Bruno de Sa, un chanteur rare à Ambronay
Le Brésilien Bruno de Sa a fait sensation en ouverture du festival d’Ambronay le 13 septembre dernier avec une interprétation du « Stabat Mater » de Pergolèse. Entretien.
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Vendredi 13 septembre s’ouvrait à Ambronay la 45e édition du plus prestigieux festival de musique ancienne et baroque d’Europe. Le thème retenu cette année est la voix chantée. Invitée pour la troisième fois au festival, une star unique a inauguré la saison, le soprano brésilien Bruno de Sa. Nous l’avons rencontré quelques heures avant la présentation du Stabat Mater de Pergolèse à l’Abbaye.
Franceinfo Culture : Quelle est la particularité de votre voix de soprano ?
Bruno de Sa: Je suis un homme qui chante soprano (la voix la plus aiguë, généralement féminine) c’est la façon la plus simple de le dire. Voix de contre-ténor aigu sont très connus, du XVIIIe et XIXe siècles et aujourd’hui nous avons de grands représentants en France, comme Philippe Jarrousky. Ces chanteurs sont soit des ténors, soit des barytons qui ont développé la voix de falsetto pour arriver à cette voix aiguë. Dans mon cas, je ne suis ni ténor ni baryton, je chante naturellement aigu et je travaille ma voix de la même manière qu’une soprano féminine. Il y a donc une différence avec les contre-ténors dans la couleur, dans la façon de produire le son, mais ce n’est ni mieux ni moins bien.
Comment avez-vous découvert votre voix de soprano ?
Je chante depuis que j’ai 2 ans, donc je chante sans arrêt depuis trente-deux ans. J’ai continué à chanter pendant la phase où l’on change de voix et j’ai remarqué qu’à ce moment-là, j’avais besoin de plus de souffle pour atteindre ces notes aiguës. Non, je n’ai jamais découvert la voix aiguë d’un coup parce que j’ai toujours chanté comme ça depuis que je suis enfant. Par contre, il y a eu un moment où quelqu’un m’a expliqué que je n’étais pas un contre-ténor. C’était à l’université et le célèbre claveciniste brésilien Nicolau de Figueiredo, que j’avais eu en masterclass, m’a confirmé que je n’avais pas la couleur ni la manière de produire le son des contre-ténors.
Soprano, est-ce une voix rare ?
Oui, c’est inhabituel. Heureusement c’est un peu plus « à la mode » aujourd’hui et on découvre beaucoup d’autres garçons avec cette même voix. Mais quand j’ai commencé, il y a douze ans, il n’y avait pas d’autres sopranos, pas un seul ! Toutes les voix masculines qui pouvaient servir d’exemples étaient des contre-ténors : Philippe Jaroussky, Max Emmanuel Cencic, Daniel Taylor, Franco Fagioli. Je peux dire que j’ai été le premier garçon à explorer – et à étendre – ce répertoire et ce faisant à donner une nouvelle vie à une musique qui n’était pas jouée.
C’était difficile ?
Oui ! Je montre sans cesse les possibilités de ma voix, ce que je peux chanter, ce que je ne peux pas. Encore une fois, parce que c’est inhabituel. Mais il y a un chemin qui s’ouvre.
Il n’y a pas beaucoup de rôles pour les sopranos ?
En fait, oui, il y en a ! Si nous ouvrons notre esprit et réfléchissons à la voix et non au genre, je pourrais chanter n’importe quel rôle de soprano. Bien sûr, dans la vaste catégorie des sopranos féminines, il existe une grande variété de voix : tout le monde ne peut pas chanter le rôle de soprano féminin. Reine de la nuit (en La Flûte Enchantée), Turandot ou Susanna (dans Le Mariage de Figaro). Et c’est pareil pour les sopranos hommes, les sopranistes. Mais ce n’est pas parce que je suis un homme que je dois chanter uniquement des rôles d’hommes ou uniquement le répertoire baroque. Depuis le début, quand on a une voix comme la mienne, on nous dit de chanter uniquement du baroque. Non, je ne suis pas obligée de chanter uniquement du baroque ! C’était la grande question il y a dix ou douze ans : pourrais-je chanter du Mozart ? J’ai une voix de soprano lyrique légère, quel répertoire pourrais-je embrasser ?
Les maisons d’opéra ne sont pas encore prêtes à vous faire chanter des personnages féminins…
Heureusement, le monde de l’opéra s’ouvre peu à peu et devient plus tolérant…
Est-ce qu’il le fait vraiment ?
Oui… Mais ce n’est rien comparé à la facilité avec laquelle le public le comprend et l’accepte. Comme il accepte de voir des femmes interpréter des personnages masculins. D’ailleurs, je ne propose rien de nouveau ! On a déjà eu Shakespeare, les tragédies grecques, les pièces avec des castrats. Mais ceux qui mettent en scène des opéras sont encore des gens très fermés. Et ce qu’on voit sur scène ne reflète pas les discussions et les débats qui ont lieu dans la société. Bien sûr, quand on essaie d’ouvrir plus de possibilités, il y a toujours le risque soit du phénomène cirque, soit des spectacles scandaleux ou qui ne respectent pas le compositeur et la musique. Mais c’est quelque chose auquel je prête une attention particulière. Car il faut s’ouvrir, sans oublier la tradition. Pour moi, les choses sont simples : voilà ce que je propose, voilà mes possibilités vocales. Et je veux chanter des choses que ma voix me permet de chanter.
Au Festival de musique ancienne et baroque d’Ambronay, vous ouvrez avec l’incontournable « Stabat Mater » de Pergolèse, écrit pour deux voix, dont une soprano, la vôtre. Quelle en est selon vous la principale difficulté ?
LE Stabat est probablement la pièce que j’ai le plus interprétée. L’année dernière, je l’ai chantée douze fois. C’est une pièce que je connais très bien. La difficulté pour moi, c’est la tessiture. Car même si c’est pour soprano, ça reste un défi ! Si je compare par exemple le Stabat avec le En furie d’Antonio Vivaldi, que je chante aussi, c’est une gamme très différente. En furieplus aigu, c’est beaucoup plus facile tout en maintenant la sensation de douleur dans Stabat Mater dans un registre aussi long, pour moi c’est toujours un défi.
Le « Stabat Mater » a la particularité d’être à la fois une œuvre sacrée et très proche de l’opéra…
C’est extrêmement opératique ! On parle d’un compositeur de l’école napolitaine, c’est-à-dire de tension dramatique, d’aspect théâtral. Évidemment, on peut l’interpréter de manière très « compacte », et c’est toujours bien. Mais si on intègre l’aspect théâtral – même s’il n’y a pas d’élément scénique, parce qu’il n’y en a pas, c’est un concert -, on a clairement une approche différente de la musique, et de la beauté. C’est une œuvre sacrée. Mais le sacré et l’opéra étaient très liés à l’époque.
Sopranos ou contre-ténors, vous êtes rares et souvent l’objet d’un culte de la part des fans du monde entier. Que pensez-vous de ce « vedettariat » qui accompagne souvent votre carrière ?
Parfois, ça me fait peur. Je n’y pense pas ou je préfère ne pas y penser parce qu’au final, c’est mon métier. Je veux juste chanter. La célébrité, la visibilité, c’est une conséquence. Je sais l’importance de mon rôle, surtout au Brésil, où je suis une source d’inspiration pour les jeunes chanteurs. Et puis quand je ne suis pas sur scène, je suis quelqu’un de très timide.
Grb2