La créatrice du Women’s Forum et de Sistemic, une entrepreneure passionnée, s’est toujours impliquée auprès des femmes. A 73 ans, elle a été retrouvée grièvement blessée, lundi 4 juin, à côté du corps sans vie de son mari Hubert Zieseniss.
Certaines nouvelles sont un choc. Celle de la découverte d’Aude de Thuin, 73 ans, retrouvée mardi 4 juin grièvement blessée aux côtés du corps sans vie de son mari Hubert Zieseniss, en fait partie – au moment d’écrire ces lignes, l’enquête est toujours en cours pour en déterminer les circonstances. de la tragédie. Ceci clôt tragiquement une trajectoire profondément romantique, et une immense histoire d’amour, qu’Aude de Thuin a révélée dans ce recueil au titre prémonitoire, Forcer le destin (Ed. Robert Laffont, 2016), co-écrit avec la psychologue Jeanne Siaud Facchin et dédié, par ailleurs, à son mari. L’incipit, un extrait de Guerre et Paix de Tolstoï, n’a certainement surpris personne parmi ses nombreux amis et ceux dont elle a marqué le chemin. Car il y a de l’héroïne russe dans le parcours de cette Bretonne d’origine, née dans le Finistère Nord, « cette région où l’on dit souvent que nous sommes plus têtus que le granit de nos rochers », écrivait-elle alors.
La différence comme force
Têtue, il lui fallait l’être pour « s’extraire » d’une enfance et d’une condition qui l’ont durablement marquée. « Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses le sont chacune à leur manière », écrit Tolstoï – encore lui – pour commencer son Anna Karénine. Loin de son image aristocratique et mondaine, Aude de Thuin est née Odette Le Roux, dans un milieu qu’elle a longtemps rejeté car déjà différent. Son père, boulanger, rêve d’avoir un fils. Il aura six filles, dont elle, la deuxième, qui s’efforce d’assumer ce rôle vacant, et les projections qui vont avec – « prendre des initiatives, y aller, y aller, être la première partout », explique-t-elle. dans ses livres. Elle se distingue par son énergie, son franc-parler et sa très grande taille. En plus, elle est rousse – historiquement, la couleur du rejet. D’où une adolescence plutôt rebelle, qui scelle la construction d’une personnalité complexe et consciente d’elle-même. Et une immense curiosité, pour tous les chemins, pour tous les gens qui, selon elle, pourraient l’emmener ailleurs. Il aura fallu un premier mariage malheureux avec Raoul de Thuin – « J’ai épousé une particule », affirme-t-elle souvent – dont est née sa fille bien-aimée, Aurore, et toute une odyssée entrepreneuriale pour que le changement salvateur s’opère. . Et ce qui se révèle, c’est la femme qui deviendra un modèle pour tant d’autres.
Davos pour les femmes
Car l’histoire d’Aude de Thuin est avant tout celle d’une entrepreneure hors du commun. Et avec une créativité foisonnante, souvent alimentée par la révolte ou la colère, ponctuée d’éclats ou de larmes. Mais en apportant toujours un souffle visionnaire et fougueux aux causes qu’elle défend. L’événement qui l’a fait connaître reste L’Art du jardin, qu’elle a lancé en 1993. Un salon encore inégalé aujourd’hui, qui réunit chaque année au Parc de Saint Cloud les plus grands talents et les plus belles initiatives en la matière. . Cela assurera également sa fortune, lui permettant d’établir cette vie parisienne qu’elle anime, et de cultiver son propre jardin, reconnu des amateurs, en Normandie.
Tout comme certains jardiniers ont la main verte, Aude a la capacité de pressentir avant les autres où va tourner le vent de la société. En 2005, choquée de ne rencontrer que ou presque uniquement des hommes à Davos, lieu où se dessine le monde de demain autour de grands décideurs, elle décide de créer le Forum des femmes pour l’économie et la société. Un Davos au féminin donc, où s’expriment les voix des femmes et leurs idées, et où s’imagine aussi un monde plus inclusif et égalitaire. Des délégations du monde entier s’y réunissent – Chine, Afrique du Sud… Grands patrons et grands noms du Cac 40. Des voix inspirantes. L’aventure touche à sa fin pour Aude, contrainte de céder l’événement en 2011 au groupe Publicis « pour le sauver, car je n’avais plus les moyens de l’entretenir seule », explique-t-elle. Puis les forums Osons la France, qu’elle a également créé, ont dû déposer le bilan en 2015. Elle a dû se reconstruire financièrement, réinventer une vie au Maroc avec l’homme d’affaires Hubert Zieseniss, qu’elle a épousé en 1989. Abandonnez votre quotidien, votre maisons. C’est la faillite. De ce repli et de cette grande tristesse – elle plonge alors dans une grave dépression – est né un autre événement fécond : le sommet Women in Africa, créé en 2015 pour les femmes entrepreneures africaines.
De nouveaux chemins
Préoccupée par la révolution de l’IA, orchestrée par des programmeurs majoritairement masculins, elle décide en mai 2023 de lancer un ultime forum, Sistemic, pour redonner une place aux femmes dans la science et permettre d’écrire l’avenir avec elles. « Les femmes sont absentes des champs scientifiques français dans toutes les branches des STEM, c’est-à-dire les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques. Si cette tendance se poursuit comme on le voit aujourd’hui, alors les métiers du futur excluront systématiquement les femmes, autorisant ainsi mécaniquement un retour au patriarcat », écrit-elle sur Linkedin. Depuis, de nombreuses personnalités des mathématiques, ainsi qu’Elisabeth Borne, en tant que présidente du conseil stratégique, avaient rejoint le mouvement Sistemic dont la dernière édition s’est tenue le 22 mai à Marseille. Hier. Un dernier fait d’armes ?
Aude de Thuin a donné à tant de femmes le courage d’oser. Elle a une amitié fidèle, un amour pour les jeunes générations et une transmission vissée à son corps. Avec une obsession : faire briller les femmes. Les messages échangés depuis mardi le disent : aujourd’hui, ils sont nombreux à avoir le cœur en berne.