Brésil : Tout ce qu’il faut savoir sur Alexandre de Moraes, le juge qui défie Elon Musk
Puissant, clivant et implacable, Alexandre de Moraes mène une croisade contre la désinformation depuis la Cour suprême brésilienne. Cela l’a récemment conduit à suspendre le réseau social X, dans un bras de fer avec le magnat Elon Musk.
Chauve, crâne lisse qui brille sous les projecteurs, sourcils épais, regard sévère : son physique contribue à son image de juge sévère. Mais en coulisses, ce magistrat de 55 ans qui préside également le Tribunal supérieur électoral (TSE) est décrit comme un homme plein d’humour.
Anti-fake news ou pro-censure
Pour Elon Musk, il s’agit d’un « pseudo-juge non élu », un « dictateur » qui détruit la liberté d’expression « à cause de motivations politiques ». X (ex-Twitter) a commencé à être bloqué ce samedi au Brésil, après une décision du magistrat. Ce dernier avait lancé mercredi soir un ultimatum à la plateforme, pour qu’elle désigne un représentant légal dans le pays, ce que le réseau social a refusé de faire.
Ces dernières années, Alexandre de Moraes a ordonné le blocage de comptes de personnalités influentes des mouvements ultra-conservateurs brésiliens pour diffusion de fausses informations. En avril, il a ouvert une enquête sur le milliardaire, l’accusant d’avoir réactivé des comptes suspendus sur ordre de la justice brésilienne.
Dans un pays très polarisé, certains l’accusent de censure et d’abus de pouvoir, tandis que d’autres louent sa défense sans compromis de la démocratie face aux attaques répétées contre les institutions de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro et de ses partisans.
« Un animal politique »
Spécialiste du droit constitutionnel, Alexandre de Moraes a été nommé à la Cour suprême en 2017 par l’ancien président de centre-droit Michel Temer (2016-2018), dont il était ministre de la Justice. Lorsqu’il était secrétaire à la Sécurité de l’État de Sao Paulo, entre 2015 et 2016, il avait été critiqué par la gauche, qui l’accusait de réprimer les mouvements sociaux.
« C’est un animal politique », affirme Antonio Carlos de Freitas, expert en droit constitutionnel, qui décrit son « ascension fulgurante ». « Il a de bonnes relations dans plusieurs domaines, y compris avec les militaires », affirme une source au sein du TSE.
En juin 2023, la justice électorale présidée par Alexandre de Moraes a déclaré Jair Bolsonaro inéligible pour huit ans pour avoir diffusé de fausses informations sur le système électoral brésilien. Aujourd’hui, il reste en charge des enquêtes les plus sensibles visant l’ancien chef de l’État (2019-2022).
L’ennemi des bolsonaristes
L’une d’entre elles concerne un présumé complot de coup d’État visant à empêcher le retour au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva, qui l’a battu aux élections d’octobre 2022. Selon les enquêteurs, ce plan incluait l’arrestation d’Alexandre de Moraes. Une autre enquête sous sa responsabilité tente d’établir si l’ancien président était l’instigateur des émeutes du 8 janvier 2023 à Brasilia, lorsque des milliers de ses partisans, refusant d’accepter la victoire de Lula, ont saccagé les lieux de pouvoir.
Le juge Moraes avait déjà ordonné des enquêtes contre Jair Bolsonaro et ses associés lorsqu’il était président, ce qui lui a valu d’être qualifié de « scélérat » par l’intéressé en 2021. « Il est devenu l’ennemi des bolsonaristes (…) en s’attaquant à la désinformation », estime Antonio Carlos de Freitas.
Jusqu’où vont ses ambitions ?
La suspension de X intervient à un peu plus d’un mois des élections municipales qui mesureront le rapport de force entre le camp de Lula et celui de la droite, qui fait volontiers d’Elon Musk son champion. Le bras de fer entre le milliardaire et Alexandre de Moraes a inspiré des plaisanteries d’internautes espérant qu’il se transforme en combat sur un ring, à l’image de celui qui devait opposer le patron de X à celui de Meta, Mark Zuckerberg, mais qui n’a finalement jamais eu lieu.
Le juge aurait des arguments à faire valoir : il est un pratiquant régulier de muay thaï, un art martial. Épargnant dans les commentaires dans la presse ou sur son compte X baptisé « @Alexandre », qui compte un million d’abonnés, le magistrat préfère s’exprimer lors des séances de la Cour suprême.
Marié et père de trois enfants, il pourra y siéger jusqu’à ses 75 ans. Mais une source proche du magistrat assure qu’il « a toujours des ambitions politiques ». Et pourquoi pas « devenir président », même si l’intéressé ne l’a jamais évoqué publiquement.
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