Aux origines de la marche, Toumaï, Lucy et les autres : épisode 1/4 du podcast Préhistoire, à la rencontre des premiers humains
L’idée que les humains se sont progressivement rétablis dans une évolution fantasmée, qui va des singes à ce que nous sommes, ne tient pas la route. Les scientifiques le savent depuis longtemps, le répètent, le martèlent, et ils s’y mettent ! Malheureusement, il est encore courant de croiser ce type de représentation, avec plusieurs individus, le premier étant un singe et le dernier un humain des temps modernes (hétéro) avant qu’il ne se courbe à nouveau sur l’écran de son téléphone…
Les débuts de la bipédie : à quatre pattes ou debout ?
La bipédie, le fait de marcher sur les deux membres inférieurs, n’est pas spécifique à l’être humain, même si l’humain est devenu bipède expérimenté. La position debout et la marche bipède existent chez d’autres animaux, mais elles ont tendance à être occasionnelles et liées à certaines situations, comme des conflits, des positions menaçantes ou intimidantes. L’étude de la bipédie chez les singes permet de mieux comprendre la bipédie de nos ancêtres humains. Ils ont en effet des capacités proches de celles des humains. Les singes sont adaptés à une vie arboricole, qui nécessite des capacités locomotrices particulières, comme se tenir debout, s’accrocher ou se suspendre, ou encore sauter, grimper, pratiquer à la fois la quadrupédie et la marche. bipédie, voire brachiation. Certains grands singes africains pratiquent la « marche sur les phalanges » ou « knuckle-walking », une quadrupédie particulière qui permet de redresser le torse. Cette grande diversité de modes de locomotion nous renseigne sur les capacités que pouvaient avoir nos ancêtres. Lucy, la célèbre Australopithèque afarensisétait sans doute capable à la fois de marcher sur ses pattes, comme nous, mais aussi de grimper aux arbres, comme le montre l’étude de ses membres inférieurs et de ses membres supérieurs.
Entretien archéologique
28 minutes
Pourquoi se lever ?
Les paléoanthropologues se sont beaucoup interrogés sur les raisons qui ont pu conduire à l’émergence de la bipédie, et sur la datation de cette transition. De nombreuses hypothèses ont été formulées, à commencer par celle de Charles Darwin lui-même, dans le Filiation masculine et sélection du sexe (1871), qui suppose que la bipédie a permis à nos ancêtres humains de libérer leurs mains et de développer leurs capacités.
L’une des hypothèses majeures a longtemps été celle de l’East Side Story, qui postulait que les ancêtres des humains se seraient développés à l’est du Grand Rift africain, tandis que les singes se seraient développés à l’ouest du Grand Rift. . Défendue notamment par Yves Coppens dans les années 1980, la théorie de l’East Side Story postulait que la bipédie s’était développée dans la savane, afin de pouvoir mieux évoluer dans un environnement d’herbes hautes, qui n’était plus celui de la forêt et des arbres. Cette hypothèse a été remise en question par diverses découvertes paléoarchéologiques à l’ouest du rift, notamment Australopithèque bahrelghazali en 1995 et Toumaï (Sahelanthropus chadensis) en 2001.
Aujourd’hui, les chercheurs supposent qu’il existait une multiplicité de bipédie et de modes locomoteurs hybrides, qui associaient la bipédie à d’autres modes de déplacement, et qui étaient sans doute liés au répertoire locomoteur de la vie dans les arbres. Reste désormais à savoir quand nos ancêtres sont passés d’une bipédie temporaire à une bipédie dominante et permanente.
Sciences, QED
58 minutes
Pour en savoir plus
Gilles Bérillon est archéo-préhistorien et paléoanthropologue, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire Histoire Naturelle de l’Homme Préhistorique. Il est spécialiste de la locomotion bipède et de la préhistoire de l’homme sur le plateau central iranien.
Sandrine Prat est paléoanthropologue au Musée de l’Homme, directeur de recherche au CNRS.
Références sonores
Archives et fictions :
- Extrait du film Randonneurs de Philippe Harel, 1997
- Paléontologue Yves Coppens, France Inter, 3 mai 1980
- Paléontologue Michel Brunet, France Culture, 30 décembre 1995
- Reportage sur la découverte d’empreintes de pas en Tanzanie, JT de 13 heures, Antenne 2, 21 août 1996
En lisant :
- Extrait de Filiation masculine et sélection du sexe de Charles Darwin (1871), lu par Raphaël Laloum
Musique :
- Bande originale du film La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, 1981
- « Lucy in the Sky with Diamonds » des Beatles
- Crédits : « Gendèr » de Makoto San, 2020