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« Aux urgences, on rit beaucoup pour décompresser »

« Aux urgences, on rit beaucoup pour décompresser »

La Croix-L’Hebdo : Comment vas-tu ?

Agnès Ricard-Hibon : Très bien, je suis contente ! J’arrive toujours à l’hôpital avec enthousiasme, malgré les contraintes de temps et l’équilibre difficile entre vie professionnelle et vie familiale, même si mes trois garçons sont grands et sont aujourd’hui étudiants. Après toutes ces années, ma passion est intacte, probablement en raison du sentiment d’utilité qu’apporte le métier d’urgentiste, et d’une pratique extrêmement variée. Je ne m’ennuie jamais, je suis boosté par les patients et le formidable esprit d’équipe du service, sans lequel on ne peut assurer des soins de qualité. Et s’il y a un problème, je me dis que ça ira mieux demain.

Il semble y avoir beaucoup de problèmes aux urgences… Tout ira-t-il bien cet été, avec les JO en prime ?

AR-H. : Je veux d’abord être positif. Les services d’urgence en France enregistrent 20 millions de visites par an et le Samu-Centre 15 gère 32 millions d’appels pour apporter un conseil médical ainsi qu’une réponse adaptée en cas d’urgence mettant en jeu le pronostic vital. Cet accès rapide à un médecin par téléphone a peu d’équivalents dans le monde.

Si nous sommes parfois surchargés, c’est que nous sommes victimes de notre réussite mais aussi de difficultés supplémentaires, comme le problème de la gestion des lits. Le souci d’optimisation se traduit toujours par des fermetures de lits, ce qui ne permet pas d’hospitaliser les cas urgents dans de nombreux établissements. De même, faute de personnel, certains services d’urgence doivent fermer la nuit, ou de manière plus permanente l’été, et pour la période estivale à venir, nous n’avons pas une vision claire des besoins de réorganisation. Il va falloir improviser. Mais pour les Jeux Olympiques, nous sommes prêts. Faire face à des situations exceptionnelles est le cœur de notre métier.

N’est-ce pas plus difficile dans certains domaines que dans d’autres ?

AR-H. : Les difficultés sont forcément plus grandes dans les déserts médicaux. Moins de soignants en ville amènent plus de patients aux urgences où on finit par faire trop de médecine générale. Et une diminution du personnel hospitalier entraîne des embouteillages et des fermetures de services. A chaque fois, c’est une perte de chance pour les patients qui doivent aller plus loin dans des services déjà surchargés, ou passer une nuit sur une civière, ce qui augmente de 40 % la mortalité des plus de 75 ans et la multiplie. par 2,23 en cas de comorbidités importantes.

Cela démotive les secouristes qui ne se plaignent même plus… mais démissionnent ! Nous militons également pour une meilleure répartition des médecins urgentistes au sein d’une même région. En Île-de-France par exemple, les disparités se creusent entre le centre et la périphérie, faute d’inciter suffisamment de stagiaires à se former en grande couronne où les besoins sont grands.

Quelle est ta dernière colère ?

AR-H. : Je suis particulièrement révolté par le retour des obstacles administratifs et réglementaires à la fin de l’épidémie. Pendant la crise, nous avons par exemple mis en œuvre une belle innovation, permettant d’envoyer une infirmière chez des patients présentant une urgence non vitale, de prélever d’éventuels prélèvements, de communiquer par vidéo avec un médecin et de mettre en place un traitement. . Une sorte de télémédecine humanisée permettant de maintenir à domicile les personnes vulnérables. Et bien il a fallu tout arrêter en novembre 2022 quand a débuté une triple épidémie de Covid, de bronchiolite et de grippe. Nous avions vraiment besoin de mesures comme celles-là !

Que voudriez-vous dire à Emmanuel Macron ?

AR-H. : Sortez le pacte de révision d’urgence décrété en 2019 ! Toutes les mesures efficaces sont là, elles ont été votées, financées et il est temps de les mettre en place. Et puis il faut un ministre qui reste en poste plus de quelques mois, à l’écoute des professionnels et formé aux questions médicales.

Quel a été votre dernier rire ?

AR-H. : Je raconterai l’histoire la plus rocambolesque, lors d’une intervention dans une ferme pour « un accident de taureau ». On ne savait vraiment pas à quoi s’attendre… Une jeune stagiaire était plaquée contre la barrière par la bête qui la secouait furieusement. Heureusement, pas de blessé majeur au final, mais la situation était cocasse. Au final, on rigole beaucoup aux urgences pour décompresser. Mais je conseille aussi aux équipes de sourire. La méthode « ultrabrite » est aussi bénéfique pour nous que pour le public, dont l’impatience et parfois l’agressivité sont ainsi désamorcées. Mais dans l’ensemble, le contact est magnifique. La gratitude envers nous est un autre point fort du métier.

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