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Bolloré bafoue les droits de l’homme en Afrique, selon un de ses actionnaires

C’est une alarme qui a dû retentir désagréablement au sein de Bolloré. Quelques semaines après l’annonce par le Parquet national financier (PNF) a demandé un procès contre l’ancien PDG le président du groupe, Vincent Bolloré, pour une affaire de corruption présumée en Guinée et au Togo, le conseil d’éthique d’un de ses actionnaires, le puissant fonds de pension du gouvernement norvégien Global (GPFG), a produit un rapport l’impliquant dans «  sérieux » violations des droits de l’homme au Cameroun.

Ce document, daté de mars 2024 mais rendu public fin juin, rappelait que le groupe français restait actif en Afrique malgré la vente en 2022 de sa filiale dédiée à la logistique sur le continent. Outre son rôle important dans le secteur de la télévision payante, il est copropriétaire, avec le Belge Hubert Fabri, de la Société financière des caoutchoucs (Socfin), holding belgo-luxembourgeoise ayant des intérêts dans l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest et du Centre via une autre entité, Socfinaf.

Viol et harcèlement sexuel

C’est à l’une de ces entreprises agricoles africaines que s’adresse le conseil d’éthique de GPFG intéressée : la Société camerounaise de palmeraie (Socapalm), qui exploite des palmiers à huile dans le sud du Cameroun. Le groupe Bolloré détient une participation indirecte de 23,1% % dans Socapalm à travers ses parts dans Socfin, mais aussi à travers les parts indirectes et directes qu’elle détient dans Socfinaf.

Depuis une quinzaine d’années, la Socapalm fait l’objet de nombreuses dénonciations et plaintes sur les aspects sociaux, fonciers et environnementaux, de la part de ses salariés, des riverains et d’organisations de la société civile. Interrogé à plusieurs reprises, le groupe Bolloré a toujours répondu qu’il n’était pas impliqué dans la gestion des plantations de la Socfin, n’étant qu’un actionnaire minoritaire (à 39,7 %). %) de la holding belgo-luxembourgeoise. Mais un groupe de riverains, qui accusent la Socapalm de les empêcher d’accéder au foncier et de polluer les eaux environnantes, a réussi, à la suite d’une procédure judiciaire en France, à lui faire admettre en 2023 qu’elle partageait bien le contrôle de Socfin avec Hubert Fabri.

Lire aussi : Eau polluée, travail des enfants : les Camerounais s’opposent à Bolloré

Cette fois, c’est l’un de ses propres actionnaires qui s’est lancé sur le terrain, et pas n’importe lequel : le GPFG est le plus grand fonds souverain au monde, géré par la banque centrale norvégienne, Norges Bank. À la fin de 2023, il détenait 1,15 % des actions Bolloré (soit 77 millions d’euros) et 0,13 % des actions (soit 12,8 millions d’euros) de la Compagnie de l’Odet, qui détient 62,19 % de Bolloré.

À la suite de son enquête, le conseil d’éthique de GPFGchargé d’évaluer les pratiques des entreprises dans lesquelles le fonds investit, a statué en faveur des salariés de la Socapalm et des riverains. Dans son rapport, il indique avoir identifié «  de nombreuses violations, et dans certains cas graves, du droit du travail « . Il a calculé que plus de 60 % des 7 000 travailleurs, employés par des sous-traitants, sont payés en dessous du minimum légal, ne bénéficient pas des prestations sociales pour lesquelles ils cotisent pourtant. Moins de 20 % des camps où ils vivent et qui sont gérés par l’entreprise «  répondre à des normes de logement satisfaisantes « .

A cela s’ajoutent des viols, violences et harcèlements sexuels, visant les travailleurs et les riverains, commis par des employés et des agents de sécurité de la Socapalm. Cette dernière a, par ailleurs, étendu la plantation «  aux zones appartenant aux locaux » Et «  Cela leur rendait difficile l’accès à leurs propres propriétés. « .

«  Bolloré aurait dû avoir suffisamment d’influence pour améliorer la situation »

Le Conseil d’éthique de la GPFG a réalisé «  un travail important « , juge pour Reporterre l’organisation internationale Grain, qui fait partie des structures qui ont assigné en justice le groupe Bolloré en 2019 devant la justice française, pour le contraindre à tenir des engagements pris en 2013, envers les riverains et les travailleurs de la Socapalm. L’organisme norvégien a non seulement «  a enquêté sur place pour constater la réalité des plaintes des communautés locales, mais (elle) a également pris une position ferme contre le discours du groupe Bolloré, qui prétend n’être qu’un actionnaire minoritaire »note cette association basée en Espagne.

Les membres du conseil d’éthique estiment que la multinationale française porte une part de responsabilité : «  Une participation de 39,75 % dans Socfin et 34,4 % dans Socfinaf, ainsi qu’une représentation de longue date au sein des conseils d’administration des deux sociétés, signifie que Bolloré aurait dû avoir suffisamment d’influence pour améliorer la situation « , écrivent-ils, précisant que le groupe Bolloré a refusé de collaborer à leurs enquêtes – ce dernier n’a pas non plus répondu aux questions de Reporterre.

Le cas de la Socapalm n’est pas isolé, soulignent-ils également. De nombreux abus ont été signalés depuis plusieurs années dans d’autres plantations de la Socfin, rappellent-ils. Au Liberia, notamment, les problèmes s’accumulent : le 27 juin, des ouvriers de la Salala Rubber Corporation (SRC), qui cultive des hévéas, se sont révoltés. S’estimant lésés par l’entreprise, ils ont incendié son siège et le domicile de son directeur. Socfin a depuis annoncé la suspension de ses activités pour une durée indéterminée.

«  Comportement systématique »

Quelques semaines plus tôt, des habitants locaux et des organisations de la société civile avaient publié une lettre ouverte pour faire part de leurs inquiétudes concernant le projet de Socfin de vendre ses parts dans SRCet de demander à la multinationale de ne prendre aucune mesure tant que les dommages sociaux, environnementaux, culturels et économiques subis par les populations locales n’auront pas été réparés.

«  Au fur et à mesure que la plantation s’est étendue, elle a englouti les terres agricoles d’au moins 37 villages, plongeant leurs habitants dans la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la dislocation culturelle. Certaines communautés (…) ne sont plus qu’une enclave entourée d’une mer de caoutchouc, coupées des tombes de leurs ancêtres et de toute forme d’autosuffisance. D’autres, comme Sayee Town, ont été réduites en cendres lorsque la plantation a pris le contrôle, chassant leurs habitants. SRC n’a pas payé d’indemnisation pour la perte de terres »ils disent.

Le fait que les manquements constatés à la Socapalm se soient répétés ailleurs a conduit le conseil d’éthique de GPFG de penser qu’ils sont le résultat d’un «  comportement systématique » de Socfin. Étant donné que «  Ni la Compagnie de l’Odet ni Bolloré ne sont conscients du risque d’être impliqués dans de graves violations des droits de l’homme dans leurs plantations » et qu’il n’a pas trouvé «  rien n’indique que Bolloré respecte sa politique en matière de droits de l’homme dans cette affaire »il conclut qu’il y a un «  risque inacceptable » que les deux sociétés perpétuent «  violations graves et systématiques des droits de l’homme »Son opinion sur cette observation peut se résumer en une phrase : «  Le conseil d’éthique recommande d’exclure le GPFG Sociétés de la société Odet SE et Bolloré SE. »

Lire aussi : Bolloré quitte l’Afrique après avoir exploité la forêt

La Norges Bank a fait un autre choix : elle a annoncé que GPFG resterait dans le capital des deux sociétés, en demandant au fonds de surveiller sur une période de deux ans «  leur gestion des risques en matière de droits humains, de conditions de travail et de harcèlement sexuel »Elle espère qu’ils œuvreront à l’amélioration de la situation, en s’appuyant sur la directive adoptée en avril 2024 par l’Union européenne sur la «  devoir d’attention « , qui oblige les entreprises à garantir le respect de l’environnement et des droits humains dans leurs chaînes de production.

Grain condamne cette décision «  ne pas désinvestir tout de suite, mais essayer de changer les choses en interne ». «  C’est totalement insuffisant, d’autant plus que les populations sur place continuent de souffrir. »l’organisation souligne.

Le 31 juillet, une vingtaine d’organisations, dont Grain, ont adressé une lettre à la direction de Norges Bank pour tenter de la faire changer d’avis : «  Vous contribuerez à la poursuite des effets négatifs de Socfin » en restant au capital des deux sociétés françaises, disent-ils. A l’inverse, désinvestir immédiatement reviendrait à envoyer «  le bon message que ces entreprises sont en réalité irresponsables »les organisations croient encore.

Ray Richard

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