Un espoir. Bien qu’il n’existe actuellement aucun traitement contre l’addiction au cannabis, le professeur Pier-Vincenzo Piazza, psychiatre, neurobiologiste et lauréat du Grand Prix Inserm, travaille depuis plus de dix ans sur un médicament qui permettrait de traiter spécifiquement cette addiction.
Le nom de ce candidat médicament : AEF0117. Comment ça marche ? Quels sont ses effets ? Où sont les études cliniques ? 20 minutes J’ai rencontré le chercheur pour comprendre en quoi consiste cette molécule porteuse d’espoir.
En quoi consiste ce médicament ?
Pour trouver ce médicament, qui consiste en une capsule à avaler une fois par jour, l’équipe du professeur Piazza s’est penchée sur un récepteur particulier du cerveau : le CB1. Le THC, le principe actif du cannabis, provoque une hyperactivation de ce récepteur responsable des effets d’addiction. Et le candidat médicament vise à inhiber la signalisation CB1.
Mais ce n’est pas si simple. Les inhibiteurs précédents avaient déjà cherché à bloquer toute activité du récepteur CB1, y compris les fonctions nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Cela avait entraîné l’apparition d’effets secondaires graves, comme la dépression et l’anxiété, et avait donc empêché l’avancée des essais cliniques.
Cette nouvelle classe de médicaments, appelés « inhibiteurs spécifiques de la signalisation du récepteur CB1 » ou « CB1-SSi », bloque sélectivement l’activité du récepteur. « Avec nos molécules, nous bloquons uniquement la partie liée à l’hyperactivation pathologique mais nous préservons celle liée aux fonctions de base du récepteur », explique Pier-Vincenzo Piazza, patron d’Aelis Farma.
Quels sont ses effets ?
Pier-Vincenzo Piazza parle d’un « triple effet cool kiss » du traitement. Selon les premières études réalisées, « cette molécule inhibe d’abord les effets euphorisants du THC », explique le neurobiologiste. Chez l’humain, les toxicomanes ressentent moins les effets agréables de la substance, fumer devient « moins bon que d’habitude ».
Deuxième effet cool kiss : la personne prenant le médicament candidat aurait moins envie de consommer du cannabis.
Troisième et dernier effet : l’absence de sevrage précipité par la prise du médicament. « 50 % des toxicomanes au cannabis auront un syndrome de sevrage trois jours après l’arrêt, avec une anxiété très forte et des difficultés à dormir et à manger. » Selon le professeur, les premières études réalisées n’ont mis en évidence aucun syndrome de sevrage précipité chez les patients ayant suivi le traitement.
C’est pour quand ?
Même si les premiers résultats sont prometteurs, la commercialisation du candidat médicament n’est pas imminente. Plusieurs études cliniques ont déjà été réalisées aux États-Unis. Deux essais de phase 1 réalisés sur des animaux « n’ont pas démontré d’effets secondaires graves et ont confirmé la bonne tolérance de l’AEF0117, même à fortes doses », selon Aelis Farma.
Le médicament candidat a ensuite été testé pendant cinq jours sur 29 fumeurs réguliers américains dont la consommation de cannabis était supérieure à 1 g par jour, six jours par semaine. Ces derniers étaient divisés en deux groupes. L’un a reçu 0,06 mg d’AEF0117 et l’autre 1 mg. Dans chacun des deux groupes, les fumeurs ont ressenti une réduction du sentiment de bien-être et d’euphorie associé à la consommation de cannabis. Et ceux qui ont reçu 1 mg de médicament ont également réduit leur consommation de cannabis à une consommation quotidienne. Ce sont ces résultats qui ont permis au professeur de mettre en avant les « trois effets cool kiss ».
Une deuxième phase de tests, plus approfondie, vient de s’achever. Elle a cette fois été réalisée sur une période de trois mois auprès de 333 personnes dépendantes réparties dans onze cliniques américaines. Quatre groupes ont été constitués. Les trois premiers ont reçu quotidiennement trois doses différentes d’AEF0117 et le dernier un placebo. « Il s’agit de la plus grande étude jamais réalisée pour le traitement de l’addiction au cannabis », se félicite le professeur Piazza. L’entreprise ne connaîtra les résultats de cet essai clinique qu’au troisième trimestre 2024.
S’ils s’avèrent positifs et que le candidat médicament est validé par la FDA (Food and Drug Administration), d’autres études seront alors menées aux Etats-Unis et en Europe avant une éventuelle commercialisation. Pier-Vincenzo Piazza est optimiste. « Je suis confiant car nous savons que le médicament est bien toléré. » En France, 900 000 personnes fument quotidiennement du cannabis, selon une étude réalisée par l’OFDT.