Lundi 29 juillet 2024
Des villes pas comme les autres (1/6)
Arles a souvent cette image de carte postale. Son amphithéâtre, ses thermes, son église Saint-Trophime, le site des Alyscamps, une ancienne nécropole romaine et médiévale. Mais aussi un ravissant centre historique bordé de jolies ruelles qui ont su garder leur âme sans tomber dans le cliché de la carte postale. Les Français connaissent, au moins par ouï-dire, la vie culturelle bouillonnante d’Arles : les rencontres photo, le festival du dessin, le festival Les Suds… Et les amoureux des livres connaissent au moins un éditeur : la célèbre maison d’édition Actes Sud. Mais ce que beaucoup ignorent, c’est qu’Arles, dont plusieurs monuments sont classés à l’Unesco, ne se limite pas à ce « petit » centre historique.
La ville chère au peintre Vincent Van Gogh s’étend sur 759 kilomètres carrés, soit sept fois la superficie de la capitale, Paris ! Pour rejoindre la plage de Piemanson au sud depuis l’abbaye de Montmajour au nord, comptez une cinquantaine de kilomètres et autant de minutes de trajet en voiture. Avec cette superficie, la ville, qui ne compte « que » 50 000 habitants, détient même le titre de plus grande ville de France métropolitaine.
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Des kilomètres de territoire déserté
Reste qu’il ne faut pas imaginer cinquante kilomètres d’urbanisation, loin de là. Lorsqu’on quitte la ville d’Arles, la réalité nous rattrape vite. Entre Rhône et marais, le territoire arlésien est principalement composé de campagne sauvage. D’immenses terres agricoles permettent de cultiver le riz – 55 % de la production française vient d’Arles – et la vigne, tandis que l’on croise des élevages de taureaux et de chevaux blancs ; ou côté marais, des flamants roses. Au sud, ce sont aussi les collines salées, les chameaux, qui se détachent sur le bleu du ciel. Au fil des kilomètres et des kilomètres carrés, l’homme n’est quasiment pas présent, l’urbanisation se limite à une poignée de fermes isolées, donnant aux lieux une atmosphère de western. fabriqué en France.
Cinq villages parsèment cette Camargue qui s’étend jusqu’à l’embouchure du Rhône. Mais peut-on vraiment se sentir arlésien quand on habite à 25 minutes et 24 kilomètres du centre-ville, comme à Sambuc, le premier village que l’on croise sur la route ? « On se sent plus comme Sambuc, reconnaît Roger, qui habite cette ville de 500 âmes et tient un bar-tabac-restaurant sur la place. Nous sommes assez loin d’Arles, même moi si nous y allons régulièrement pour les magasins. Parce que au sud, dans l’autre sens, il n’y a rien. Sinon une autre commune, Salin-de-Giraud, avec elle aussi une mairie annexe et d’étonnants villages miniers à la manière du nord de la France. Un héritage de l’installation des Belges de Solvay à la fin du XIXe siècle, qui organisèrent l’espace urbain comme sous leurs latitudes originelles. Ici, dans ce qui semble être le bout du monde, on est à 40 minutes du centre-ville d’Arles. Et sur son banc, Dominique, accompagné de Pierre et Yvon, tient à préciser qu’il est un « Salinier » avant tout.
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Aspirations à l’indépendance
Mais comment se fait-il que des villes aussi éloignées fassent partie d’Arles ? Il faut se replonger dans l’histoire, explique Rémi Venture, historien local et conservateur de la médiathèque d’Arles : « Arles est un territoire très plat, désert. La plupart des terres sont inhabitables ou inhabitées. Lorsque les communes furent créées en 1790 sur le modèle des anciennes paroisses, Arles obtint ces limites territoriales. » Et même un peu plus, puisqu’à cette époque, Saint-Martin-de-Crau et Port-Saint-Louis-du-Rhône font partie d’Arles. Deux communes qui obtiendront leur indépendance au fil des décennies, notamment parce que le Sénat, sous la IIIe République, a intérêt à augmenter le nombre d’électeurs. Port-Saint-Louis-du-Rhône, dont le territoire est partagé entre Arles et Fos-sur-Mer, l’obtient en 1904, et Saint-Martin-de-Crau en 1925, après une lutte de quarante ans. Cette dernière est d’ailleurs aujourd’hui la treizième commune la plus grande de France métropolitaine, ce qui donne une idée de l’étendue d’Arles au début.
Les aspirations indépendantistes ne sont pas un concept totalement révolu. En 2002, lors d’une pétition, 69 % des 2 100 habitants de Salin-de-Giraud ont annoncé vouloir faire sécession. Le sujet revient régulièrement sur le devant de la scène. Pour l’instant, sans succès. Dominique, Pierre et Yvon, toujours assis sur le banc, sont alors interrogés sur ce qu’ils en pensent. Leur bilan est sans appel : « Ici, nous sommes les oubliés. Nous payons la même taxe foncière qu’à Arles, alors qu’il n’y a rien. » Mais se séparer d’Arles n’aurait que peu d’intérêt pour notre trio : « Avant, quand il y avait de l’argent qui rentrait des usines, oui, maintenant, ça n’aurait plus de sens… »
800 kilomètres de routes
A Arles, cette particularité de superficie, qui lui permet aussi de bénéficier de 24 kilomètres de plage, est peu mise en avant dans la communication touristique. Mais elle a de réelles implications dans la gestion quotidienne de la ville, comprend-on à la lecture d’un rapport de la Chambre régionale des comptes, publié en 2020. Le rapport pointait ainsi des effectifs techniques municipaux 16 % supérieurs à ceux des villes de la strate arlésienne. Hervé Schiavetti, l’ancien maire, s’est défendu en expliquant que « La surreprésentation des personnels du secteur technique est liée à la taille importante de la commune, qui oblige à réaliser des missions de service public dans des hameaux éloignés de la ville d’Arles. »
Il a également justifié ces chiffres en rappelant que la superficie d’Arles « Cela implique également un grand nombre de bâtiments municipaux à entretenir et à entretenir », sans compter les routes (environ 800 kilomètres), et « les réseaux et équipements très variés » Ce qui prouve qu’être la plus grande commune de France ne semble pas avoir que des avantages !