Aux Jeux paralympiques de 2024, la délicate chasse aux tricheurs de handicap
Aux Jeux de Sydney en 2000, l’Espagne a aligné des basketteurs qui ont feint un handicap mental. Vingt-quatre ans plus tard, certains para-athlètes tentent toujours de comprendre les règles.
Personne ne les remarque, mais ils voient tout. Dans les tribunes bruyantes A l’Arena Paris Sud, deux officiels de la Fédération Internationale de Tennis de Table tentent de se concentrer. Installés dans le « bureau technique », ils scrutent les services, les déplacements des joueurs, griffonnent des notes, regardent les ralentis. Ce n’est pas tant le score ou le vainqueur qui les intéresse. Plus les performances. Ils sont là avec une mission bien précise : « observer si les capacités des joueurs correspondent à leur catégorie. » Leurs regards sont rivés sur d’éventuels cas de tricherie ou de contournement des règles.
Attention, sujet tabou. Au sein de l’organisation de Jeux paralympiques, un manager est presque gêné d’en parler : « Il est important de souligner que c’est rare. Mais oui, cela arrive. Quand on est un para-athlète, on a tout intérêt à affronter des adversaires plus handicapés que soi. Certains sportifs peuvent donc exagérer leur état de santé pour accéder à une meilleure catégorie. » Dans le jargon du Comité international paralympique (IPC), cette tromperie porte un nom : « déformation intentionnelle de ses compétences et capacités ». Et cela constitue un « faute disciplinaire grave ».
Cette entorse aux règles peut coûter cher. C’est peut-être ce qui a valu au Turc Serkan Yildirim de se voir retirer son titre paralympique du 100 m mercredi 4 septembre, quatre jours seulement après l’avoir remporté dans la catégorie T12. « non admissible à concourir », son niveau de déficience visuelle étant « en cours d’examen »selon la Fédération Internationale d’Athlétisme Para.
L’année dernière, le Fédération internationale de para-athlétisme avait déjà suspendu le sprinter ouzbek Dilshodbek Jabborov pour quatre ans, accusé d’avoir utilisé une autre identité pour participer à des compétitions. En 2022, le jeL’Indien Vinod Kumar a été invité à rendre sa médaille de bronze remportée aux Jeux de Tokyo au lancer du disque en fauteuil roulant. Plusieurs de ses coups en compétition « n’étaient pas cohérents avec ses performances » observé lors de l’évaluation de son handicap.
D’autres affaires plus médiatisées avaient déjà terni l’image des Jeux paralympiques. DDeux fois médaillée d’argent à Pékin en 2008, la cycliste néerlandaise Monique van der Vorst a finalement admis en 2012 qu’elle pouvait parfaitement marcher au moment de ses exploits. Un scandale a également éclaté après les Jeux de Sydney en 2000, lorsque le public a découvert que dix des douze basketteurs espagnols sacrés champions paralympiques ne présentaient en réalité aucun handicap mental.
Au fil du temps, les contrôles sont devenus plus professionnels. Avant un match de football pour cécidivistes, un arbitre vérifie désormais masques occultants qui portent les joueurs de terrain, tous malvoyants. natation, les lunettes opaques des nageurs aveugles sont contrôlées à l’arrivée.
Très intelligent est celui qui peut tromper tout le monde pendant la séances de classement, ce passage obligé pour pouvoir s’aligner sur une compétition. pour fournir des documents médicaux attestant de leur handicap, les athlètes sont soumis à une batterie d’examens. Sauter à pieds joints, marcher sur la pointe des pieds, marcher sur des talons… Les médecins peuvent aussi mesurer l’épaisseur d’une cuisse ou la souplesse d’une jambe, ou encore piquer la plante des pieds pour tester les réflexes.
L’athlète Margot Boulet, qui porte une prothèse à la cheville gauche depuis un accident de parachutisme, je me souviens encore de ces tests. « Pour vérifier avec précision la perte d’amplitude articulaire, les machines ont mesuré la force générée en watts par le membre sain et celui handicapé. »dit la Française, médaillée de bronze en aviron le 1er septembre.
Au sein de la Fédération Internationale de Tennis de Table, une importance particulière est accordée à mettre en jeu. « Si un athlète dit qu’il ne peut pas ouvrir complètement sa main parce que ses doigts sont contractés à cause de son handicap, nous lui demanderons de nous montrer. Nous nous asseyons autour d’une table et lui demandons de servir. »illustre un membre de la fédération.
A force de cela, les médecins classificateurs connaissent certaines astuces. « Nous savons parfaitement qu’un athlète peut ne pas donner le meilleur de lui-même lors de l’évaluation », affirme l’un de ces experts, sous couvert d’anonymat. « Il peut être en attente, cela peut se produire dans des conditions de fatigue, cela peut avoir ffaire une séance de musculation juste avant. Tout ça dans l’espoir d’augmenter ses limitations fonctionnelles. » Méfiez-vous de ceux qui tentent de « surjouer » leur handicap dans l’espoir de passer dans une catégorie où ils brilleraient davantage.
« Lors de l’évaluation, le classificateur peut interrompre la séance à tout moment pour avertir le joueur de ses soupçons et lui expliquer les conséquences d’une fausse représentation de ses capacités. »
Membre de la Fédération Internationale de Tennis de Tableà franceinfo
Les classificateurs se rendent régulièrement sur les bords des terrains pour observer les athlètes en action. Ils filment, prennent des photos et, si nécessaire, interpellent les tricheurs. « Ils ont toujours des athlètes dans le viseur, car le classement donné est un peu douteux »glisse un témoin. « Il peut s’agir d’une erreur involontaire, car la classification n’est pas une science exacte. Mais elle peut aussi être intentionnelle. En cas de doute, les fédérations peuvent également déposer une plainte envers un athlète.
Sur le circuit, les imposteurs sont rarement bien reçus. « Pour moi, tricher dans l’attribution d’une catégorie, c’est comme du dopage », résume Margot Boulet, un peu amèrement. « C’est dommageable pour le handisport, mais il ne faut pas être naïf : il y a des enjeux majeurs, notamment financiers. »
« Il y aura toujours des gens qui essaieront de tricher. »
Margot Boulet, rameuse françaiseà franceinfo
Les responsables de la classification ne sont pas à l’abri des pressions. « Certains tenteront d’influencer leur jugement »avance le médecin de la Fédération Française Handisport, Frédéric Rusakiewicz. « Cela peut effectivement arriver », Cela se confirme dans les couloirs de la Fédération Internationale de Tennis de Table. « Nos classificateurs sont formés pour gérer ces situations et ne travaillent jamais seuls. Ces cas peuvent être signalés, afin d’être étudiés et, si nécessaire, sanctionnés. »
Les para-athlètes mécontents de leur catégorie attribuée ont un moyen plus légal de se faire entendre : la « demande de révision médicale » (voici un exemple de formulaire). « Il s’agit d’un comité d’appel qui peut retenir compte de son premier avis si la pathologie n’a pas été correctement prise en compte », expliquer Sami El Gueddari, sociétaire de la Fédération Française Handisport et ancien champion de para-natation. « Dans en amont des Jeux, la La délégation française a déposé une dizaine de candidatures.pas au tennis de table, trois en cyclisme, cinq au basket-ball, un en natation et deux dans le rugby.
Dans son dossier, le paracycliste Mathieu Bosredon a glissé des radios, des électromyogrammes et sa bonne foi. La commission d’appel a fini par lui donner raison, le rétrogradant de la catégorie H4 à la catégorie H3, réservé aux athlètes paraplégiques sans mobilité volontaire du tronc. Une décision judicieuse : le Briveois de 33 ans a été sacré champion paralympique lors du contre-la-montre mercredi avant de remporter l’or dans la course en ligne le lendemain.