Biniam Girmay, un maillot vert pour l’histoire du Tour et du cyclisme africain
Jasper Philipsen, Arnaud De Lie ou encore Mads Pedersen. Voilà les noms que l’on attendait pour s’emparer du maillot vert de cette 111e édition du Tour de France. Celui de Biniam Girmay a été beaucoup moins évoqué, mais c’est bien lui qui l’a porté sur le podium final à Nice, dimanche 21 juillet.
Avec son sourire discret et son empathie sincère, l’Erythréen restera l’un des grands noms de cette Grande Boucle. Parce qu’il a confirmé les espoirs placés en lui, mais surtout parce qu’il a écrit une nouvelle page de l’histoire du cyclisme en devenant le premier coureur noir africain à remporter une étape (trois au total) et à décrocher un maillot distinctif sur le Tour.
Mais le chemin de « Bini », 24 ans, a commencé très loin de Nice, à plus de 4 000 kilomètres. A Asmara, capitale de l’Erythrée où il est né, il chérissait le football, avant de glisser vers le cyclisme à 13 ans. « Quand j’avais 10 ans, je préférais le football. Mon frère aîné était cycliste et mon père m’a initié à la course automobile. »il l’a révélé en 2023.
C’est en allant régulièrement au travail à vélo avec son père charpentier que sa passion a pris naissance. Le voici regarde le Giro avec émerveillement et se voit, un jour, courir et gagner un Grand Tour. « Depuis que j’ai commencé le cyclisme, j’ai toujours rêvé du Tour de France. Gagner une étape, c’est juste incroyable »« Je suis très content de cette victoire, a-t-il assuré après sa première victoire à Turin. Pays montagneux niché au nord de la Corne de l’Afrique, l’Erythrée est un terrain d’entraînement idéal pour les cyclistes. C’est là que le jeune Biniam a appris les ficelles du métier et a commencé à se faire un nom, mais ce n’était pas suffisant.
A 18 ans, il décide de partir. Il rejoint le Centre Mondial du Cyclisme d’Aigle (Suisse), vivier de talents internationaux géré par l’UCI. Sa première percée majeure a eu lieu aux Championnats d’Afrique juniors 2018, où il a remporté le titre dans la course sur route, le contre-la-montre individuel et le contre-la-montre par équipes.
De quoi attirer l’attention des équipes européennes. « C’est l’un des seuls coureurs à avoir pu battre Remco Evenepoel chez les juniors, lors d’une course en Belgique, nous l’avions repéré à ce moment-là »explique Jean-François Bourlart, son actuel manager chez Intermarché-Wanty.
Avant l’équipe belge, qu’il a rejoint en 2021, Biniam Girmay est passé professionnel en 2020 avec une équipe française, Delko, où il a passé un an et demi. « Nous savions que c’était un excellent moteur. J’ai couru avec lui en tant que stagiaire et il était déjà impressionnant.se souvient Axel Zingle (Cofidis), qui a évolué à ses côtés sous les couleurs de l’équipe marseillaise.
Au soir de sa première victoire, ses coéquipiers Gerben Thijssen et Hugo Page n’ont pas tari d’éloges sur un camarade « posé », « agréable », « gentil ». Discret et authentique : voilà ce qui se dégage de Biniam Girmay. « Ce n’est pas seulement moi. Dans mon pays, on n’aime pas les gens qui se vantent, on préfère les gens simples et discrets. »il a dit. Lorsque Gerben Thijssen, l’autre sprinteur local, souffrait de la chaleur dans les premières étapes, c’est Biniam Girmay qui lui a apporté un soutien moral pour l’aider à surmonter l’insolation.
Au soir de sa troisième victoire, à Villeneuve-sur-Lot, l’Erythréen s’amusait des centaines de messages reçus depuis le début du Tour sur son téléphone, qui lui faisaient rater des informations importantes partagées sur la messagerie de groupe de l’équipe. « Biniam, je l’aime et je pense que tout le monde l’aime dans l’équipe »sourit son colocataire Hugo Page.
Depuis ses débuts, Biniam Girmay est catégorisé comme un sprinteur, mais il est bien plus que cela. Pour presque sa première course sur les pavés, il a remporté Gand-Wevelgem en 2022, la première victoire d’un coureur d’un pays d’Afrique subsaharienne dans une classique flamande.
Un mois et demi plus tard, en Italie, il devient le premier coureur noir africain à remporter un Grand Tour. Avant ses trois victoires et ce maillot vert, qui font de lui l’un des sprinteurs les plus complets du peloton. « D’habitude, il était plutôt un ‘puncher-sprinter’, un sprinteur de pente. Mais là, il s’impose sur des sprints plats, c’est impressionnant »a souligné Axel Zingle à Agen.
Le voilà entré dans l’histoire du Tour de France. Un exploit pour lui, mais aussi pour beaucoup d’autres. Biniam Girmay, qui a été déraciné de son pays alors qu’il n’était qu’un adulte, vit aujourd’hui à Saint-Marin, mais court toujours avec un peuple derrière lui. « Ce n’est pas facile de venir d’Afrique en Europe, d’être loin de sa famille pendant des mois. Je pense qu’il a trouvé dans notre équipe un peu de ce qui lui manquait à son arrivée, peut-être contrairement à d’autres équipes qui lui ont proposé un plus gros contrat mais où il se sentait moins à l’aise. »son manager le croit.
« Au-delà de l’aspect sportif, c’est très symbolique : c’est l’ouverture sur un continent, sur l’Erythrée et sur tout un peuple qui s’intéresse tout d’un coup au cyclisme avec un grand champion. »
Jean-François Bourlart, gérant de Biniam Girmayà franceinfo : sport
Devenu une idole dans son pays, « Bini » s’est également donné une sacrée stature au sein du peloton. Dans un costume de porte-étendard qu’il n’a pas choisi mais qu’il endosse volontiers, Biniam Girmay a progressé très vite, alors qu’il ne disputait que sa deuxième Grande Boucle. « J’ai beaucoup appris de mon Tour de France l’an dernier, je me suis rendu compte que je me mettais la pression pour rien. J’ai donc changé d’attitude, de philosophie, de programme d’entraînement. Ce que j’ai réalisé sur ce Tour montre que j’ai corrigé mes erreurs.« , dit-il calmement après son troisième succès.
Son Tour de France ancre encore davantage l’arrivée des cyclistes africains dans les plus hautes sphères du cyclisme. La tenue des championnats du monde à Kigali (Rwanda) en 2025 est un signe fort de l’essor des cyclistes africains, qui regorgent de talents encore difficiles à détecter. Jusqu’à quand ? « Il y aura un jour un champion du monde noir, j’en suis sûr. Mais je ne sais pas si ce sera moi. »il a prophétisé en novembre dernier.