Apuis apparaît une certaine vision de la défense européenne, accompagnée de projets concrets. « Cette armée européenne ne doit pas se contenter de déployer des unités militaires nationalesa déclaré un premier ministre français, cela ne ferait que masquer une coalition à l’ancienne. Une armée européenne unie, composée des forces des différentes nations européennes, doit, dans la mesure du possible, rassembler toutes ses composantes humaines et matérielles sous une seule autorité politique et militaire européenne. »
Ce n’était pas une chimère. Le traité qui sous-tendait cette vision expliquait en détail comment fonctionneraient les institutions communes, comment seraient financés les budgets communs, comment les forces militaires communes seraient rendues opérationnelles, jusqu’à préciser le nombre d’unités et de soldats, leurs insignes et leurs uniformes. Le protocole à ajouter au Traité de l’Atlantique Nord a même été envoyé au Sénat américain, qui l’a approuvé. Une armée européenne était donc possible. Plus que possible, nécessaire. « Les événements mondiaux ne nous laissent pas le choix »a déclaré ce chef du gouvernement.
Mais soudain, la menace russe semble s’estomper et tout est abandonné. Nous sommes en 1954. Le premier ministre, alors appelé président du conseil des ministres, s’appelle René Pleven (1901-1993). Le facteur qui a arrêté la Communauté européenne de défense (CED) a été la mort de Staline le 5 mars 1953 et les vains espoirs d’une Russie plus pacifique. L’impulsion donnée alors à l’Europe pour assurer sa propre sécurité s’est évaporée.
Structures de défense cloisonnées
Aujourd’hui, Staline est de retour. Moscou écrase la dissidence, envahit ses voisins et rêve d’écrire l’histoire par la force brutale. Les parallèles entre Poutine et Staline ont été largement établis. Nous sommes à nouveau dans une guerre froide qui menace de s’intensifier à tout moment.
Il ne manque plus, pour compléter le tableau, que l’Europe en tire les conséquences. Nous parlons tout au plus d’une augmentation des dépenses militaires et de l’intégration européenne des industries de défense nationales. Pire, nous feignons de croire que la création d’un commissaire européen à la défense devrait suffire à résoudre tous les problèmes. Si le Kremlin semble renouer avec les années 1950, le Berlaymont (bâtiment où se trouve le siège de la Commission européenne, à Bruxelles) je pense toujours que nous sommes dans les années 1990.
Parlons plutôt des dures réalités du 21ee siècle. Nous, Européens, dépensons déjà ensemble trois fois plus que la Russie, sans pour autant améliorer nos capacités de défense communes. Du point de vue du rapport qualité-prix, nous sommes quatre fois moins efficaces que les États-Unis. On le savait déjà lors des opérations bâclées en Libye en 2011. L’Europe avait prétendu diriger les opérations, mais s’est vite vue contrainte de demander aux Américains de prendre le relais, faute de capacités opérationnelles. Et cette impuissance s’est répétée depuis en Syrie, en Afrique, en Ukraine. Pourtant, nous ne parvenons toujours pas à tirer les leçons.
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