Bienvenue en 2050, où en France, plus personne ne se soucie du taux de natalité.
De notre envoyé spécial en 2050,
Tout le monde sait que vider un appartement est toujours un moment fastidieux et parfois même chargé d’émotion. Mais pour Gabriel, ce samedi de novembre s’apparente davantage à un voyage dans le passé. Entre les vieilles cartes postales et les jolies photos de films (apparemment, elles étaient même revenues à la mode à l’époque !), on retrouve quelques vieux journaux. S’il ne reconnaît pas certains titres – beaucoup ont disparu depuis – l’un d’eux attire l’œil du trentenaire.
À l’époque, la une portait « Natalité, l’effondrement ». Gabriel soupire et feuillette les pages. À l’intérieur, un sociologue du nom de Julien Damon proposait, dans son dernier essai Les batailles de la natalité, « Que la Caisse d’allocations finance des abonnements à des sites de rencontres en ligne. » « Drôle d’idée », se dit Gabriel. Aujourd’hui, les gouvernements n’ont plus vraiment leur mot à dire sur la natalité. « Ces décisions étaient un peu old school… et clairement sexistes », se dit-il. Ses parents lui ont même raconté qu’à l’époque, le président de la République Emmanuel Macron avait prôné un « réarmement démographique » face à la baisse de la fécondité. Une idée vite oubliée.
« Quelque chose de très intime »
Depuis, les politiques ont finalement écouté les conseils de divers experts, notamment des démographes. 20 minutesDerrière le premier journal, un chercheur du nom de Laurent Toulemon explique l’inutilité de ces politiques. « Avoir des enfants est quelque chose de très intime. Exiger des gens qu’ils aient des enfants ou les empêcher d’en avoir, cela implique une contrainte très forte sur les individus. Il n’y a aucune raison pour que ce soit l’Etat qui décide si on a des enfants ou pas ». « Il n’a pas tort », estime Gabriel.
Dans la même interview, Laurent Toulemon résumait très bien la situation de l’époque. « S’il y a plus ou moins de naissances, cela ne changera rien dans les vingt prochaines années. C’est plutôt à long terme que la fécondité aura un impact. Avec le niveau actuel de fécondité, aujourd’hui, on n’est pas du tout dans une situation qui nécessiterait une alerte. » Avant d’ajouter : « Les comparaisons internationales montrent que les politiques démographiques plutôt conservatrices ne fonctionnent pas. Une politique égalitaire consisterait à ce que le coût d’être parent soit le même pour les hommes et les femmes. »
Deux salles, deux ambiances
En y repensant, Gabriel frémit un peu. Ces dernières décennies, plusieurs gouvernements ont durci leur position sur la natalité. La Corée du Sud et son ministère de la Natalité en premier. L’Iran, le Japon et la Chine, qui ont aussi lancé des applications de rencontres. Beaucoup d’autres ont suivi, comme les pays d’Europe de l’Est. Jusqu’à la création du Parti de la natalité en Hongrie ou l’affiche « Faites des enfants » du Parti conservateur polonais pour les élections européennes. La France et ses voisins ont choisi une autre trajectoire, celle du social. « Il y a encore des inégalités importantes en termes économiques, mais en termes sociaux, il y a une réduction des inégalités. En France, il y a une grande diversité de familles et des politiques sociales inclusives », mesurait alors Laurent Toulemon.
Le démographe a vu juste. De nombreuses politiques incitatives ont depuis été mises en place ces dernières années pour permettre aux parents de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Depuis la loi de 2042, il est ainsi interdit aux entreprises d’imposer des réunions à leurs salariés après 17 heures. Une mesure simple, dite comme ça, mais vraiment efficace pour la vie des parents. L’année suivante, un grand plan de lutte contre les violences conjugales a également été adopté, sans compter la meilleure régularisation des salaires favorisée par la loi de 2031. Outre le bien-être des familles, la fécondité a connu une légère hausse grâce au vote de la GPA (Gestion pour autrui) en 2037.
Le bébé virtuel, un enfant comme les autres
« C’est drôle », se souvient Gabriel… Cette même année, un grand engouement médiatique avait surgi à la fin de l’été autour de ce qu’on appelle les « bébés virtuels ». Des chercheurs de l’Imperial College de Londres avaient expliqué par le passé que cette année-là, la majorité des naissances viendraient de parents rencontrés sur une application de rencontre. Plusieurs journalistes avaient contacté Gabriel, né du « match » de ses parents. Mais Gabriel avait refusé, les couples restent les mêmes. Virtualité ou pas.
Et puis, les mentalités ont évolué et les couples sans enfants ou les célibataires ne sont plus considérés comme des êtres perdus. « Ça ne devait pas être une fête pour les célibataires comme moi à l’époque », se dit le trentenaire. Son téléphone vibre. Un nouveau match. Qui sait, peut-être que ce sera la future mère de ses enfants, ou peut-être pas. Peu importe.
*le prénom est inventé