Au Sénégal, portez des tenues de luxe pour l’Aïd à moitié prix
A quelques jours de la grande fête musulmane de la Tabaski, Seynabou Sarr, dite Nabou, croule sous les commandes dans sa friperie de la banlieue de Dakar.
Pieds nus, la jeune femme de 30 ans s’active dans un va-et-vient constant.
Entre deux commandes reçues par téléphone, elle prépare une séance photo pour promouvoir ses produits phares : des boubous d’occasion.
Avec l’achat de moutons, de condiments ou de chaussures neuves, la tenue de fête est un incontournable de l’Aïd, appelé Tabaski en Afrique de l’Ouest et célébré lundi pour le plus grand nombre au Sénégal.
Femmes et hommes portent pour l’occasion des robes et tuniques traditionnelles confectionnées à partir de tissus de luxe ornés de broderies ou de perles.
C’est une dépense importante devenue presque obligatoire avec le temps. Forte pression sur les familles et les économies, d’autant plus lorsque les temps sont durs.
À l’instar du commerce de prêt-à-porter d’occasion dans les pays occidentaux, le marché de seconde main des boubous de luxe connaît un succès croissant au Sénégal.
Neufs, certains modèles peuvent coûter jusqu’à 250 000 FCFA (381 euros), une petite fortune quand le salaire médian est de 54 000 FCFA (82 euros) par mois.
Chez Nabou, il est possible d’en trouver pour moins de 90 000 FCFA (137 euros).
« Autrefois, les gens avaient honte de porter des vêtements d’occasion, de peur d’être ridiculisés ou dénigrés. Mais de plus en plus, nombreux sont ceux qui prennent conscience de leurs bienfaits. »elle explique.
La jeune femme a lancé son activité en ligne en 2018 avant d’ouvrir sa boutique en 2022. Elle compte plus de 80 000 abonnés sur TikTok.
Abdou Fall, un père de famille, a décidé cette année d’acheter une tunique d’occasion, un élégant boubou marron trois pièces avec de belles broderies autour du cou. Il l’a acquis pour 60 000 FCFA (90 euros), au lieu des 130 000 (196 000 euros) qu’il valait neuf.
« Ce n’était pas dans mes projets d’acheter un boubou pour cette année car j’avais déjà beaucoup à faire avec d’autres dépenses »confie-t-il. « Mais le prix était tellement abordable que je me suis dit que je n’allais pas m’en priver ».
«Beau avec peu»
La plupart des pièces appartiennent à des anonymes qui vident leur garde-robe de tenues qui n’ont souvent servi qu’une seule fois.
Porter la même chose deux années de suite est souvent mal vu. Les boubous d’occasion doivent absolument avoir l’air neufs.
« Qui peut dire que ce n’est pas nouveau ? Personne. Avec un peu, on se fait belle comme tout le monde et on peut aussi le vendre à son tour”se réjouit Matar Sarr, un autre client.
Le textile est l’une des industries les plus polluantes au monde : seulement 13 % de ses matériaux sont recyclés d’une manière ou d’une autre, selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur de 2017 qui fait toujours référence.
Si certains Sénégalais critiquent le gaspillage des vêtements lors des cérémonies, c’est l’argument financier qui l’emporte pour la majorité.
La Tabaski n’est pas la seule opportunité de s’offrir un luxe plus abordable.
Dans les rayons, Khady Djiba cherche une robe de mariée pour sa petite sœur.
Elle examine la qualité des tissus, passe la main sur les coutures, s’attarde sur les perles et finit par choisir un modèle blanc à longue traîne rehaussée de perles scintillantes.
Neuve, cette robe lui aurait coûté au moins 150 000 francs CFA (228 euros), trop cher.
Elle l’a acheté 75 000 FCFA (114 euros). La robe présente quelques défauts, mais le vendeur rassure : avec quelques retouches et nettoyage à sec, elle sera comme neuve.
» C’est une bonne chose. Je suis très satisfait « sourit Khady Djiba.
Le temps d’un après-midi, la boutique Nabou se transforme en showroom où de jeunes mannequins posent devant les caméras. Maquillage, éclats de rire, clins d’oeil… Les photos et vidéos alimenteront les réseaux sociaux.
« Vous verrez, les clients s’arracheront les modèles une fois qu’ils seront postés sur les réseaux »» dit l’un des mannequins avec un sourire.