Bell, accusée d’avoir « laissé mourir ses techniciens », écope d’une amende de 25 000 $ pour ses manquements à la santé et à la sécurité
Un technicien de Bell en colère contre les pratiques de son employeur dénonce le manque de sécurité auquel il est exposé dans son travail. Une pénalité de 25 000 $ émise en mai contre l’entreprise par la CNESST fédérale semble lui donner raison.
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« Un jour, un gars va mourir. Plusieurs sont déjà morts », crie l’employé de Bell Technical Solutions (BTS). Pour des raisons évidentes, il ne veut pas être nommé.
Le Journal L’entreprise a déjà signalé que trois employés de BST sont morts au travail au cours des dix dernières années. Ce travail est risqué : tomber d’une échelle ou toucher le mauvais fil peut arriver très vite.
Le climat de travail est actuellement « pire que jamais », prévient ce vétéran qui compte 10 ans de service chez BST. Les managers « obsédés » par les chiffres n’hésitent pas, dit-il, à faire pression sur les techniciens.
Ces managers reçoivent des primes et des incitatifs annuels en fonction du nombre de tâches accomplies par leurs équipes.
« Dès qu’on ouvre la bouche, on se fait réprimander », résume l’employé, qui ne cesse de répéter que « la santé et la sécurité ne sont pas prises au sérieux » chez BST.
Lorsqu’un technicien effectue une installation ou une réparation, sa tâche est « terminée » si tout se passe bien ou « codée » s’il rencontre un problème.
Coder une tâche est « catastrophique pour le gestionnaire », « ça fait disparaître ses chiffres », explique le technicien. C’est ce qui conduit, dit-il, à de nombreuses violations en matière de santé et de sécurité.
BST le récidiviste
Les routes du Québec sont sillonnées par 1800 techniciens du BST. Ces syndiqués raccordent les nouveaux clients de Bell, ainsi que ceux d’Acanac, d’Ebox, de Distributel et de Virgin, quatre propriétés du géant canadien.
BST a commis deux infractions en matière de santé et de sécurité en quelques mois plus tôt cette année. Cette récidive lui a valu une amende de 25 000 $ de la part d’Emploi et Développement social Canada, le ministère fédéral du Travail.
La première a eu lieu en décembre 2023, selon le procès-verbal obtenu par Le JournalUn technicien avait signalé un danger sur une tâche, lit-on, mais son responsable a invalidé le rapport sans se rendre sur place, puis il a autorisé un autre technicien à revenir.
« Le 16 janvier 2024, un employé (est venu) effectuer la tâche et (a constaté) que la situation dangereuse était toujours présente », a indiqué le gouvernement fédéral.
BST a reçu l’ordre de ne plus recommencer et a été sanctionnée pour la première fois. En mai, un technicien a signalé une situation à risque à son responsable sur un autre chantier, qui, sans se déplacer, a envoyé deux autres techniciens pour effectuer le travail.
« L’employeur n’a pas assuré la protection de ses salariés en matière de santé et de sécurité au travail et n’a pas respecté l’instruction écrite qui lui a été donnée le 30 janvier 2024 », a écrit le gouvernement fédéral, qui a ensuite infligé une amende de 25 000 $ à BST.
Emploi et Développement social Canada n’a pas eu le temps de répondre à nos questions lundi, notamment concernant le montant de la première amende et le paiement ou non par BST des deux sanctions.
« Prêt à nous laisser mourir »
Bell n’a pas répondu directement à nos questions sur la pénalité de 25 000 $ ou sur les accusations du technicien.
« La sécurité des membres de notre équipe, de nos clients, de nos fournisseurs et du grand public est notre priorité absolue. Nous investissons continuellement dans la formation des employés, assurons une supervision adéquate et mettons en œuvre les mesures nécessaires pour assurer un environnement de travail sûr. Nous fournissons également l’équipement approprié pour assurer la sécurité de tous nos employés », a déclaré un porte-parole dans un courriel envoyé tard lundi.
Le syndicat ne veut pas « s’engager dans des relations de travail dans les médias », même s’il reconnaît que cette profession est dangereuse.
« Nous ne manquons pas de dossiers en matière de santé et de sécurité. Nous avons plusieurs comités qui se penchent sur ces questions », affirme le représentant d’Unifor, Olivier Carrière.
La semaine dernière encore, raconte-t-il, un technicien de 60 ans est tombé de son échelle et s’est fracturé le bassin et les deux chevilles. Une longue rééducation attend maintenant cet employé qui avait quatre ans à donner avant de prendre sa retraite.
« La situation des techniciens est connue, le métier comporte beaucoup de risques. C’est sûr qu’on y prend garde », ajoute Olivier Carrière à propos du cas du technicien en colère.
Il ne s’attend plus à ce que son syndicat suive le mouvement. Il s’est habitué, dit-il, à ce que les questions de santé et de sécurité soient minimisées, d’où sa sortie médiatique.
« Tout le monde dort au volant, le syndicat autant que la BST. Bell prend des décisions pour économiser de l’argent, ils sont prêts à laisser le monde mourir », affirme-t-il.
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