Les fabricants français ne veulent plus de génériques, avec un argument clé : ils ne sont pas assez bien payés. Le prix plafond d’un générique est fixé à 55 % de son équivalent d’origine, le princeps ; les dépenses liées aux médicaments sont réévaluées chaque année dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale, et tendent à diminuer d’année en année au profit des autres secteurs de santé.
Lorsque des augmentations de prix sont demandées, l’État a tendance à les refuser. Malgré l’inflation, seules 8 des 24 demandes de Biogaran ont été acceptées. Mais la France a surtout endossé depuis longtemps une politique tarifaire poussée par les laboratoires eux-mêmes, comme le rappelle Etienne Nouguez, chercheur au CNRS et au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po.
« Si vous voulez la politique des prix en France, depuis le milieu des années 90, elle consiste à accepter l’idée qu’on va payer les innovations au prix fort, et pour maintenir le budget de la Sécurité sociale on va récupérer tout l’argent qu’on peut, notamment sur les génériques »
Une solution à cette incertitude croissante et à la baisse des prix pourrait être de conclure des contrats pluriannuels avec les fabricants de génériques pour s’assurer qu’ils produisent et vendent suffisamment, quitte à impliquer le secteur public pour rentabiliser la délocalisation. Même si ce n’est pas si déficitaire que ça : l’activité génériques de Biogaran a généré l’an dernier 1,3 milliard d’euros, en hausse de 9 %.
Une stratégie assumée, un business model trop difficile
Les laboratoires ont donc bien choisi de s’en détourner, pour simplement faire plus de profits… Laurence Harribey est sénatrice de Gironde, elle a dirigé une commission d’enquête sur les pénuries :
« On sait que les génériques sont des secteurs qui ne génèrent pas de valeur ajoutée, ces groupes se concentrent sur des secteurs à forte innovation. Ce sont des questions de choix industriels qui n’ont rien à voir avec la santé publique.»
Le groupe Servier affirme lui-même vouloir s’orienter vers la très lucrative oncologie et les traitements innovants, comme l’ont fait avant lui Sanofi ou Novartis après avoir longtemps commercialisé des génériques.
Car à l’inverse, le modèle économique de ces copies ne permet pas de marges : outre les prix plafonnés, il faut vendre aux pharmacies et non aux médecins, acceptant le passage aux marges arrière, ces commissions très réglementées versées à la pharmacie.
Les génériques proposaient donc 4% de rémunération brute en 2023, soit deux fois moins que les molécules sous brevet. Le seul salut est de produire en gros volumes, idéalement dans ses propres usines, et pour plusieurs pays – à l’instar des grands constructeurs indiens.
Servier, qui contracte avec 25% des pharmacies, veut donc profiter de sa domination pour vendre au prix fort et se réorienter. Et tant pis s’il manque des molécules essentielles dans la démarche : Biogaran a été condamné l’été dernier à une amende de 225 000 euros faute de stocks suffisants d’amoxicilline, cet antibiotique utilisé notamment pour les enfants.