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Avocats, journalistes, opposants, militants d’ONG… Ce que l’on sait de la vague d’arrestations en Tunisie sur fond de crise migratoire

La scène est filmée en direct par la France 24. Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, a été arrêtée manu militari, samedi 11 mai, par les forces de sécurité tunisiennes, alors qu’elle s’était réfugiée depuis la veille dans les locaux de l’Ordre des avocats de Tunis. Elle a été la cible de critiques en ligne après un commentaire ironique sur la situation du pays et la question migratoire sur un plateau de télévision. DDes chroniqueurs de médias ont également été arrêtés et placés en détention, Samedi soir.

Leur sort renforce les craintes d’un tournant autoritaire du pouvoir. Le président tunisien Kaïs Saïed, dans un pays où la contestation est de plus en plus systématiquement réprimée. Dimanche, environ 300 personnes se sont rassemblées à Tunis à l’appel du Front du salut national (FSN), principale coalition d’opposition, pour exiger le « libération des détenus politiques ». Une quarantaine de personnes, dont plusieurs responsables du FSN, sont détenues « complot contre la sécurité de l’État »pour certains depuis février 2023. Franceinfo fait le point sur la situation.

Un avocat arrêté pour avoir critiqué la situation dans le pays

L’avocat arrêté devant les caméras samedi a été la cible de critiques en Tunisie depuis des propos ironiques sur le plateau d’une émission de télévision tunisienne mardi. En réponse à une autre chroniqueuse, qui affirmait que de nombreux migrants venus d’Afrique subsaharienne cherchaient à s’installer en Tunisie, elle a feint de s’interroger : « De quel pays extraordinaire parlons-nous ? Une remarque jugée « dégradant » pour l’image du pays par certains utilisateurs sur les réseaux sociaux.

Convoquée vendredi devant un juge d’instruction, Sonia Dahmani n’a pas répondu, expliquant à la presse qu’elle refusait de comparaître devant le tribunal. « sans connaître les raisons de cette convocation ». En raison de son absence, le juge d’instruction chargé de ce dossier a émis un mandat d’arrêt contre lui.

Sonia Dahmani a été arrêtée samedi soir alors qu’elle se réfugiait à la Maison des Avocats de Tunis. La scène a été filmée en direct par une équipe de France 24, mais la diffusion a été interrompue par des policiers masqués. Chaîne l’information a vivement protesté contre l’attitude des policiers cagoulés, qui  » s’est ensuite dirigé vers l’équipe de la chaîne en leur disant d’éteindre la caméra sous les vives protestations de Maryline Dumas « le correspondant sur place.

Le journaliste caméraman qui l’accompagnait, Hamdi Tlili, « a été libéré au bout d’une dizaine de minutes, et le correspondant de France 24 va bien », a ajouté la chaîne. France 24 a condamné «fermement cette entrave à la liberté de la presse et cette intervention brutale et intimidante de la police empêchant ses journalistes d’exercer leur métier.»

Dans la manifestation de soutien dimanche, les collègues de Sonia Dahmani, interrogés par RFI, estiment qu’elle « a fait l’objet d’un enlèvement ». « Pour l’instant, nous ne savons pas où elle a été emmenée. D’autres avocats ont été agressés et l’un d’entre eux a été blessé et transféré à l’hôpital. »rapporte un avocat tunisien cité par la radio française.

Deux chroniqueurs placés en détention immédiate

Borhen Bssais, présentateur de télévision et de radio, et Mourad Zeghidi, chroniqueur, ont été à leur tour arrêtés samedi soir et placés en détention dimanche, pour avoir critiqué la situation en Tunisie. Tous deux font l’objet d’un mandat de dépôt pour diffusion de « fausses informations (…) dans le but de diffamer autrui ou de nuire à sa réputation », a déclaré le porte-parole du tribunal de Tunis, Mohamed Zitouna.

Selon l’avocat de Mourad Zeghidi, son client est poursuivi « pour une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle il soutenait un journaliste arrêté (Mohamed Boughalleb, condamné à 6 mois de prison pour diffamation envers un fonctionnaire) et déclarations dans les émissions de télévision depuis février ». Borhen Bssais est quant à lui accusé d’avoir « a miné le président Kaïs Saïed à travers des émissions et des déclarations radiophoniques »a déclaré son avocat à l’AFP.

Une personnalité antiraciste arrêtée et accusée d’avoir provoqué une vague migratoire

Alors que plusieurs ONG d’aide aux migrants subissaient des contrôles, la présidente de l’association tunisienne antiraciste Mnemty, Saadia Mosbah, a été placée en garde à vue lundi pour des soupçons de blanchiment d’argent. Cette figure de proue de la lutte antiraciste en Tunisie était toujours en détention dimanche.

La militante antiraciste Saadia Mosbah lors d'une marche organisée à Tunis, le 4 mars 2023, pour dénoncer un discours du président tunisien Kaïs Saïed au sujet des migrants.  (CHEDLY BEN IBRAHIM / NURPHOTO / AFP)

La Tunisie est, avec la Libye, l’un des principaux points de départ de l’émigration clandestine vers l’Italie. Des milliers d’Africains subsahariens se retrouvent bloqués par des politiques restrictives d’accès à l’Europe.

De la « campagnes diffamatoire »accusant Saadia Mosbah et d’autres militants antiracistes d’être à l’origine de cette vague migratoire, a pris de l’ampleur « fin 2022, lorsque le Parti nationaliste tunisien, un groupuscule aux idées xénophobes, a lancé une campagne contre la présence de migrants subsahariens, en s’appuyant sur des théories d’extrême droite comme celle du ‘grand remplacement' », expliquer Le monde.

Dès février 2023, le président Kaïs Saïed reprend cette idéologie, évoquant l’existence d’un « un plan criminel visant à modifier la composition démographique » du pays et affirmant que «Certaines personnes ont reçu de grosses sommes d’argent pour accorder la résidence à des migrants subsahariens», raconte la vie quotidienne. Saadia Mosbah est alors descendue dans la rue pour manifester après ce violent discours.

Lundi, Kaïs Saïed a répété que son pays « ne sera pas une terre pour installer ces gens » Et « fera en sorte de ne pas être un point de passage ». Il a réitéré son accusation selon laquelle « associations et organismes » recevoir « des sommes astronomiques venues de l’étranger ».

Un texte sur les « fausses nouvelles » utilisé pour faire taire les critiques

L’avocat et les deux chroniqueurs arrêtés samedi sont poursuivis en vertu du décret-loi 54 de septembre 2022 rendant la diffusion de « fausses nouvelles » passible cinq ans de prison. Il est critiquée par les défenseurs des droits de l’homme car elle est sujette à des interprétations très larges. En un an et demi, plus de 60 personnes, parmi lesquelles des journalistes, des avocats et des opposants à Kaïs Saïed, ont été poursuivies sur la base de ce texte, selon le Syndicat national des journalistes.

Depuis que le président tunisien, démocratiquement élu en octobre 2019 pour cinq ans, s’est octroyé les pleins pouvoirs par un coup d’État en juillet 2021, les ONG tunisiennes et internationales déplorent une régression des droits et libertés en Tunisie.

Parmi les nombreuses personnes arrêtées ces derniers mois figure Rached Ghannouchi, chef du parti d’opposition Ennahda, arrêté le 17 avril. après des déclarations rapportées par les médias, dans lesquelles il affirmait que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si l’Islam politique, pour lequel sa formation revendique, était éliminé. Une source au ministère de l’Intérieur, citée par les médias tunisiens, a confirmé que l’arrestation de Rached Ghannouchi était liée à ces déclarations.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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