Les nouvelles les plus importantes de la journée

« Avec Michel Barnier à Matignon, la droite classique et la France sont à quitte ou double »

« Avec Michel Barnier à Matignon, la droite classique et la France sont à quitte ou double »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Si le nouveau Premier ministre est issu de la droite traditionnelle, sa nomination doit être comprise comme un accident démocratique et non une victoire de sa famille politique d’origine, analyse l’essayiste et historien Maxime Tandonnet.

Essayiste et historien, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019), récemment réédité dans la collection « Tempus ».


La droite traditionnelle, dite aussi « républicaine » se réjouit comme elle ne l’a plus été depuis huit ans, de la victoire de François Fillon aux primaires de 2016 qui semblait lui ouvrir la voie vers l’Élysée. L’un des siens, Michel Barnier, est de retour à Matignon, au plus haut niveau de l’État. Elle est quasi unanime, toutes tendances confondues, à s’en réjouir, libérale, souverainiste, conservatrice, populaire. Mieux, elle semble réconciliée : les partisans de l’indépendance de la droite comme ceux ralliés à la Macronie communient dans la même satisfaction.

La passation de pouvoir à Matignon a donné lieu à une étonnante scène de « vieux chapeau »Nouveau Monde » (Macroniste) par l’ancien. Le nouveau Premier ministre a trouvé les mots adaptés aux attentes des Français : « humilité, vérité, respect, action« Tout se passe donc comme si la droite traditionnelle venait de remporter les élections. Or, cette impression est un mirage, une pure illusion : elle n’a pas gagné les élections. Elle sort même d’une longue série de défaites tonitruantes, n’a pas rassemblé plus de 10 % des voix aux dernières législatives et ne dispose que d’une petite minorité de 50 députés sur 577… Alors, que se passe-t-il ? De quelle victoire découle l’installation de Michel Barnier à Matignon ?


Pourquoi ne pas lui donner sa chance ? D’un autre côté, un éventuel échec de sa part, une chute dans l’impopularité, signifierait l’anéantissement définitif de la droite classique et la porte grande ouverte à l’aventure, peut-être à l’apocalypse pour la France.

Maxime Tandonnet

Le retour au pouvoir de la droite classique est le résultat, non d’une victoire électorale, mais d’un accident démocratique, d’un violent soubresaut de l’histoire politique comme il s’en produit périodiquement. Celui-ci résulte de l’explosion de la classe politique, provoquée par la dissolution du président Macron. Ce dernier, après avoir déclenché l’apocalypse nucléaire de l’article Douze, n’a trouvé d’autre solution que de faire appel à Michel Barnier dans la précipitation et l’improvisation, un ultime appel désespéré pour tenter de limiter les conséquences de son geste aventureux.

Le scénario actuel ne correspond à rien de connu, à rien de prévu. Il ne s’agit pas d’une cohabitation par laquelle un Premier ministre, s’appuyant sur une majorité à l’Assemblée nationale, impose sa volonté à un chef d’État devenu minoritaire… Il ne s’agit pas d’une «accord gouvernemental » , négocié et contracté sereinement entre les dirigeants de la Macronie et de LR, c’est-à-dire un acte de compromis pour le partage des prébendes et la reconstitution artificielle d’une majorité absolue. Ce n’est pas non plus un « pacte législatif« , sur la base d’un programme commun de réformes.

Il ne s’agit pas d’un acte de soumission à la présidence Macron. Celle-ci est foudroyée, la foudre de Jupiter se retourne contre elle-même, une présidence désormais affaiblie, discréditée et au bord du gouffre – de la résignation, pour être franc. C’est elle qui compte sur Michel Barnier comme sauveur ultime, bien plus que l’inverse, dans un réflexe de survie : sauver le quinquennat. Comme dans une démocratie parlementaire classique, le pouvoir exécutif bascule du côté du Premier ministre.

La seule chose qui comptait, pour l’ex-Jupiter, c’était de sauver sa peau en évitant une motion de censure au moins dans l’année à venir. Il n’a pas pu aller à gauche, du fait de l’intransigeance des mélenchonistes. Alors il a basculé à droite, par la seule force des choses, constituant au centre macroniste et à droite, une quasi-entente, innommable parce que honteuse, un pacte de non-agression avec le Rassemblement national.

Et Michel Barnier s’est trouvé l’instrument de ce pacte de non-agression. Or, celui-ci repose sur un immense paradoxe, une faille béante : la trêve silencieuse entre les ennemis jurés d’hier, le macronisme et le lepénisme. La haine du « populisme » ou de la peste nationaliste n’était-elle pas, à l’origine, une des raisons d’être du macronisme ? Quel paradoxe ! Une position infiniment fragile et précaire : l’expérience Barnier repose tout entière sur ce paradoxe et sur la prolongation de la trêve… En vérité, la droite traditionnelle n’a aucune raison de se réjouir ni de se laisser gagner par l’euphorie.

La « victoire étrange », ou fausse victoire, peut-elle se transformer en une authentique victoire démocratique ? Soyons clairs : la porte est étroite et les chances de succès existent, mais elles sont assez minces. Michel Barnier n’a pas été choisi par les Français et son profil est a priori peu cohérent avec le vote antisystème de 56% des Français (RN et NFP) aux législatives. Son gouvernement, privé de majorité claire – c’est du jamais vu – sera l’otage du bon vouloir à la fois des macronistes et du RN.

Mais parfois, les rebondissements de l’histoire, le chaos politique et toutes les débâcles naissent de belles surprises. Sans même parler des moments héroïques (Brumaire, 18 juin), l’« expérience Pinay » que personne n’attendait en 1952 offre un bel exemple de réussite malgré des vents contraires que personne n’attendait. Michel Barnier semble avoir rompu avec les dogmes pro-européens lors des primaires de 2022 ; il a pris des positions fermes sur l’immigration, au centre des préoccupations des Français. Aujourd’hui, il parle de « l’immigration, une question qui nous tient particulièrement à cœur ».la vérité, l’humilité, le respect des gens, l’action plutôt que le bla bla » – visant le macronisme à travers chacun de ces mots. Les mots qu’il fallait entendre. S’il parvient à construire un lien de confiance avec le pays, il peut renverser la situation, bousculer le système. Pourquoi ne pas lui donner sa chance ? En revanche, un éventuel échec de sa part, une chute dans l’impopularité, signifierait l’anéantissement définitif de la droite traditionnelle et la porte grande ouverte à l’aventure, peut-être à l’apocalypse pour la France.

Quitter la version mobile