« Avec la partition soviétique de Tebboune, la démocratie n'est plus qu'un lointain souvenir »
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« Avec la partition soviétique de Tebboune, la démocratie n’est plus qu’un lointain souvenir »

« Avec la partition soviétique de Tebboune, la démocratie n’est plus qu’un lointain souvenir »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le 7 septembre, le président sortant Abdelmadjid Tebboune a été réélu avec près de 95% des voix. Un score improbable auquel s’est ajoutée une confusion dans les chiffres sur le taux de participation, souligne le diplomate Xavier Driencourt.

Xavier Driencourt est diplomate et ancien ambassadeur de France en Algérie. Il a publié L’énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (Editions de l’Observatoire, mars 2022).


Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a été, comme prévu, réélu, au terme d’une non-campagne menée en plein mois d’août. Il a en effet rempli les deux conditions nécessaires à tout candidat algérien à la présidence de la République : d’abord être choisi et soutenu par l’armée, comme cela a toujours été le cas depuis 1965, date de la prise du pouvoir par Houari Boumediene. C’est l’Armée nationale populaire, en effet, qui avait choisi Chadli en 1979 (au détriment de Bouteflika, qui se voyait comme le successeur naturel de Boumediene), puis après avoir contraint Chadli à la démission en 1991, était allée chercher Boudiaf au Maroc, et avait, plus tard, élu Zeroual, puis lorsque ce dernier, lassé, avait démissionné, était allé chercher Bouteflika dans sa retraite suisse.

En 2019, c’est encore le chef d’état-major, le général Gaïd Salah, qui a forcé Bouteflika à démissionner pour pousser Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre et ancien Premier ministre de Bouteflika, à la présidence. Il a alors été élu avec 57 % des voix. Même chose en 2024, l’armée algérienne choisissant finalement de réélire le président sortant.

Qui peut croire honnêtement à un tel score, auquel même les commentateurs les plus favorables ne peuvent souscrire ? Évidemment, ce chiffre soviétique à lui seul efface tout « parfum de démocratie ».

Xavier Driencourt

La deuxième condition aujourd’hui, c’est de créer un léger « parfum de démocratie ». Pas de démocratie, c’est évidemment risqué, mais un simple avant-goût, le minimum pour éviter les critiques des gouvernements étrangers et de l’Europe. Pour cela, il faut « organiser » l’élection, trouver des figurants, des « lièvres » comme on les appelle à Alger, qui vont se prêter au jeu électoral, se faire passer pour des candidats, faire semblant de faire campagne, faire un come-back au candidat officiel, sachant qu’ils n’ont aucune chance d’être élus. Ce sont les « Marcel Barbu » de l’époque, mais dans ce théâtre démocratique, il n’y a que des Barbu ! En effet, seuls deux candidats étaient autorisés, un islamiste et un socialiste kabyle, ce dernier prêt à jouer le jeu pour amener, espérait-on, les Kabyles à se rendre aux urnes.

Mais ces deux conditions ne suffisent pas, puisque le seul paramètre qui compte, plus que le résultat, c’est la participation. Dans un pays où la répression politique n’a jamais été aussi forte, le seul moyen de faire entendre son opinion est de boycotter les urnes. Des bureaux de vote vides sont mauvais pour l’image et donc pour le « parfum de démocratie » que veulent créer les dirigeants algériens (« le système »). C’est exactement ce qui s’est passé cette fois-ci : jouer à la démocratie sans en maîtriser les codes produit parfois des erreurs.

Première erreur, s’attribuer un taux de 94,65 % des voix, taux que Bouteflika lui-même n’avait jamais atteint. Qui peut croire sincèrement à un tel score, auquel même les commentateurs les plus favorables ne peuvent souscrire ? Évidemment, ce chiffre soviétique annule à lui seul tout « parfum de démocratie ».

Deuxième erreur, le chiffre de la participation. Un taux de participation officiel de 48,03 % a été annoncé pour un corps électoral de 24,35 millions d’électeurs, qui devrait donc être de onze millions d’électeurs. Or, les résultats publiés – avec plusieurs heures de retard – ont donné 5,63 millions d’électeurs, soit un taux réel de 23 %. Cinq millions de voix auraient donc disparu ? De plus, la participation a été quasi nulle dans certaines régions : autour de 3 % dans les wilayas de Tizi-Ouzou et Bejaïa. Au point que cette confusion dans les chiffres a conduit les directeurs de campagne des trois candidats – dont celui du président sortant, qui est ministre de l’Intérieur – à protester auprès de l’agence chargée d’organiser les élections pour l’opacité des chiffres publiés. 48 heures après l’annonce des candidats, le taux de participation n’avait toujours pas été publié !

Mais, quoi qu’il arrive, le président est réélu ; il a même reçu, au lendemain du scrutin, les plus chaleureuses félicitations des présidents syrien, turc, palestinien, tunisien et français. Il fallait vraiment que la France veuille se faire pardonner sa nouvelle idylle marocaine pour féliciter, seule parmi les pays européens, cette élection d’un maréchal.

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