RAPPORTS – Les nombreux fidèles venus rendre hommage à Bernard Pivot ont pu entendre la dernière déclaration d’amour de l’écrivain pour son fief, dans un discours écrit quelques jours avant sa mort et lu par ses filles dans l’église de Quincié-en-Beaujolais lors de ses funérailles ce mardi 14 mai.
Le Figaro Lyon
C’est un voile nuageux épais comme les sourcils de l’écrivain venu se poser sur les collines entourant l’église de Quincié-en-Beaujolais au moment où l’un de leurs plus fervents admirateurs y entra pour la dernière fois. Les obsèques de Bernard Pivot ont eu lieu ce mardi dans le bâtiment érigé face au mont Brouilly, battu par la pluie. Aux nombreux proches et habitants rassemblés sur les bancs se sont ajoutés quelques fidèles anonymes venus rendre un dernier hommage à celui qui portait son fief dans son cœur et ses écrits. Un amour déclamé une dernière fois à travers la voix de ses filles, à la lecture du discours écrit quelques jours avant sa mort, ce 6 mai, par celui qui avait découvert le Beaujolais pendant l’Occupation.
« C’est à l’école municipale de Quincié que j’ai appris à lire et à écrire, tremplin vers le livre auquel j’ai consacré mon métier de journaliste. C’est à l’église de Quincié que j’étais enfant de chœur. C’est à la mairie de Quincié que j’ai été élu municipalils ont commencé. C’est à Quincié que j’ai acheté une maison qui est rapidement devenue la maison familiale, où j’ai passé de très bonnes vacances avec ma femme, mes filles et mes amis. C’est à Quincié qu’habite mon plus vieil ami, dont j’ai six jours de plus..
Intimité familiale
Une place forte découverte par le natif de Lyon pendant l’occupation, alors qu’il se réfugiait dans la maison de sa famille maternelle. Depuis, il ne cesse d’y revenir, au grand bonheur des habitants, à l’image de ce septuagénaire qui se souvient « la belle fête donnée pour le mariage d’une de ses filles ». Ou encore Joëlle, qui le revoit avec son gibus sur la tête pour la traditionnelle fête des conscrits, qu’il célébrait tous les dix ans jusqu’à ses 80 ans, a souligné Rémy Forissier, le curé et parent qui a longtemps officié à la paroisse, et revenu à célébrer les obsèques de Bernard Pivot.
Une cérémonie classique selon les vœux du défunt transmis à sa famille. Hommages – notamment de la part de sa petite-fille « avec un oeil malicieux » du grand-père derrière ses Ray-Ban Aviators lorsqu’il partait sillonner les routes du Beaujolais dans ses voitures – juste entrecoupées de partitions de Rachmaninov, Chopin ou Mozart et de chants religieux. Le tout en présence de quelques personnalités du monde littéraire comme Éric-Emmanuel Schmitt, Philippe Claudel ou Périco Légasse, ainsi que Brigitte Macron, le député local Alexandre Portier (LR) et quelques élus locaux. La cérémonie religieuse a été suivie de l’inhumation dans le caveau familial du cimetière municipal, dans la plus stricte intimité familiale.
« Un gamin de Quincié qui a su le rester »
« Nous perdons une belle imageindique un septuagénaire, qui a su faire briller le Beaujolais dans sa discrétion ». « Un homme humble et simple, un homme jovial qui aimait le Beaujolais »salue Joëlle. « Il n’a jamais manqué une occasion médiatique d’honorer ses concitoyens» fait l’éloge du maire Daniel Michaud, élu conseiller municipal avec Bernard Pivot en 1977. Il était attaché et attentif à la vie de la commune de Quincié.. « Un gamin de Quincié qui a su le resterpoursuit Philippe Claudel, un ami récemment élu à la tête de l’académie du Goncourt. C’était avant tout un homme foncièrement curieux, attentif et bon. C’était une belle personne. Nous avions en commun, entre autres passions, outre les livres, celle du vin et il me parlait souvent de cette petite ville. Il était d’ici et il l’a revendiqué.
Une simplicité illustrée par son refus de la Légion d’honneur a rappelé Rémy Forissier à son bureau. « Sa façon d’habiter le monde »», raconte l’une de ses filles, paraphrasant le titre du roman de Jean-Paul Dubois, dont Bernard Pivot était heureux d’avoir récompensé l’œuvre pour sa dernière année à la tête du prix Goncourt. Une vie de livres passée dans « son son préféré, celui des pages qui tournent ». Sans doute la raison qui a poussé Bernard Pivot à accepter en 1994 que la bibliothèque du village porte son nom. Il faut dire qu’il lui faisait depuis des décennies de nombreux dons de livres, qu’il signait tous. « Il fait partie du contexte ici, il avait sa maison, son frère était vigneroncommente Pascale à son comptoir du Balostan. C’est une page qui se tourne ».
« Une relation charnelle » à ses terres du Beaujolais et à ses barriques dans lesquelles il est tombé enfant. « Comme tout enfant de chœur qui se respecte, il a goûté le vin de chœur. Et il a vu que c’était bien »sourit son ami prêtre, dont la voix n’est troublée que par le clapotis de la fontaine de la place Quincius vinum. « C’est à Quincié que j’ai appris à goûter et à aimer le vin du Beaujolais, ce qui m’a permis bien plus tard d’écrire le dictionnaire des amateurs de vins »» dit encore Bernard Pivot par la voix de ses filles. C’est à Quincié que j’ai fait les vendanges et Dieu sait que j’ai aimé faire les vendanges. C’est à Quincié qu’une bouteille porte mon nom à chaque millésime et j’en suis fier”. Un millésime dont un verre était servi à chacun en guise de collation après les obsèques.