Aux États généraux de l’information, pas touche aux oligarques des médias ! – Chronique de Patrick Le Hyaric – 24 septembre 2024
Une information de qualité, qu’elle soit politique, sociale, économique, scientifique ou générale, a une « valeur d’usage » dont la définition est simple : il s’agit d’être utile aux lecteurs et téléspectateurs, en tant que citoyens actifs et responsables, en leur donnant tous les éléments leur permettant d’intervenir sur la marche de la société et du monde, de comprendre les événements, de rester maître de leur destin, de faire des choix.
Le Comité des États généraux de l’information (EGI), dont tous les membres ont été nommés par le président de la République, aurait dû se pencher sur ces questions, à un moment où il est impératif de réfléchir au lien entre l’urgence démocratique et le pluralisme des médias, le pluralisme dans le traitement des événements et le pluralisme des idées.
Le rapport remis il y a quelques jours dresse un bilan clair de la situation, mais ne propose aucun changement fondamental. Aucune proposition de renforcement du secteur audiovisuel public. Rien pour lutter contre la concentration de la presse et des médias entre quelques mains. Aucun pouvoir rendu aux journalistes face aux actionnaires capitalistes.
Lancés à l’origine pour réguler l’industrie numérique qui pille le travail des journalistes pour le revendre en recettes publicitaires et suite au coup de force de Bolloré en reprenant la chaîne Cnews – en licenciant tous les journalistes – les États généraux de l’information ne prennent pas la mesure du problème de fond auquel nous sommes confrontés : le système d’information penche de plus en plus vers l’extrême droite et les oligarques respectent de moins en moins les journalistes. De grands groupes de presse produisent des journaux sans rédaction en exploitant des journalistes payés à la tâche sans garanties sociales. D’autres expérimentent la production d’une partie de leurs contenus par l’intelligence artificielle.
Sous l’impulsion de grands groupes capitalistes en quête de rentabilité dans tous les segments de leurs activités et de l’utilisation de l’extrême droite comme garantie du maintien du système, un changement inquiétant est en train de s’opérer.
D’importants cercles des classes dirigeantes ont inventé un nouveau concept : le « marché des idées ». Et ici, il ne s’agit plus d’une confrontation d’idées. Ils mènent une guerre culturelle et idéologique visant à peser sur le débat public, à déformer des pans de l’histoire nationale et mondiale, à empêcher le débat contradictoire, à détourner de leur sens nombre de principes républicains, à effacer les idées de transformation sociale, démocratique, écologique, à diffuser des imaginaires aliénants.
C’est au nom de cet objectif que les médias d’extrême droite, comme Elon Musk et Donald Trump, s’arrogent le droit de « tout dire », mensonges et vérités alternatives compris.
Le mal est plus profond qu’il n’y paraît. Ainsi, dans un article publié dans « JDNews », un nouveau magazine du groupe Lagardère lancé la semaine dernière, l’un des fers de lance de ces campagnes, Mathieu Bock-Côtés – qui squatte également les plateaux de Cnews et les colonnes du Figaro – ose protester qu’en « En Irlande, en Écosse et même en France, on a vu récemment apparaître des projets de loi visant à interdire les « discours de haine ». Ce qui signifie que l’État s’octroie désormais le droit de contrôler la vie privée des citoyens ordinaires. mortels. » Voilà où nous en sommes ! Voilà le grand confusionnisme suscité, répandu comme une poudre prête à s’enflammer !
Ajoutons que la « valeur d’usage » de l’information se refuse à être réduite à une valeur d’échange. La valeur d’usage générale pour le lecteur ou l’auditeur est comprimée dans le cadre d’une information continue, triée selon certains objectifs idéologiques, orientée vers des classements, passée au crible d’algorithmes, plus superficielle, plus redondante, plus standardisée.
On s’éloigne de plus en plus d’une information qui sert le bien commun. Et quand Mme Rachida Dati, reconduite au ministère de la Culture, expliquait il y a quelques semaines qu’il y avait davantage de problème de pluralisme dans le service public audiovisuel que dans les médias de Bolloré, on a de quoi s’inquiéter.
Cette sortie et d’autres visent à préparer l’ouverture du capital, puis la privatisation, du pôle audiovisuel public comme le réclame fortement l’extrême droite. Il va falloir vite se placer du côté des journalistes et de tous les travailleurs de Radio-France, de France Télévisions, de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) dans le collimateur des grands groupes capitalistes et de l’extrême droite.
Les efforts considérables déployés par la classe capitaliste sont trop sous-estimés. Elle se dote de moyens colossaux pour mener la bataille culturelle, idéologique et politique. Ainsi, 81% des quotidiens nationaux et 95% des hebdomadaires d’information générale et politique, 40% des cinquante premiers sites d’information, quatre stations de radio généralistes et des chaînes de télévision privées sont détenus par seulement huit hommes d’affaires milliardaires et deux millionnaires.
Cette poignée de capitalistes qui monopolisent les médias veut évidemment en faire des outils d’influence auprès des gouvernements, des institutions européennes et dans le concert mondial. Mais cette classe est aussi à la recherche d’un modèle économique rentable qui écrase le pluralisme des idées et de la presse.
En effet, sous l’effet des évolutions numériques et d’une dévalorisation organisée de la lecture des journaux et des livres papier, on assiste à un glissement considérable des entreprises de presse vers des projets globaux – papier-numérique-télévision-vidéo – auxquels s’ajoutent des industries culturelles, des loisirs et une multitude de services. Ces projets visent à concurrencer les géants du numérique nord-américains dans le cadre d’une violente bataille intracapitaliste incluant les fameux « marchés d’idées » réactionnaires, s’entend.
Pendant ce temps, la presse indépendante est réduite à son strict minimum, de plus en plus étouffée.
En apparence, le citoyen lambda envisage le pluralisme en termes de multiplication des chaînes de télévision et de radio disponibles. Cela lui donnerait donc plus de choix. En apparence seulement. Car, en réalité, il se trouve encerclé, enclavé, dans un système où les médias sont soumis en permanence à l’audimat et où leur caractère commercial s’accroît.
Il faut créer un public et pour cela, imposer une culture de la distraction – selon une vision consumériste et dans l’intérêt de son propriétaire – en standardisant les contenus pour gagner la course à l’audimat, mesurée chaque seconde comme les cours de la bourse. On retrouve ici le concept de « marché » d’idées et d’informations sensationnelles qui fidélise les téléspectateurs à des programmes qui vendent du vide tout en excitant l’individualisme, l’identité et l’insécurité.
Ainsi, les médias grand public ont pour fonction de reproduire les idéologies et les valeurs dominantes, à travers les contenus, les images, les normes, les mots et les valeurs qu’ils véhiculent dans l’information continue, dans la fiction comme dans le divertissement.
Ce niveau de concentration inédit des médias et des industries culturelles s’inscrit dans la guerre intracapitaliste que se livrent les grands groupes nationaux avec l’oligopole numérique nord-américain – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, auxquels il faut ajouter Netflix, Disney, YouTube – qui dominent la production de contenus, les canaux de distribution et les sources de revenus. Ce faisant, ils fragilisent la presse écrite en pillant ses contenus, en tarissant ses ressources publicitaires et en niant la diversité culturelle.
Ces géants américains du numérique, plus puissants économiquement et financièrement que certains États, étendent leur hégémonie dans les médias et les industries culturelles. Ils constituent une menace pour notre « exception culturelle », une menace pour les libertés et le pluralisme de l’information et des opinions. Ils pillent les contenus, jusqu’à la source, et captent la manne publicitaire. Aujourd’hui, Facebook est la première plateforme mondiale d’accès à l’information. YouTube est la première interface audiovisuelle pour les moins de 30 ans. Amazon est la plus grande librairie du monde.
Leur seule logique est évidemment la recherche du profit en mettant à l’écart le citoyen informé au profit du consommateur encerclé et du « client » endetté. Ajoutons que ces groupes, tels des pieuvres, investissent une multitude d’autres secteurs comme le transport, la logistique, le soutien à l’armement ou la santé. Dans ce nouvel espace informationnel et ses puissants algorithmes, une multitude de questions se posent : désinformation, polarisation des opinions, confinement informationnel.
En inscrivant leur raisonnement dans le cadre de ce capitalisme, les auteurs du rapport sur les États généraux de l’information ne peuvent affronter ces enjeux pourtant cruciaux pour l’avenir des démocraties et l’exercice de la citoyenneté. Ce rapport aurait pu insuffler un peu d’oxygène démocratique à l’information, à son traitement, à sa culture et au débat citoyen. Pourtant, ces auteurs refusent d’affronter les actionnaires, de défendre un média public démocratisé et citoyen, de revaloriser le métier de journaliste et le travail des créateurs.
Il n’y aura pas de pluralisme vivant sans un soutien plus important et plus efficace à la presse indépendante. L’un des points positifs du rapport est de lui donner de nouvelles recettes publiques grâce à un prélèvement plus conséquent sur les revenus que les géants du numérique tirent de la publicité acquise grâce au pillage des contenus de la presse et des médias. Une bataille de fond est indispensable pour le traduire en actes. Il aurait fallu proposer une réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Celui-ci doit devenir une instance élargie aux professionnels et aux auditeurs et téléspectateurs et exercer un contrôle démocratique qui fasse véritablement vivre le pluralisme et veille au respect de la créativité française dans les programmes culturels ou de loisirs à la télévision.
Le secteur public de la radio et de la télévision doit être consolidé et développé, démocratisé en impliquant les auditeurs et les téléspectateurs aux côtés du personnel dans les orientations. Il doit être un modèle de diversité et de pluralisme et participer encore davantage à la création culturelle.
Il n’y a pas d’information pluraliste, documentée, sans embauche d’un journaliste, sans reporter, sans journaliste d’investigation. Il est urgent de voter une loi anti-concentration et d’interdire toute prise de contrôle de plus de 20% du capital de toute entreprise de médias, et au-delà de toutes les industries culturelles et numériques. Autant de réformes qui doivent s’inscrire dans un nouveau projet d’appropriation publique des grands médias.
Les États généraux de l’information et leurs conclusions devraient inciter les progressistes à mener des débats publics autour de ces enjeux qui sont liés à ceux des batailles pour les salaires, le travail ou le climat, la lutte contre le racisme ou le féminisme. C’est de citoyenneté vivante qu’il s’agit !
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