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Blablacar et TotalEnergies ont exagéré leurs économies d’énergie

C’est la fin d’un montage financier absurde. Le 25 juin, le Conseil d’État a annulé le décret servant à financer les primes de 100 euros pour les nouveaux covoitureurs, un dispositif mis en place en 2023 par le gouvernement. Une décision qui met à mal un mécanisme central du financement de la transition énergétique.

Pour comprendre la portée de cet arrêt, il faut s’intéresser au système complexe et de plus en plus controversé des certificats d’économie d’énergie (CEE) : depuis 2005, et plus significativement à partir de 2022, les entreprises du secteur de l’énergie sont tenues par l’État de financer des actions d’économies d’énergie. Concrètement, ils versent de l’argent à des entreprises vertueuses pour financer des projets en échange de précieux certificats.

Exemple en covoiturage : TotalEnergies donne de l’argent à Blablacar pour que cette dernière propose un bonus «  accueillir » à chaque nouveau conducteur. Par ce geste, nous considérons que TotalEnergies permet de convertir un nouveau conducteur au covoiturage. Conducteur qui multipliera les trajets et permettra — nous l’espérons — aux passagers d’économiser de l’essence. C’est cette économie d’énergie, entièrement virtuelle, qui est monétisée et constitue le cœur de la transaction entre TotalEnergies et Blablacar.

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Comme pour les désormais fameux quotas carbone, l’argent de ce nouveau marché financier ne transite pas par le Trésor public. Elle échappe donc largement au contrôle démocratique. L’État a néanmoins un rôle crucial, car c’est lui qui fixe, par décret, la quantité d’énergie économisée que représente chaque opération.

Or, l’arrêté signé par les services du ministre de la Transition énergétique en septembre 2022 retenait une estimation particulièrement généreuse : chaque nouveau covoitureur inscrit représentait l’équivalent de 21 000 km de voiture évités. Pire, en 2023, ce barème a été doublé d’un simple trait de plume dans un décret. «  booster ». Pour chaque nouveau covoitureur, une économie équivalente à 42 000 km voiture évités pourrait donc être monétisée par Blablacar.

Des retombées artificiellement gonflées

Comment expliquer qu’une estimation aussi généreuse ait été retenue par l’administration ? C’est précisément ce qui a fait sourciller le Conseil d’État. Le ministère n’a pas été en mesure de fournir « aucune étude indépendante » ni l’un ni l’autre «  élément permettant d’étayer sérieusement (…) ces hypothèses », écrit le Conseil d’État dans son arrêt. Finalement, l’administration a commis un «  erreur manifeste de jugement » en retenant cette estimation, les juges estiment.

Dans cette affaire, Blablacar et TotalEnergies semblent avoir directement dicté à l’administration l’estimation à retenir. Les discussions préparatoires au décret contesté, en 2022, se sont notamment appuyées sur une étude réalisée par Blablacar et jamais rendue publique. Selon nos informations, TotalEnergies est également intervenu, en septembre 2022, à travers un avenant déposé auprès du Conseil supérieur de l’énergie (CST). Amendement dans lequel il propose le volume d’économies d’énergie finalement retenu dans la rédaction du décret.

L’intérêt financier est immédiat pour Blablacar

Les deux sociétés ont donc encouragé conjointement l’administration à gonfler artificiellement les bénéfices de l’opération de covoiturage. Pour quoi ? L’intérêt monétaire est immédiat pour Blablacar, car plus l’estimation de l’épargne est élevée, plus elle peut vendre CEEPour TotalEnergies, cette exagération offrait une « dépôt » de CEE dont elle a cruellement besoin pour honorer les obligations qui lui sont imposées par l’État. Tout en restant dans le domaine de l’automobile, qui continue néanmoins de représenter un débouché pour son essence.

«  La plupart des passagers (du covoiturage) n’abandonnent pas leur véhicule, mais abandonnent le trainsouligne dans une récente interview avec Reporterre journaliste Fabien Ginisty, auteur de Blablacar et son monde. Et comme le covoiturage réduit le coût des déplacements, il y aurait finalement plus de véhicules sur les routes. »

Côté gouvernemental, cette estimation plus qu’optimiste a permis de financer, par TotalEnergies (et Engie dans une moindre mesure), le bonus de 100 euros pour les nouveaux inscrits sur les plateformes de covoiturage, mesure phare de son plan covoiturage annoncé fin 2022.

Blablacar empoche une marge nette de 66 %

Cette nouvelle affaire opaque a rapporté 90 millions d’euros à Blablacar en 2023, selon les chiffres communiqués par l’entreprise. Un tiers de cette somme a été versé aux covoitureurs sous forme de primes, ce qui laisse au géant français du covoiturage une marge confortable de 66 %. % sur cette opération CEE.

En 2023, cet afflux de cash dans les poches des covoitureurs a créé un engouement. Les chiffres officiels enregistrent en moyenne 1 million de covoiturages par mois depuis janvier 2024, soit trois fois plus que deux ans plus tôt sur la même période. Mais beaucoup de ces nouveaux trajets sont le fruit d’un effet d’aubaine : des personnes partageant déjà leurs trajets, dans le cercle familial ou professionnel, se sont inscrites sur les plateformes pour empocher les 100 euros promis par Blablacar.


Ce système a rapporté 90 millions d’euros à Blablacar en 2023.
Wikimedia Commons/CC PARSON 4.0/Michał Beim

C’est notamment en raison de ce constat, appuyé par un rapport sévère du groupe de réflexion Forum Vies mobiles, en septembre 2023, que le gouvernement a mis fin à l’opération fin 2023. «  booster » pour les voyages longue distance. Ainsi, depuis janvier, «  l’offre de bienvenue » Le tarif des tickets distribués par Blablacar était retombé à 25 euros. Jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, par sa décision du 25 juin, y mette définitivement un terme.

Contacté par ReporterreBlablacar «  prend note de cette décision »considérant qu’il ne s’agit que d’un seul «  manque de précision » entourant l’échelle contestée. «  Le Conseil d’Etat ne remet en aucun cas en cause le fond du dispositif ni les économies d’énergie générées par le covoiturage. »juge l’entreprise, qui continue de croire «  dans la poursuite d’une politique publique favorisant le covoiturage »TotalEnergies, de son côté, n’a pas souhaité commenter cette décision.

Un dispositif «  pollueur payeur » largement erroné

Désormais à l’honneur, le même système de monétisation des économies d’énergie virtuelles pour le covoiturage «  distance courte » (moins de 80 km). Selon le barème fixé par l’administration, chaque nouvel inscrit est censé effectuer 5 voyages hebdomadaires, à raison de 45 semaines par an, pendant cinq ans. Avec le «  booster » décrétée en 2023 et renouvelée en 2024, qui double ces valeurs, chaque nouvel inscrit équivaut à dix trajets par semaine.

L’affaire de CEE est également au centre d’une autre affaire d’exagération impactant indirectement TotalEnergies, cette fois dans le domaine de la rénovation thermique des bâtiments. Plusieurs entreprises du secteur sont soupçonnées d’avoir menti lors du diagnostic énergétique des logements, pour gonfler la facture de rénovation, comme l’a révélé Marianne début juin.

LE CEE ont également servi à financer des routes solaires au bénéfice écologique douteux, l’achat de bateaux à propulsion électrique ou hybride, ou encore le chèque de 50 euros pour réparer son vélo à l’heure du déconfinement, ont révélé de nombreux réparateurs de vélos de voyage. Dans tous ces exemples, la politique de CEEentouré d’une grande opacité, est soupçonné d’exagérer les économies d’énergie dans des proportions indécentes.

Au total, cette politique aurait permis d’économiser un cinquième de la consommation annuelle d’énergie primaire de la France, rien qu’en 2023. En réalité, la consommation énergétique du pays n’a pas diminué dans les mêmes proportions, souligne-t-il. Le monde dans une enquête publiée le 19 juin.

Toutes ces poses finalement La question de la rationalité des dépenses publiques et de la gouvernance d’une politique qui représente 5 milliards d’euros de taxes similaires par an se pose. De nombreux acteurs, jusque dans les ministères, demandent que le système soit transformé en impôt, pour être enfin soumis à un contrôle démocratique. Notamment parce que les énergéticiens répercutent son coût sur les factures – 180 euros en moyenne par an pour chaque foyer, selon une étude d’Artelys pour l’Ademe citée par Le monde. L’étrange affaire de CEE représente donc un coût, bien réel, pour les Français.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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