Audrey Fleurot, haut potentiel de séduction
Diablement drôle, divinement élégante, elle est l’actrice populaire par excellence. Pourtant, l’ascension de la nouvelle star du petit écran a été tout sauf fulgurante. Mais qui y va doucement… se retrouve, la quarantaine, sacrée actrice préférée des Français dans notre enquête Paris Match-Ifop ! Morgane, son personnage déjanté de « HPI », joue un rôle majeur dans ce plébiscite : l’année dernière, la série a réuni jusqu’à 11 millions de téléspectateurs séduits par la verve de l’aventurier qu’Audrey Fleurot décrit comme « la version non policière » de se.
Paris Match. Vous disiez, il y a une douzaine d’années, lors de la diffusion des séries « Engrenages » et « Un village français » et juste après la sortie en salles d’« Intouchables », que vous ne vouliez pas être reconnu dans la rue. N’avez-vous pas l’impression d’être passé à côté après le succès phénoménal de « HPI » ?
Audrey Fleurot. Je ne vais pas m’en plaindre, mais c’est vrai que ce n’est pas l’exercice avec lequel je suis le plus à l’aise. Le comportement des gens change et je ne sais pas comment gérer leur apparence. C’est agréable mais déstabilisant. Nous sommes très objectivés, soumis à une fantasmagorie qui est inquiétante, devant des jeunes filles qui peuvent se mettre à trembler, à pleurer, des gens qui veulent des câlins. Et là, je suis mal à l’aise. La fonction qui m’est attribuée me dépasse.
Des câlins plutôt que des selfies ?
Oui ! J’ai été témoin de ce changement. Entre les deux, il y a eu la vidéo où on me demandait un message pour l’anniversaire du petit ou la bar mitsva du plus grand. En même temps, je trouve ça émouvant aussi : ce que je représente dans « HPI » leur fait du bien. Ce retour d’amour est merveilleux, il donne du sens à mon travail. Maintenant, cela n’a rien changé dans ma vie quotidienne. Je vis tout à fait normalement. Et puis ce niveau de notoriété arrive relativement tard. Ce n’est pas comme si ça m’était tombé dessus d’un coup, à 20 ans, à un âge où on peut vite partir en vrille. Pour moi, cela a été progressif, même si « HPI » a accéléré le processus.
Depuis combien de temps n’avez-vous pas pris le métro ?
Depuis l’âge de 20 ans, en fait. Mais cela n’a rien à voir avec la notoriété. Suite à de nombreux attentats, j’ai pensé que rouler en trottinette à Paris ne pouvait pas être plus dangereux.
D’où votre soutien immédiat au mouvement #MeToo ?
Je n’ai pas fait de déclaration, mais la cause me tient évidemment à cœur. J’ai la chance de ne pas avoir été victime d’agressions au sein de ma profession, mais j’ai été confronté, comme tout le monde, à des abus de pouvoir ou à des contestations sur mon professionnalisme. Quand on est une jeune actrice, on ne sait pas trop ce qu’on a le droit, ou pas, de demander à soi-même. Une fois, j’ai eu l’impression qu’on me volait quelque chose et je me suis juré que cela ne m’arriverait plus.
Qu’est-il exactement arrivé?
Un réalisateur ne m’avait pas expliqué la nature d’une séquence, et j’ai réalisé au dernier moment qu’il s’agissait d’une scène de sexe. Face à mes réticences, il m’a demandé : « Es-tu actrice ou n’es-tu pas actrice ? Les costumiers, qui n’étaient pas au courant non plus, n’avaient rien prévu pour me mettre plus « à l’aise » pendant la scène. J’étais contre le mur, sans personne pour m’aider. J’ai plié, mais j’étais en forme en rentrant à la maison. Le lendemain, je m’explique auprès du directeur… Ce rapport de force n’est pas spécifique à notre métier : presque toutes les femmes ont été confrontées, un jour ou l’autre, à ce type de situation. La liberté d’expression permet aujourd’hui aux jeunes de décider où ils veulent fixer des limites.
En imposant le look très sexuel de Morgane Alvaro, l’héroïne de « HPI », qui arbore sans complexe décolletés et combinaisons moulantes aux couleurs flashy, n’avez-vous pas fait de ce personnage un standard féministe ?
Je vois Morgane comme une super-héroïne dotée de super pouvoirs. J’ai voulu que ses costumes soient un mélange de « white trash », afin de me rapprocher d’une France entière qui n’est pas ou peu représentée à l’écran, et de déguisements d’enfants. Son hyperféminité est son bouclier. Son look est si offensant qu’il la protège des hommes. J’aime l’idée qu’elle soit décomplexée, qu’elle s’habille comme elle veut, sans être sexualisée. Elle est franche, grossière dans sa façon de parler, mais jamais vulgaire. C’est un point d’exclamation vague.
Et que lui arrive-t-il dans cette saison qui sera diffusée sur TF1 en mai ?
Elle est enceinte de son quatrième enfant et elle ne sait pas qui est le père. Cette question est le fil conducteur de la saison.
La maternité, parlons-en. Vous êtes maman d’un garçon de 7 ans, Lou. Comment arrivez-vous à concilier votre vie de famille avec un travail qui vous prend du temps ?
C’est du rock’n’roll, mais ça se passe très bien. En tout cas, en regardant autour de moi, je constate que la plupart des parents rentrent extrêmement tard, ont une nounou matin et soir, embrassent leurs enfants au coucher et retournent travailler le lendemain. Quand je ne tourne pas à Paris, j’ai des phases de culpabilité, mais je rentre à la maison tous les week-ends et, quand je peux, j’arrive à emmener mon fils avec moi. Comme les enfants de Djibril (Glissant, son compagnon et le père de Lou), qui ont 10 et 15 ans, mon fils est fan de « HPI » et c’est plutôt joyeux. Je suis souvent absent, des choses me manquent probablement, mais j’ai de la chance que son papa soit là. On arrive à vivre des moments exceptionnels.
Vous ne croyez donc plus, comme il y a dix ans, que « la cellule familiale est un concept artificiel » ?
Il ne s’agit pas d’y croire ou non. La cellule familiale se réinvente constamment. On n’a pas les mêmes aspirations à 25 ans qu’à 40 ans. Je crois à l’équilibre qui est le mien et qui convient à ma famille. Beaucoup ne supportaient pas l’intermittence et ne supportaient pas de ne pas être là tous les soirs. Moi c’est le contraire. Il y a des moments où je travaille et me retrouve seul le soir dans un Airbnb, et des moments où je rentre à la maison et me consacre pleinement à ma famille. J’ai besoin des deux pour m’épanouir.
Vous vous êtes fait connaître à travers des rôles garces que vous preniez un « plaisir cathartique » à interpréter. Cela ne vous manque pas ?
J’y retournerai avec plaisir, mais c’est un plaisir tout aussi cathartique d’incarner Morgane Alvaro. Elle est bien plus libre, audacieuse et drôle que moi. Elle me fait du bien. Il y a quelque chose de psychanalytique dans le fait de se mettre à la place de différents personnages. Cela fait partie d’une partie de nous-mêmes qui n’a pas la possibilité de s’exprimer au quotidien. Et cela vous permet d’être vous-même le reste du temps.
Justement, si vous voyez Morgane Alvaro comme un point d’exclamation, vous restez un point d’interrogation pour le public : qui êtes-vous « le reste du temps » ?
Honnêtement, je ne pense pas que ce soit excitant. Je pourrais devenir fou et inventer un personnage qui n’existe pas, mais je ne suis pas sûr de le garder très longtemps. J’ai une vie tout à fait normale. Je sens qu’il y a, de la part des médias, une envie de glamour, d’exceptionnel, que je ne suis pas en mesure de donner. J’ai adoré l’époque où les actrices et les acteurs gardaient une part de mystère. Aujourd’hui, on nous demande notre avis sur tout et n’importe quoi, comme si nous étions des spécialistes de géopolitique ou de socio-économie. Je pense que la télé-réalité et les réseaux ont changé le paradigme. Il existe un désir de pénétrer dans les maisons des gens, de découvrir leur intimité. Il y a bien une demande du public, mais nous ne sommes pas obligés d’y répondre. Je constate que pas mal de mes collègues publient sur les réseaux des posts où ils se mettent en scène. Ils en ont parfaitement le droit, mais je n’en ai ni le temps ni l’envie.
L’enquête commandée par Paris Match l’année dernière confirmait que vous étiez l’actrice préférée des Français. C’est rassurant ?
Je n’arrive toujours pas à m’en remettre ! C’est pour ça que j’essaie de garder la tête froide. Je suis super content de là où je suis, même si je n’ai jamais eu de plan de carrière. D’ailleurs, ma chance est d’avoir toujours été satisfait de l’endroit où je me trouvais, alors que beaucoup de mes collègues étaient persuadés que l’herbe était plus verte ailleurs. Ceux qui faisaient du théâtre rêvaient de faire de la télé, ceux qui faisaient de la télé rêvaient d’être au cinéma, etc. Quant à moi, je n’ai jamais boudé mon plaisir, où qu’il soit.
Vous avez développé une passion pour ce métier à l’âge de 8 ans, lorsque votre père, pompier à la Comédie-Française, vous emmenait dans les coulisses. Étiez-vous fasciné par les stars et le glamour ?
Certainement pas ! J’ai vu dans ce métier une bouée de sauvetage, la possibilité d’exister. Je voulais seulement faire du théâtre, parce que je n’avais rien pour être à l’écran : je me trouvais moche, grosse, avec des lunettes bifocales…
Quand vous êtes-vous transformé physiquement ?
Il y avait plusieurs étapes. D’abord mon premier amant qui m’a permis de transférer l’émotion que j’avais avec la nourriture (j’étais boulimique) sur quelqu’un. Ensuite, je ne voulais pas jouer uniquement les grands-mères. Je me suis pris en main pour avoir plus de possibilités, le sport est devenu partie intégrante de mon quotidien. Finalement, j’ai subi une opération des yeux il y a deux ans et cela a changé ma vie. Il n’y a pas un jour qui ne passe sans que je pense à l’ophtalmologiste qui a définitivement réglé ma myopie – j’étais quand même à moins 12 ! Les six premiers mois, quand je me suis réveillé, je me disais : « Bon sang, je me suis encore rendormi avec mes lentilles ». Et deux secondes plus tard, je me réjouissais !
Votre citation préférée est d’Épictète : « Il n’y a qu’un seul chemin vers le bonheur… C’est d’abandonner les choses qui ne dépendent pas de notre volonté. » Aujourd’hui, avec votre statut, vous n’avez plus à renoncer à grand chose…
Bien sûr que oui. On ne peut jamais tout avoir dans la vie. Nous ne pouvons pas non plus tout contrôler. Au fil du temps, j’accepte de plus en plus le fait que je ne me rendrai pas malade à cause de choses sur lesquelles je n’ai aucun contrôle. Et puis, une vie où l’on peut obtenir tout ce que l’on veut n’a plus aucune saveur.