taxe avait mis le feu aux poudres en quelques jours seulement.

Comme la plupart des taxes à la consommation, la fiscalité carbone est par nature régressive car elle pèse proportionnellement davantage sur les ménages les plus modestes. Compte tenu du poids des dépenses de transport chez les ménages modestes, cette taxe sur la consommation de carburants a depuis été mise au placard. Face à la contestation violente, les ministres de Bercy sont obligés de desserrer l’étau budgétaire. Le chef de l’Etat et Bruno Le Maire mettront près de 20 milliards d’euros sur la table pour désamorcer la bombe sociale. Mais la demande des « Gilets jaunes » de rétablir l’impôt sur la fortune sera toujours balayée par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Au contraire, le locataire de Bercy défendra une politique économique pro-entreprises jusqu’à la fin de son mandat et se montrera inflexible sur les hausses d’impôts sur les plus hauts revenus à l’échelle nationale.

Gilets jaunes Gironde

Une manifestation des « gilets jaunes » en novembre 2018 en Gironde. Crédits : Reuters

La pandémie déclenche le « quoi qu’il en coûte »

L’éclatement de la crise sanitaire en 2020 va provoquer un électrochoc dans les couloirs de Bercy. En un week-end, les comptables du ministère des Finances vont basculer vers une gestion de crise inédite pour limiter l’impact de la pandémie sur l’économie. Partout dans le monde, les États vont fermer leurs frontières et mettre à l’arrêt des secteurs entiers pour enrayer la propagation du virus. Décidée dans l’urgence, le confinement va provoquer une chute spectaculaire du produit intérieur brut (PIB) de 8,3 % en 2020, un plongeon record depuis la Seconde Guerre mondiale.

A Bercy, Bruno Le Maire tiendra une série de conférences de presse particulièrement alarmantes en cette période brûlante. Rapidement, l’ancien directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin lancera « quoi qu’il en coûte » (PGE, chômage partiel, fonds de solidarité). Bercy « a su faire face à la pandémie grâce au PGE »souligne le directeur général de Rexecode Denis Ferrand, contacté par La galerieL’économiste salue  » la réactivité «  du ministère. Face à la crise, la Banque centrale européenne (BCE) avait considérablement assoupli sa politique monétaire, lançant un vaste programme d’urgence (Programme d’achat d’urgence en cas de pandémie(PEPP).

Bruno Le Maire Pandémie

La guerre en Ukraine met Bercy sous pression

Le conflit en Ukraine est un nouveau test pour le ministère des Finances. En février 2022, la Russie de Vladimir Poutine décide d’envahir l’Ukraine sous le regard incrédule du monde entier. En Europe, les États se retrouvent rapidement confrontés à une flambée des prix de l’énergie et de l’alimentation. En première ligne, le ministre de l’Économie va devoir à nouveau procéder à d’importantes rallonges budgétaires face à la hausse des coûts de production pour les entreprises et à l’envolée du coût de la vie pour les ménages. Cette stratégie n’a pas vraiment convaincu les économistes. Il y a clairement eu un manque de calibrage face à la crise énergétique « , juge Denis Ferrand. « La politique du chèque à tous les ménages n’était pas la plus adaptée. Les contraintes des familles n’étaient pas les mêmes face à la crise « , poursuit l’économiste, soulignant  » un manque de ciblage. »

Le bouclier tarifaire fera office d’amortisseur face à cette inflation, sans précédent depuis les années 1970. Mais cette mesure ne résoudra pas complètement la question de la dépendance de l’économie française aux énergies fossiles. Pour réduire cette dépendance à la Russie, la France se tournera certes vers les États-Unis avec le GNL, mais cette stratégie s’avérera vite critiquée compte tenu des engagements de la France en matière de transition. Surtout, Bruno Le Maire avait fait du redressement du déficit commercial l’une de ses priorités lors de la campagne présidentielle de 2022. Force est de constater que la guerre en Ukraine a anéanti tous ses espoirs de réduire le déficit extérieur de la France. Une tache noire sur le bilan de son septennat.

Un mandat de sept ans et quatre ministres du budget

Entre 2017 et 2024, le ministre de l’Economie aura eu quatre ministres du Budget et des Comptes publics. Cette instabilité contraste avec sa propre longévité au gouvernement. Aux commandes des Finances françaises en 2017, Gérald Darmanin restera trois ans aux côtés de Bruno Le Maire. Viennent ensuite Olivier Dussopt, Gabriel Attal et Thomas Cazenave. Candidat élu aux dernières législatives, ce dernier devrait rejoindre les rangs de l’Assemblée nationale ce jeudi pour le début de la nouvelle session parlementaire.