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Aux frontières du Kurdistan irakien, l’insoluble diplomatie de l’eau avec l’Iran voisin

Aux confins du Kurdistan irakien, la pittoresque ville de Qaladiza se dresse à proximité du Petit Zab. Ce fleuve, qui vient d’Iran voisin, laisse par endroits son lit découvert, illustrant les pénuries d’eau qui pèsent depuis des années sur la vie quotidienne de ses 90 000 habitants.

Entourée de collines, Qaladiza se trouve à une trentaine de kilomètres de la frontière iranienne. Le Petit Zab serpente dans la vallée, bordé de terres agricoles, mais aussi de bassins en damier de fermes piscicoles.

« Nous surveillons le niveau de l’eau tous les jours. »Marf Karim, directeur de la station d’épuration, a déclaré à l’AFP : « À l’œil nu, on constate une baisse d’environ 80% ».

Auparavant, le fleuve apportait sept milliards de mètres cubes d’eau par an. La crise a commencé en 2017, explique-t-il : en amont du Petit Zab, l’Iran a construit le barrage de Kolsa.

« C’est une catastrophe pour l’environnement de notre région »déplore le responsable, citant les répercussions sur « puits d’eau et eaux souterraines ».

Pour garantir l’approvisionnement en eau potable de Qaladiza, un barrage de fortune retenant le débit de la rivière a été érigé à l’usine de traitement.

Mais cela ne résout pas le problème « Le problème de la qualité de l’eau. Il faut plus de produits pour filtrer les impuretés »regrette Monsieur Karim.

Souffrant de sécheresse en sécheresse, confronté à une hausse inexorable des températures et à une baisse des précipitations, l’Irak est considéré par l’ONU comme l’un des cinq pays au monde les plus exposés à certains effets du changement climatique.

Mais à Qaladiza, la diplomatie de l’eau est également en jeu, exposant les failles et les tensions régionales inévitables alors que les pays sont aux prises avec des conditions climatiques de plus en plus extrêmes.

« Négociations géopolitiques »

Affluent du Tigre, le Petit Zab prend sa source en Iran, lui aussi frappé par la sécheresse.

À l’été 2023, le département météorologique de la province iranienne d’Azerbaïdjan occidental, frontalière de l’Irak, a assuré que « 56 % » de son territoire subissait une « sécheresse très grave ».

Malgré plusieurs barrages érigés depuis les années 1990, « L’Iran s’est rendu compte en 2017 qu’il perdait encore les deux tiers de son eau au profit de l’Irak, ce qui pourrait entraîner des pénuries en Iran même d’ici 2036. »Banafseh Keynoush, chercheur à l’Institut Kroc de l’Université de Notre Dame aux Etats-Unis, a déclaré à l’AFP.

Téhéran s’est donc lancé dans la construction d’une centaine de barrages supplémentaires. « pour rediriger ce flux d’eau allant vers l’Irak vers ses propres réservoirs »elle ajoute.

Sur son sol, l’Irak veut aussi construire des barrages et inciter les agriculteurs à abandonner les méthodes ancestrales d’irrigation par inondation des champs. Bagdad veut aussi obtenir une part de l’eau de son grand allié.

Mais l’Iran a fait du « conflit sur l’eau » une sous-catégorie dans les discussions géopolitiques entre les deux pays.

Toute avancée dans la résolution de cette question est également conditionnée à des négociations politiques et géopolitiques » tant avec Bagdad qu’avec le Kurdistan autonome, ajoute M. Keynoush.

Elle rappelle qu’en novembre, l’Iran a libéré davantage d’eau du Zab « pour minimiser certaines tensions avec le gouvernement régional du Kurdistan ».

« Il y avait certainement des facteurs politiques derrière (ce geste), en plus des considérations environnementales »elle souligne. Parce que c’est  » vital «  pour que l’Iran évite « tout bouleversement majeur à ses frontières ».

« Le poisson va mourir »

En aval du Petit Zab, le directeur du barrage Dukan, Kochar Jamal, minimise l’impact de la « coupures » du voisin iranien sur ses propres réserves. Cette année, elles ont augmenté par rapport à 2023, mais c’est surtout « en raison de la quantité de pluie en hiver et au printemps »il a dit.

Bakr Baez, gouverneur de Qaladiza, explique que ses agriculteurs n’ont pas assez d’eau pour irriguer leurs champs. Et sur les 257 bassins des fermes piscicoles, 200 souffrent énormément du manque d’eau.

Perché près d’un immense trou dans sa propriété, Ali Hassan regarde une pelleteuse creuser péniblement dans un sol boueux et rempli de pierres. Pour sauver sa ferme piscicole, il faut de l’eau. Il espère donc approfondir son puits pour accéder à une nappe phréatique.

« Cela fait trois jours que nous n’avons pas pu changer l’eau des réservoirs. »se lamente le quinquagénaire : « Sans cela, l’eau sera chaude, les poissons mourront. Ils ont besoin d’eau fraîche. »

Aux commandes du bulldozer, Omar Mohamed est aussi agriculteur. « Avec le manque d’eau, on passe parfois trois ou quatre jours sans irriguer »se lamente l’homme de 48 ans.

« J’avais des vergers, ils sont perdus »il regrette : « Un voisin a essayé de planter des bamias, un autre des pastèques, tous ont échoué ».

New Grb1

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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