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« Batailles culturelles » contre l’extrême droite

Dans le hasard objectif des choses révélées, le livre d’Alain Hayot, Face aux nouveaux monstres, les Sursaut, apparaît au moment même où notre pays est en proie à une crise générée par les contradictions politiques internes à nos démocraties et qui ouvrent un boulevard à l’extrême droite. Theodor W. Adorno a noté : « Je crois que la survie du nazisme dans la démocratie présente plus de dangers potentiels que la survie des tendances fascistes dirigées contre la démocratie. »

Alain Hayot montre avec lucidité et pugnacité que la lutte contre l’extrême droite, – et ce pluriel souligné par lui est fondamental –, passe d’abord par la prise en compte de la « imaginaires de la peur » qui attestent de l’effondrement des valeurs démocratiques et de leur pouvoir symbolique de garantir aux citoyens un sentiment de paix et de sécurité. Or, comment garantir aux Français ce sentiment de paix et de sécurité quand on les invite, légitimement, à voter pour un Front républicain contre le Rassemblement national, et qu’on charge ensuite ce même Rassemblement national de sacrer un Premier ministre ? Une telle incohérence discrédite le vote démocratique et les instances institutionnelles qui garantissent sa légitimité démocratique.

Alain Hayot place opportunément son œuvre sous le signe de la citation de Gramsci : c’est dans le clair-obscur du chaos politique que naissent les monstres. Et, les monstres d’aujourd’hui, comme hier, à la fin du XIXe siècle et dans les années 1920, naissent de la crise des démocraties libérales confrontées aux promesses d’un libéralisme politique qui s’écrasent contre le mur des exigences économiques du capitalisme. Ces contradictions culturelles et politiques ont aujourd’hui favorisé l’émergence d’illibéraux et de libéralismes autoritaires. C’est là, comme le souligne Alain Hayot, que réside cette nouvelle alliance entre néolibéraux et nationalistes. L’évidence des faits ne mérite pas d’être ignorée : les partisans de la mondialisation sont de mèche avec les nationalistes. Pourquoi ce renoncement apparent à l’ouverture des frontières ? Parce que le mécontentement des peuples appauvris et prolétarisés par le capitalisme néolibéral risque de porter la gauche au pouvoir. Aussi, pour les néolibéraux, mieux vaut avoir l’extrême droite, qui détourne la colère populaire contre des boucs émissaires, sans changer les régimes de propriété. Telle était déjà l’analyse du nazisme par Walter Benjamin, qui vaut aujourd’hui son pesant d’or et dans le sillage de laquelle s’inscrit l’ouvrage puissant d’Alain Hayot. Et, cet ouvrage d’Alain Hayot – nourri de ses expériences d’universitaire, d’activiste politique et d’acteur culturel – place dans les espoirs culturels offerts par les imaginaires de l’Art, les dystopies et les fictions, l’un des vecteurs les plus influents de l’émancipation humaine.

La surmédiatisation de l’extrême droite, dans un pays où la presse et les médias sont concentrés entre les mains d’une dizaine de milliardaires et où le métier de journaliste est prolétarisé par la contrainte du nombre, ne correspond en rien aux attentes populaires. Alain Hayot le rappelle : les études et les sondages d’opinion montrent que l’état d’esprit du peuple est à l’opposé du pouvoir médiatique. Le peuple est progressiste malgré des médias dominés par la droite et l’extrême droite. Ce que j’aime dans ce livre d’Alain Hayot, c’est notamment cette honnêteté qui garde ses distances avec ces produits de pensée standardisés que sont les slogans (« En colère, pas fascistes ») ou des mots-valises (tels que « populisme de gauche »). Honnête et lucide, il s’engage dans un travail de déconstruction des concepts et nourrit sa démarche d’archives documentées sur le passé récent et plus lointain. Cet essai commun analyse le matérialisme et la déconstruction des visions du monde, des habitudes et des représentations. Ce qui invite aux débats. Je ne m’en priverai pas. Je débattrais volontiers de la manière dont Alain Hayot traite du concept d' »illibéralisme » de Fareed Zaccaria ou des métamorphoses de « fascisme originel » d’Umberto Eco. C’est l’un des mérites de ce livre, et non le moindre, d’inviter au débat.

J’ai beaucoup aimé la façon dont il montre la déconnexion des populismes nationalistes et des « racismes sans race » avec les rapports de classe et les luttes sociales. Sur ce sujet, les analyses de l’imposture des protections sociales de l’extrême droite sont un petit bijou. Et un bijou d’actualité : comment le RN pourra-t-il soutenir (par l’abstention) un Premier ministre typiquement néolibéral en matière d’économie et pro-européen ? La réponse est simple : par un durcissement des pouvoirs régaliens contre les libertés publiques. C’est à l’image du libéralisme autoritaire d’Emmanuel Macron, dur avec les citoyens et « mou » avec les marchés. On retrouve ici la théorie exposée par Carl Schmitt en 1932 : un État fort et répressif au service des économies de marché.

Il nous faut donner une « forme à notre destin » (Albert Camus) pour ne pas succomber à la fatalité de l’histoire et aux formes réactualisées de ses atrocités. C’est pourquoi j’adhère pleinement à ces « batailles culturelles » auquel nous sommes invités par le Surprendre par Alain Hayot. Nous partageons ce goût pour les mots de Jean Jaurès qui nous montre la voie : « dans l’ordre politique la nation est souveraine et elle a brisé toutes les oligarchies du passé ; dans l’ordre économique, la nation est soumise à beaucoup de ses oligarchies (…). » Et il ajoute : « Vous avez interrompu le vieux chant qui berçait la misère humaine… et la misère humaine s’est réveillée avec des cris, elle s’est levée devant vous et aujourd’hui elle réclame sa place, sa grande place au soleil du monde naturel, la seule que vous n’ayez pas fanée. »

Le débutd’Alain Hayot, éditions Humanité, 150 pages, 15 euros

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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