Baudelaire, le sang d’un poète
Œuvres complètes
de Charles Baudelaire
Sous la direction d’André Guyaux et Andrea Schellino, préface d’Antoine Compagnon
Gallimard, la Pléiade, nouvelle édition, tome I : 1 760 p. ; tome II : 1 792 p. Prix de lancement, chaque volume : 75 € jusqu’au 31 décembre 2024, puis 82 €
1931 : Baudelaire est le premier auteur à entrer dans La Pléiade, publication audacieuse pour l’époque. Trois autres éditions suivirent, distinguant poésie et écrits. La cinquième édition présente désormais les textes par ordre chronologique, ce qui permet de suivre le poète aussi bien dans les élans de la vie que dans les errances d’un destin.
Orphelin
Né en 1821, Charles Baudelaire perd son père en février 1827. Il avait 7 ans. François Baudelaire, ordonné prêtre en 1784, avait refusé de signer, en 1790, la constitution civile du clergé. « Prêtre réfractaire », il est condamné à la clandestinité pendant la Terreur puis épouse Caroline Dufaÿs. L’ombre de cet homme que Charles Baudelaire a peu connu s’étend sur toute sa vie. Présente dès la petite enfance, la mort va s’imposer dans ses poèmes. Durant l’été 1827, le jeune orphelin de père connaît néanmoins un bonheur intense dans une maison de Neuilly, seul avec sa mère. Parenthèse de courte durée : Caroline se remarie bientôt avec un officier, Jacques Aupick, ce que l’enfant vit comme un chagrin.
Marqué par cette enfance compliquée, Baudelaire a eu du mal à s’imposer dans le monde littéraire, sa jeunesse étant faite d’années d’errance, de dandysme, de dettes, de provocations… Loin de Musset, Hugo ou Vigny, triste de ne pas avoir vécu le Épopée napoléonienne, Baudelaire, tout comme Chateaubriand ou Charles Nodier, nourrit la violente mélancolie de la Terreur. Ainsi, dans un article consacré à Théophile Gautier, en 1859, il juge durement ses aînés : « À l’époque du désordre du romantisme, de l’épanchement ardent, cette formule était souvent utilisée :la poésie du coeur!…Le cœur contient la passion, le dévouement, le crime ; L’imagination seule contient de la poésie. »
Les fleurs maléfiques
Deux ans plus tôt, le juge Pinard avait condamné Les fleurs maléfiques Pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs et outrage à la morale religieuse ». Aujourd’hui, ce qui bouge le plus dans l’œuvre censurée, c’est là la force du message chrétien dès les premières lignes, avec la condamnation de la faute originelle : « Car c’est bien, Seigneur, le meilleur témoignage/Que l’on puisse donner de notre dignité/Que ce long hurlement qui roule d’âge en âge/Et vient mourir au bord de ton éternité. »
Ce dialogue avec Dieu va d’un poème à l’autre, de la révolte, lorsqu’il salue le reniement de saint Pierre, à l’espérance dans le dernier poème, La mort des amoureux : « Et plus tard un Ange ouvrant les portes / Viendra raviver, fidèle et joyeux / Les miroirs ternis et les flammes mortes. » La figure de l’Ange, souvent présente, est parfois confondue avec celle de la femme aimée : « Je suis l’Ange Gardien, la muse et la Madone. » A moins qu’il ne s’agisse de celui de Lucifer, frappé d’une forme de prédestination. Il la supplie de La Litanie de Satan.
De nouvelles formes
Cela a échappé à bien des gens, à commencer par le juge Ernest Pinard. Constellation de signes, de motifs, d’images dessinant de nouvelles formes grâce à l’ordre d’apparition des mots, des cadences et des rythmes, la poésie de Baudelaire crée la beauté, celle « qui marche sur les morts ». Pauvre et malade, Baudelaire meurt le 31 août 1867 dans les bras de sa mère. Les funérailles ont enfin réuni certains de ses amis et les grands de son temps, comme Hugo, Gautier, Verlaine, Mallarmé, Manet, Courbet, pour un hommage mérité.