aux Etats-Unis, Détroit est le symbole d’une campagne présidentielle binaire »
FIGAROVOX/TRIBUNE – Kamala Harris et Donald Trump sont engagés dans une bataille décisive dans la principale ville du Michigan où l’ancien président américain l’a emporté d’une courte tête en 2016 avant d’être battu en 2020, analyse l’avocat Olivier Amiel.
Olivier Amiel est docteur en droit et avocat et auteur de Atterrissage. journal de guerre (2024, Éditions Les Presses Littéraires).
Comme à chaque fois qu’une élection présidentielle américaine s’annonce serrée, les candidats se concentrent sur les « swing states », ces États clés et indécis, où quelques voix peuvent faire pencher la totalité du gain électoral, comme prévu. le système électoral un peu baroque outre-Atlantique.
Le Michigan, avec ses quinze voix électorales, fait partie de ces États : dix mille voix seulement ont permis à Donald Trump de l’emporter sur Hillary Clinton en 2016, et Joe Biden l’a emporté quatre ans plus tard avec seulement 2,78 %. ‘écart.
C’est pourquoi Kamala Harris et Donald Trump y mènent une bataille décisive, notamment dans sa principale ville : Détroit.
Le candidat républicain vient d’y tenir un meeting, notamment sur le protectionnisme dans l’automobile, une manière d’attirer à nouveau l’électorat local après avoir multiplié les déclarations outrancières pour la ville, rappelant sans cesse que Détroit était une ville « horrible » et expliquant que tout le pays lui ressemblerait si son adversaire démocrate était élu en novembre…
Il est vrai que la ville fondée par un Français en 1701, Antoine Laumet, dit Antoine de Lamothe-Cadillac, originaire du Tarn, explorateur et aventurier de la traite des fourrures en Nouvelle-France, est devenue un épouvantail dans l’imaginaire collectif américain. et même dans le reste du monde.
Détroit a accumulé tous les défauts et difficultés après avoir été frappée par la désindustrialisation alors qu’elle était l’un des principaux poumons de l’économie américaine. En 1967, Détroit a été le théâtre des émeutes raciales les plus sanglantes de l’histoire américaine. Plus des deux tiers de sa population ont quitté la ville abandonnée aux criminels. La corruption municipale régnait avec un maire arrêté jusqu’à ce que la ville dépose le bilan en 2013.
Pour aggraver les choses, l’industrie hollywoodienne a fait écho à ce déclin en prenant Détroit comme un anti-modèle, diffusant ainsi une image négative de la ville à travers le monde. Que ce soit dans le parallèle peu flatteur avec le quartier le plus chic de Los Angeles dans la série de films « The Beverly Hills Cop », aussi dans celui de la dystopie « Robocop » évoquant une ville en proie à la violence, ou encore dans le film « Detroit » sur la race. émeutes.
La gentrification est ainsi positive et redistributive à Détroit, qui renaît et attire résidents et investisseurs.
Olivier Amiel
Et pourtant, malgré les déclarations de Donald Trump, la renaissance de Détroit est reconnue et prise en exemple dans de nombreuses études urbaines. Elle perpétue le mythe du phénix plus que toute autre ville américaine. Détroit a d’ailleurs pris pour devise depuis l’incendie qui la ravagea en 1805 : «Nous espérons des temps meilleurs, elle renaîtra de ses cendres.« .
La faillite de 2013, que l’on a trop souvent vue en France comme un événement tragique, est une procédure strictement légale qui a finalement permis à la ville d’éponger ses dettes grâce à une mobilisation publique et privée baptisée « Le Grand Bargain ». En seulement un an, la ville a pu repartir de zéro et financer un programme de restitution des services publics sans avoir à vendre les œuvres d’art de son musée comme cela avait été envisagé et comme le croit encore la légende maudite de la ville. . L’autre événement majeur qui marque la renaissance de Détroit est l’investissement privé de deux très grosses fortunes de la ville, Mike Illitch et Dan Gilbert. Avec des milliards, ils ont littéralement acheté le centre-ville, Centre-villepour accueillir les bureaux de leurs entreprises et loger leurs salariés.
Cela rappelle l’industrialisation automobile de la ville avec un certain Henry Ford et la nécessité d’accueillir ses ouvriers. Avec la même erreur apparente de ségrégation raciale qui a conduit aux émeutes de 1967, mais par un flux de population inversé, avec un quartier de Centre-ville Habitée à 80% par des jeunes blancs issus d’une classe sociale aisée, même si les blancs avaient fui la ville cinquante ans plus tôt.
Ce type de phénomène de gentrification est hypocritement plutôt mal vu en France, car considéré comme une sorte de « chasse aux pauvres »par des gens qui vivent pourtant au milieu de quartiers bohèmes…
A Détroit, au contraire, le manque de mixité du centre-ville ne pose pas de problème, car celui-ci était en grande partie vide, représentant seulement 5 % du territoire, et dont la gentrification a finalement permis de sauver des immeubles vacants, le retour des les habitants, les travailleurs et surtout les contribuables qui alimentent les caisses de la ville, permettant ainsi une intervention publique dans les autres quartiers pauvres de la ville.
A l’inverse, Kamala Harris embellit certainement la réussite d’une ville dirigée par un maire démocrate, au point d’en oublier les difficultés encore présentes.
Olivier Amiel
La gentrification est ainsi positive et redistributive à Détroit, qui renaît et attire résidents et investisseurs.
Mais l’image d’une ville « horrible » lui colle à la peau, Donald Trump l’utilise dans une campagne électorale destinée également au reste de l’opinion publique du pays. De la même manière que peu importe que ce soit un mensonge que les membres de la communauté haïtienne de Springfield, Ohio mangent des chiens et des chats, cette affirmation du candidat républicain lors d’un débat permet de diviser et de mobiliser sa base électorale la plus radicale. .
A l’inverse, Kamala Harris embellit certainement la réussite d’une ville dirigée par un maire démocrate, au point d’en oublier les difficultés encore présentes. Par exemple, le mois dernier, deux hommes ont été abattus en plein jour, après un match de l’équipe de football américain, lors d’une fête familiale dominicale, dans l’un des endroits les plus gentrifiés, même hipsterde la ville, qui est le marché historique des fermiers urbains de Détroit.
Dans leur hymne rock de 1981 « Don’t stop believin' », le groupe Journey parle d’un « garçon qui est né et a grandi » dans le quartier de « South Detroit » et qui «prendre le train de minuit pour aller ailleurs»…
La mention de « South Detroit » a longtemps été source de plaisanteries aux Etats-Unis, car ce quartier n’existe pas en réalité… Mais plus de trente ans après la sortie du tube, le chanteur du groupe a expliqué que le choix est venu uniquement du son du nom. Son compositeur a depuis expliqué avant tout que « South Detroit » est un lieu « mythique, n’existant que dans l’esprit des gens, comme la ville de tous les possibles « .
Les deux candidats à l’élection présidentielle perpétuent ainsi la projection symbolique que la ville de Détroit a toujours représentée, mais cette fois pour le pire, avec l’accentuation d’une campagne électorale binaire, oubliant le juste milieu, favorisant une fragmentation entre deux Amériques qui peuvent être schématisée par celle de l’ultraconservatisme et celle du wokisme, deux délires qui s’opposent sur tout, qui nient la réalité et le bon sens, et conduisent peut-être même à semer les graines d’une guerre civile.