avis de tempête judiciaire pour le fabricant de pneus
C’est le pire cauchemar de Goodyear. Christian Duc a un métier bien particulier : ingénieur pneumatique. Salarié de Michelin jusqu’en 2011, il est devenu, sur ses vieux jours, expert juridique. C’est ainsi qu’il a été saisi par la police judiciaire pour un accident survenu le 25 avril 2016, sur l’autoroute A13, à proximité d’Ecquevilly (Yvelines). Comme souvent depuis le début des années 2010 et la sortie des pneus Marathon LHS II de l’usine Goodyear Luxembourg (puis leur évolution, les LHS II+), un éclatement du pneu avant gauche a provoqué la perte de contrôle d’un poids lourd. Ce jour-là, et bien d’autres fois auparavant, le véhicule s’est renversé sur la chaussée et a franchi la barrière de sécurité ; son chauffeur a été tué. Le pneu en question ? Un marathon.
Trois ans plus tard, le 3 avril 2019, M. Duc soumettait ses conclusions aux tribunaux. Ils sont limpides. « Entre 2011 et 2016Il commence, il y a eu de nombreux accidents avec les pneus avant Goodyear. » Cependant, poursuit l’expert, « Goodyear a retiré les pneus. (…) Nous ne pouvons pas exclure que le pneu avant gauche puisse avoir une cause de défaillance similaire à celle des pneus mis hors service, même si les dates ou les dimensions ne sont pas exactement identiques. » Il conclut : « La détérioration du pneu résulte d’une défaillance prématurée liée à sa structure interne (Et) déstructuration interne profonde et avancée. (…) Il n’y a pas de cause externe. » En quelques phrases, l’expert vient de (re)lancer l’affaire Goodyear. Ce énième rapport accusateur n’affole cependant toujours pas les autorités françaises, judiciaires ou administratives.
Le personnel de la multinationale est conscient que les Marathon LHS II et LHS II + sont impliqués dans de nombreux drames routiers. Ceci est attesté par un document secret obtenu Le monde ; bien qu’il n’y ait aucune preuve qu’il soit exhaustif, il donne une idée de l’ampleur des dégâts. Il s’agit d’un tableau Excel établi le 19 octobre 2017 par Grégory Boucharlat, vice-président commercial de Goodyear Europe. Cela fige la situation : rien qu’en Espagne, 158 accidents ont été enregistrés, pour un montant total d’indemnisation estimé à 3 381 881 euros. Aux Pays-Bas, 8 incidents se sont déroulés entre mai 2015 et juillet 2016, causant des dégâts s’élevant à 1 317 898 euros. En France, 81 accidents ont été recensés entre juillet 2013 et décembre 2016, avec des indemnisations variant selon les cas entre 150 et… 75 000 euros.
Selon ce tableau, le seul drame survenu à Roye (Somme), en juillet 2014, fatal à Luis Lesmes, cadre de la société anglo-suisse Glencore, a déjà coûté à Goodyear plus de 964 000 euros rien qu’en frais de procédure. L’affaire fait alors l’objet d’une information judiciaire au tribunal d’Amiens et d’une procédure civile à Nanterre. Cette dernière a finalement débouché sur une transaction discrète à Londres, en l’occurrence une indemnisation colossale (plusieurs dizaines de millions d’euros, selon nos informations) pour la veuve de Luis Lesmes.
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