A quelques semaines de l’élection présidentielle, plusieurs dizaines de milliers de dockers s’apprêtent à faire grève mardi aux Etats-Unis, sans parvenir à obtenir satisfaction dans les négociations de leur nouvel accord social, au risque de perturber le commerce international.
Les discussions, entamées en mai, sont suspendues depuis plusieurs semaines et, selon l’Alliance maritime des États-Unis (USMX), qui représente les employeurs des grands ports de la côte Est et du golfe du Mexique, le syndicat des dockers (ILA) refuse de revenir à la table des négociations.
L’Alliance a contacté jeudi l’inspection du travail (NRLB) pour exiger « une injonction immédiate – exigeant que le syndicat reprenne les discussions ». Elle a également dénoncé des pratiques déloyales.
Mais le syndicat semble déterminé à faire grève dès l’expiration de l’accord actuel lundi à 23h59 (03h59 GMT mardi), car les « propositions financières (…) sont inacceptables ». Il réclame également des garanties face à l’automatisation.
Cette grève, la première depuis 1977 (44 jours), concernerait plusieurs dizaines de milliers de membres de l’ILA – sur ses 85 000 membres répartis dans 36 ports – travaillant dans les terminaux de chargement de conteneurs et de véhicules roulants des ports disséminés le long des côtes entre le Maine (nord-est) et le Texas (sud), sur le golfe du Mexique, via la Floride (sud-est).
Ce contrat social couvre 25 000 membres de l’ILA travaillant dans quatorze ports (dont Boston, Philadelphie, Baltimore, Savannah, Miami, Tampa et Houston) mais la grève pourrait avoir une portée plus large.
« Une grève causerait de nombreuses perturbations à l’économie américaine et à l’économie mondiale », déclare Brent Moritz, professeur à la Penn State University, spécialisé dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Selon le site spécialisé Lloyd’s List, ces ports reçoivent plus de la moitié des importations de marchandises en volume.
Oxford Economics estime que chaque semaine de grève réduirait le PIB américain de 4,5 à 7,5 milliards de dollars.
Ce blocage débuterait cinq semaines seulement avant l’élection présidentielle très disputée.
– Élection –
Joe Biden, qui se dit le « président le plus favorable aux syndicats », semble réticent à activer la loi Taft-Hartley – utilisée à plusieurs reprises pour les grèves de l’ILA avant 1977 -, permettant d’imposer un moratoire de 80 jours.
Près de 180 organisations professionnelles lui ont écrit mi-septembre, plaidant pour une intervention « immédiate » pour renouer le dialogue. Près de 70 parlementaires républicains ont fait de même.
Les importations de produits frais (fruits notamment) devraient être particulièrement touchées, mais aussi les produits pharmaceutiques, ou encore les exportations dans l’aviation.
« On ne peut pas dire à une banane d’arrêter de mûrir » car un navire ne peut pas accoster dans le Delaware ou doit décharger sur la côte Ouest, note M. Moritz.
L’industrie automobile devrait également souffrir car elle fonctionne selon un calendrier serré pour l’importation de pièces détachées, et les ports de Baltimore et de Géorgie traitent des volumes importants d’exportations de véhicules.
Quelles alternatives ? Expédier plus tôt, se rendre sur la côte Ouest ou au Canada, utiliser le fret aérien, plus cher et réservé aux produits légers et de valeur (pharmaceutique, puces électroniques, luxe).
Opter pour les ports de la côte Ouest, couverts par un accord social distinct conclu en 2023, n’est pas une panacée. En plus d’allonger le trajet par le canal de Panama ou le Cap Horn et d’en augmenter le coût, ils disposent de peu de capacités disponibles, surtout avant l’arrivée des marchandises en provenance d’Asie pour les fêtes de fin d’année.
Et Harold Daggett, président de l’ILA, a suggéré qu’ils pourraient faire preuve de solidarité avec les grévistes en agissant. Leur contrat interdit toutefois tout débrayage.
Selon plusieurs experts, ces dockers pourraient par exemple retarder le déchargement/chargement des navires déroutés, ralentir les opérations – en prenant leurs pauses ensemble -, effectuer la maintenance aux heures de pointe, etc.
Certains gestionnaires d’approvisionnement ont choisi d’expédier leurs marchandises de manière transatlantique plus tôt.
Selon Judah Levine, responsable de la plateforme logistique Freightos, la haute saison a commencé en mai et le mois d’août a presque battu un record alors que le pic saisonnier se situe généralement en septembre/octobre.
Une tendance qui se ressent sur les prix : le coût moyen du transport d’un conteneur équivalent 40 pieds entre Shanghai et New York a atteint environ 6 000 dollars, contre 2 600 dollars il y a un an et 9 800 dollars mi-juillet, selon Freightos.
Les effets d’une grève pourraient affecter la chaîne d’approvisionnement bien au-delà de sa durée – M. Moritz estime qu’un jour de grève entraîne une semaine de perturbations – et perturber le commerce à l’échelle mondiale.
Et ce alors que le commerce international est déjà affecté par les attaques en mer Rouge.